Entre les deux

Il y a quelques mois, mon amie est partie. Elle a tout quitté pour se refaire une vie. Loin de lui, de moi, de presque tout. Des kilomètres se sont accumulés entre nous à mesure qu’elle construisait sa nouvelle vie. Des kilomètres que j’ai laissés nous distancer. J’aurais voulu être là, mais on ne peut pas être partout à la fois et ce n’est pas elle qui avait besoin de moi. Mon amie est partie, et notre amitié l’a suivie.

Il y a quelques mois, mon ami a été anéanti. Il s’est retrouvé dans une maison vide une semaine sur deux, dans une vie qu’il ne voulait pas. J’ai été là, parce que c’est lui qui avait besoin de moi. En choisissant d’être son soldat dans ce combat‑là, j’ai perdu une guerre qui n’existait pas. Je lui ai donné mon épaule pour pleurer, et j’aurais peut‑être dû offrir l’autre à mon amie au cas où. Mais ça faisait beaucoup de poids pour la force que j’avais. Ça faisait beaucoup de poids pour moi, prise entre l’arbre et l’écorce.

Il y a quelques mois, mes amis se sont quittés. J’ai été virée à l’envers, étourdie, comme prise dans une montagne russe, et dieu sait que je déteste les manèges. J’ai vécu une peine d’amour sous un angle que je ne croyais même pas possible. J’en ai voulu à la vie de m’enlever quelque chose d’aussi précieux, puis je m’en suis voulu de n’avoir rien vu venir. J’ai même fini par m’en vouloir de simplement m’en vouloir. Pourquoi je me sentais autant impliquée dans une histoire d’amour et de peine qui n’était même pas la mienne ?

Il y a quelques mois, ma vie a changé. J’ai dû prendre du recul, faire un pas derrière et me réapproprier mes épaules pour arriver à rester droite et forte. J’ai dû apprendre à vivre loin de mon amie, le rayon de soleil dans mes journées sombres. Je me suis habituée à ne plus l’entendre cogner à ma porte avec sa façon bien à elle de le faire. J’ai su qu’à l’intérieur de ce qu’elle voulait bien me montrer, il y avait beaucoup de peine, de p’tits coins sombres et de non-dits. Finalement, je ne la connaissais pas aussi bien que je le croyais. Je lui en ai voulu de ne pas s’être confiée à moi, et puis j’ai réalisé tout ce que je ne lui avais pas confié non plus. Et j’ai compris qu’au fond, ces plus lourds secrets, trop souvent, on les garde pour soi.

Il y a quelques mois, j’ai dû me choisir. Être égoïste et me concentrer sur ma vie qui filait à toute allure. Me concentrer sur mon couple à moi qui avait une grosse montagne à gravir. J’ai pris mes peines et mes blessures et je les ai soignées toute seule. J’ai ravalé mes rancunes, mes rancœurs et j’ai mis un pied devant l’autre pour avancer parce qu’eux le faisaient, et ils le faisaient bien.

Aujourd’hui, mes amis sont heureux. La vie a pris une tournure qu’ils n’avaient peut-être pas planifiée, mais qui s’avère être ce dont ils avaient besoin tous les deux. Finalement, ce qu’on dit est vrai : il faut lui faire confiance à la vie, elle nous connaît parfois mieux qu’on ne se connaît soi-même.

Karine Arseneault



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