Le retour des héros

7 h 45. Vendredi matin, devant l’école. On entend couler sur le trottoir les larmes silencieuses des parents séparés et de leurs enfants. C’est l’heure des au revoir. Une séparation hebdomadaire d’un parent, qui permettra à la fin de la journée les retrouvailles avec l’autre parent. Celui qui vient de passer sept jours à s’ennuyer de ses trésors.

C’est le moment où le parent sort de la voiture pour ouvrir la portière de ses enfants. Pas parce que ces derniers sont incapables de le faire seuls. Non. Juste parce que c’est leur dernière chance de se donner un câlin, de se murmurer « je t’aime mon chaton ». Juste parce qu’une fois debout sur le trottoir, le parent pourra observer ses enfants marcher vers l’école jusqu’à la dernière seconde. Juste parce que ça lui permet, à lui aussi, de faire une transition entre sa vie de parent à sa semaine de non-gardien.

7 h 47. Clac. La portière s’est refermée. Les pas des enfants les ont menés jusque derrière les portes de l’école. 7 h 47 c’est l’heure pour le parent de ravaler une larme et de se dire qu’un jour, peut-être, le deuil du départ sera moins pire.

C’est aussi l’heure du bilan de la semaine et des bonnes résolutions. Le parent se juge de n’avoir pas su gérer la discipline ou les devoirs ou la chicane de la fratrie comme il se l’était promis. Il se félicite pour l’activité trippante qu’il a organisée ou pour la soirée complice qu’il a su créer. Et il se jure à lui-même que la prochaine fois, il sera un parent à la hauteur de ses enfants.

Vendredi après-midi. 16 h 32. On entend les cris des enfants qui retrouvent le parent qui leur a manqué toute la semaine. « Papa ! Euh… Maman ! » Quand ça fait une semaine qu’ils disent « papa » 123 fois par jour, la langue fourche. Ils débaptisent maman, sans faire exprès, sans vouloir lui faire de peine. Puis ils racontent leur semaine, les amis, la dernière idée fofolle du prof, le repas préféré ou la paire de mitaines rapiécée.

16 h 40, les enfants entrent dans leur maison, dans leur autre maison. Ils inspirent profondément pour envoyer le message à leur cerveau que l’environnement a changé. Ici, leur chambre est à droite, pas à gauche comme chez papa. Ils retrouvent leurs jouets, leurs amis de quartier, leurs habitudes « de chez maman ». Dont ils devront se défaire encore, dans sept jours.

Un peu plus tard ce même vendredi soir, un parent reviendra chez lui, dans sa maison, dans sa seule maison. Il y sera seul, dans cette maison. Ou peut-être accompagné d’un nouveau conjoint, d’amis, d’autres enfants. Il expirera longuement pour laisser s’échapper la peine du vide qu’il ressent. Il rangera le dernier livre lu par son enfant et déposé à toute vitesse sur le coin de la table devant l’appel du matin : « Il est 7 h 40, on doit partir pour l’école ! » Le parent laissé derrière refera les lits, replacera les toutous. Fera le lavage. Notera sur sa liste d’épicerie les ingrédients pour concocter les repas préférés de ses enfants.

Le vendredi suivant, quand ce sera son tour d’être accueilli comme un héros à la sortie de l’école, il veut que tout soit prêt à la maison, pour accueillir le retour triomphant de ses enfants.

 

Nathalie Courcy



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