Savoir se pardonner

Lorsque je me suis mariée et que j’ai eu mes enfants, je m’étais juré que rien ni personne ne me séparerait du père des enfants ni ne m’éloignerait d’eux. Je m’étais fait cette promesse à moi-même, je l’avais faite à lui aussi et je l’ai même faite devant Dieu à notre mariage. Puis, quand les enfants sont arrivés, je leur ai promis secrètement de toujours leur donner le meilleur de moi-même.

J’ai failli à ma promesse. Je me suis séparée du papa de mes trois versions mini. Ça ne cadrait plus. Ça n’allait même pas mal. Ce n’était juste plus moi alors que cela avait toujours été parfait pendant douze ans. Je ne collais plus à l’image de celle que je regardais chaque matin exécuter la routine familiale comme une automate. Ma vie me semblait d’un ennui impossible. Mes enfants m’exaspéraient à un point que je n’aurais cru possible. Et mon mari passait lentement du chum à l’ami… La raison? Juste la vie, je pense. Je sais, c’est plate comme réponse.

Allez-y, jugez-moi! De quoi peut-on me qualifier? De menteuse? D’irrespectueuse? De paria? Nul besoin d’en rajouter, je me tape sur la tête par moi-même assez fortement, ne vous en faites pas. Parce que malgré les promesses rompues, mes valeurs ne sont pas disparues soudainement. Je ne suis pas devenue une autre personne. Je suis la même. Cette même personne qui croit qu’il faut toujours aller chercher son bonheur où qu’il soit. Celle qui croit à la vie, celle qui est prête à tout pour le meilleur.

La vie est cependant parfois plus complexe qu’une promesse. Il y a parfois plus de facteurs à considérer, plus de variables qui peuvent changer les choses. Et parfois aussi, on abandonne. Ou on change. Ou la vie nous porte ailleurs. Dans un ailleurs où l’on n’aurait jamais cru même exister. Ou toutes ces réponses.

Puis, un bon matin, après les larmes, la colère contre tout et tout le monde à portée de tir à commencer par moi, j’ai vu les choses autrement. J’ai compris que même si je rompais une promesse, je respectais tout de même ma promesse aux enfants : celle de toujours leur donner le meilleur de moi. Parce que si le meilleur de moi passe par une nouvelle vie de laquelle leur papa ne fait pas partie (ou du moins, plus comme avant), et bien, ainsi soit-il! J’ai vu qu’il est possible que le meilleur de moi implique des choix et des décisions qui ne feront pas l’unanimité et qui ne se feront pas sans heurts. J’ai compris que pour leur donner le meilleur de moi, je me dois d’être à mon meilleur à moi, peu importe ce que ça implique.

Bien sûr que les familles nucléaires parfaites ou les anniversaires de mariage qui s’accumulent chez certains me feront toujours un petit pincement au cœur. Ne pas avoir offert aux enfants une cellule familiale classique fera toujours partie des deuils de ma vie. Par contre, mes enfants sauront toujours qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire les choses, et que différent ne veut pas dire moins bien. Je leur apprends ainsi à ne pas simplement marcher dans les rangs sans se questionner. Je veux leur prouver par l’exemple que les élans du cœur sont parfois plus salutaires que tous les chemins suivis sans entrain.

Et me voilà, deux ans plus tard. Plus zen, plus sereine avec mes choix. Surtout plus convaincue que jamais que je peux leur apporter le meilleur de moi en étant un moi version-améliorée-à-temps-partiel plutôt qu’un temps plein désagréable.

Puis, telle une confirmation, il y a quelque temps, j’ai été subjuguée comme plusieurs d’entendre Josée Boudreault parler de son AVC à Tout le monde en parle. Elle disait que ça la rendrait probablement meilleure, même si c’est difficile, même si ses capacités ne sont plus et ne seront peut-être plus jamais ce qu’elles ont été. Je comprends. Être blessée d’amour, séparée c’est un peu comme être en rémission d’une maladie… d’un AVC… Le cœur meurtri, handicapée de plein de choses qui allaient de soi dont le confort du quotidien. On se retrouve projetée dans un monde où l’on doit réapprendre à fonctionner. Puis, on réalise que c’est peut-être ce qui nous est arrivé de mieux pour nous dépasser. Pour transmettre réellement le meilleur de nous.

Alors je me lève devant mes enfants et tous ceux qui constituent mon univers. Grande et forte. Remplie de l’envie de prouver que c’est possible de tracer sa propre voie, d’y croire. C’est probablement la plus belle leçon que l’on peut leur donner. Savoir se relever. Redresser le tir lorsque ça ne semble pas être tout à fait ça. Faire preuve de résilience. Faire le mieux avec ce que l’on a. De grandes leçons souvent dites, mais peu souvent démontrées par l’exemple. Et l’exemple peut prendre différentes formes, l’exemple est malléable. Comme nos vies. À partir de là, tout est possible.

Je tente ainsi de tracer ma nouvelle voie. Celle que je pave pour mes enfants. Je me surprends à les voir tirer de petites leçons au fil du temps. Et ça me plaît. Je leur enseigne à se pardonner de ne pas suivre le chemin à la lettre. Se pardonner de sortir parfois du rang pour se démarquer. Se pardonner et se relever. Pour être soi. Et je réalise que c’est là que moi, je leur donne leur meilleur de moi.

 

 

Isabelle Rheault



Commentaires