Cette femme

C’est au moment de sortir par la grande porte que tu croises cette inconnue dans le miroir juste en haut de la tablette où tu as laissé tes clés la veille. Chaque jour, tu passes devant elle, sans vraiment l’observer ou sinon, quand tu la regardes, c’est surtout pour la critiquer. Pour la dénigrer. Ce n’est pas de ta faute, mais tu es plus porté à juger qu’à apprécier. Alors chaque matin tu prends tes clés, sans vraiment la regarder.

Jusqu’à maintenant.

Aujourd’hui, tes yeux croisent les siens, tu figes.

Tu vois les racines blanches de deux pouces de ses cheveux relevés en semi-chignon, semi-couette. Son regard te fixe, surpris de constater que tu existes. Hier, elle avait fait un effort, bordant ses cils d’un beau mascara qui, depuis, a coulé sous ses paupières inférieures puisqu’elle avait oublié en avoir mis en se couchant. Ses lèvres qui, avant, étaient pulpeuses et bien roses, ont un petit pli amer devant la constatation d’avoir été mordillées négligemment et manquent cruellement d’hydratation.

Son visage manque d’éclat, ce n’est pas la première fois que tu y constates les dégâts.

Malgré tout, tu la regardes avec ses premières pattes d’oie, ses petites ridules et son début de peau de chagrin. Tu prends le temps de l’observer pour une fois et tu la vois dans toute sa clarté.

Dans sa beauté, même négligée, qui resplendit à sa façon bien à elle. Comme tu la regardes, elle relève la tête timidement et avec hésitation. Dans son iris, tu vois la lumière que tu ne voyais pas plus tôt, celle qui affirme que, malgré l’apparence qui t’avait surprise au début, cette femme qui te regarde a quelque chose de spécial…

Alors tu lui souris et quand elle te répond, c’est tout son visage qui prend vie. C’est ce visage-là que tes enfants regardent chaque fois que tu poses tes yeux sur eux avec amour. C’est ce sourire qui réchauffe leur cœur de tous leurs malheurs. C’est cet amour qui semble irradier de tout côté, même fatigué, qui fait grandir le cœur de ceux que tu as créés.

Cette femme a vieilli, elle est plus mature autant d’esprit que de corps. Mais cette femme a porté la vie et ça, c’est tout un trésor. Les pommettes ont un peu descendu, certes, mais la fossette y est toujours quand elle rit. Alors que veux-tu de plus?

Aime-la, cette femme, cette mère. Apprécie-la pour tout ce qu’elle fait. Pour ses nuits coupées, ses accidents ramassés, pour ses frottages de vêtements répétés. Rappelle-toi qu’elle en a soigné, des genoux égratignés, des rhumes bien enfiévrés. Aime-la comme elle t’a appris à aimer.

Avant, tu regardais les mères en te disant que tu saurais faire. C’est le cas aujourd’hui, c’est ta réalité, ta vie. Oublie un peu ce sourcil mal taillé qui se hausse à l’instant. Baisse le regard sur cette main qui a pris la tienne et écoute une seconde cette voix qui te dit : « Maman t’es la plus belle au monde quand tu souris! »

 

Simplement — Ghislaine B-Surprenant



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