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Journée mondiale des soins palliatifs : Bon voyage à New York, madame Dubé – Texte : Marie-Ève Massé

Il est 5 h du matin. Je passe de chambre en chambre comme une petite abeille. Chaque résident doit

Il est 5 h du matin. Je passe de chambre en chambre comme une petite abeille. Chaque résident doit être changé et positionné en prévision du déjeuner qui sonnera la première étape de l’équipe de jour.

J’entre dans la chambre de madame Dubé.

— Bonjour !

— Hahaha ! Bonjour !!!

— Et que j’aime venir vous voir, vous ! Un vrai rayon de soleil !

— Ah oui ? Haha !

— Oh que oui, j’aimerais tellement ça me réveiller de bonne humeur chaque matin comme vous. Moi, je suis tellement grognonne quand je me réveille !

Elle prend ma main doucement.

— On choisit pas hein ? Fais-toi z’en donc pas avec ça, c’est pas de ta faute !

— Vous avez bien raison. Comment a été votre nuit ? Bien dormi ?

— Oh oui, j’ai fait de beaux rêves !

— Génial ça !

Je saisis la crème et lui enrobe doucement les pieds.

— Oh madame ! Que ça fait du bien ça ! Mmmmmm ! Ça fait du bien !

Je rigole doucement.

— Vous devez être la personne la plus démonstrative qui montre le plus d’appréciation de la crème hydratante au monde.

Elle rigole. Elle réagit toujours comme ça, c’est presque décevant de ne pas prendre le temps d’hydrater sa peau asséchée par le temps.

— Pis ? Votre voyage à New York ?

Je l’agace souvent avec ce genre de question. Une fois, je lui parle d’aller danser, une autre de voyage. Ça la fait généralement rigoler. Parfois, elle est trop confuse pour comprendre le gag, mais souvent, elle embarque et l’espace d’un instant, on « fait semblant » qu’elle a des projets plutôt qu’une autre longue journée dans son lit à sommeiller.

Mais aujourd’hui, elle ne semble pas saisir où je m’en vais avec ça. Elle me fait de gros yeux confus.

— Heeeiiinnnn ?????

— Vous alliez pas à New York bientôt, vous ?

Je m’essaye, au pire elle va juste m’ignorer ou je vais passer pour celle dans les patates.

— À New York ? Moi ça ?

— Oh, je me trompe de personne ?

— Ah !!! Non ! C’est remis à lundi !!

Et son rire clair transperce les murs pendant quelques secondes, le mien aussi.

— Passez une belle journée, madame Dubé.

— Toi aussi, ma petite fille !

— Et bon voyage là !

Je sors de la chambre obscure en l’écoutant rigoler doucement.

Quelques heures plus tard, pendant que la préposée de jour l’enduisait à nouveau de crème, madame Dubé s’est doucement éteinte.

J’espère vraiment qu’elle aura l’occasion de voler jusqu’à New York lundi. Qui sait, elle visitera peut-être Central Park sur ses deux pieds ?

Marie-Ève Massé

Génération Z, sauras-tu me pardonner ? Texte : Martine Wilky

Aujourd’hui, je regarde une photo de ma plus jeune qui fait son sp

Aujourd’hui, je regarde une photo de ma plus jeune qui fait son sport et je me demande si nos jeunes vont réussir à nous pardonner.

Je ne remets pas en question les règles sanitaires et tout… Je ne crie pas au loup, je me questionne.

Je suis sensible à ce que nos jeunes vivent, car on leur a tout enlevé.

À une période où ils créent leur ESSENCE à eux en tant qu’individus.

Privés du contact avec les autres.

Privés de leur sport.

Privés de leur liberté si vitale à leur âge.

Tout est question de perception dans la vie.

Certains ne voient que les jeunes qui ne respectent pas les règles.

Mes enfants et moi, on voit autre chose :

  • Des groupes de personnes âgées qui se regroupent dans le stationnement du McDo sans respecter la distanciation sociale.
  • Des adultes qui « engueulent » des travailleurs dits « essentiels » à l’épicerie ou au resto du coin AKA job d’étudiant parce que les travailleurs doivent faire respecter les mesures d’hygiène.
  • Les ligues nationales qui peuvent fonctionner alors que les jeunes ne peuvent jouer et sont peut-être en train de dire au revoir à leur rêve sportif.
  • Des aînés qui font la morale aux jeunes sur les mesures sanitaires. ILS LES CONNAISSENT ET SE LES FONT RAPPELER TOUS LES JOURS À L’ÉCOLE.
  • Les magasins ouvrent à des endroits où des centaines de gens différents chaque jour peuvent magasiner, mais les jeunes, eux, ne peuvent pratiquer leurs activités parascolaires.
  • Des profs stressés qui sont impatients car ils sont constamment forcés d’appliquer différentes nouvelles mesures. Les profs sont des saints… qui ont une limite eux aussi. Comme nos jeunes, ce ne sont pas des machines.

Bref, je ne referai pas le monde, mais il est temps qu’on lève la voix pour nos ados.

Je trouve qu’ils ont été plus que « fins », plus que tolérants et RÉSILIENTS.

Ce sont nos laissés pour compte depuis un an.

Trop vieux pour être cute et faire pitié pour la société, et trop jeunes pour avoir une voix et faire entendre leurs besoins.

Je veux vous dire que si tu es privé de voix depuis un an, je m’excuse.

J’espère qu’un jour, tu vas nous pardonner de t’avoir oublié pendant cette pandémie.

Je veux te dire que c’est correct si tu es fâché contre la vie et la société ; ce que tu ressens est valide.

Tu as plus que mon admiration et mon respect.

Tu es un(e) humain(e) extraordinaire.

Martine Wilky

La réalité dans les CHSLD

Depuis le scandale du CHSLD Herron à Dorval, tout le Québec est secoué p

Depuis le scandale du CHSLD Herron à Dorval, tout le Québec est secoué par l’horreur qui sévit dans les CHSLD. Mais êtes‑vous réellement surpris ? Depuis de très nombreuses années, le personnel médical souligne les défaillances du système de santé dans les CHSLD. Le manque de ressources, le manque de personnel qualifié, les différences entre les CHSLD privés et publics et même d’un CHSLD privé à l’autre. Depuis de nombreuses années, nous demandons d’uniformiser la gestion des CHSLD, d’y investir plus de temps, plus d’argent. Pourquoi devons‑nous attendre qu’un évènement aussi atroce que ce qui se passe présentement dans l’actualité pour réaliser tous les défauts et les problèmes soulevés depuis des années ? On doit réaliser tout le travail à faire. Toutes les lacunes de ce milieu de santé.

Depuis notre plus tendre enfance, nous sommes élevés avec comme valeur de respecter nos aînés, de les protéger. Nos aînés sont, tout comme nos enfants, des trésors à chérir. Nos enfants ont tant à apprendre et nos aînés ont tant à nous enseigner. Ils ont pris soin de nous, ils ont probablement combattu pour ce que nous avons aujourd’hui ; nous ne devons pas les abandonner. Pourtant, lorsque ces personnes âgées sont placées en résidence, beaucoup sont laissés à eux‑mêmes.

Avant la COVID‑19, je trouvais leur situation triste et j’étais convaincue qu’aucun changement ne serait apporté. Maintenant, avec la COVID‑19, c’est la folie. Tout le monde doit aider, tout le monde doit se porter volontaire. Encore une fois, il a fallu un drame pour que nous agissions. Mais savez‑vous vraiment ce qui se passe présentement dans les CHSLD ? Je vais vous le décrire et vous verrez que le gouvernement ne dit pas tout.

Premièrement, nous allons dire les vraies choses. En Italie, ils avaient décrété qu’aucune personne de plus de 60 ans ne serait pas traitée, car leur taux de survie était trop bas. Sachez qu’au Québec, nous avons agi de la même manière sans le dire. Qui ne sera pas traité ? Les personnes en CHSLD. Et quand je parle de personnes en CHSLD, je ne parle pas uniquement des personnes âgées, non : je parle de personnes plus jeunes, entre 18 et 50 ans, qui sont totalement lucides, mais qui sont placées dans ces centres parce que leur condition est trop difficile pour que leur famille s’occupe d’elles. Donc, nous avons des personnes entre 18 et 100 ans dans le même bâtiment, qui n’ont pas toutes les mêmes chances de survie face à ce virus, mais nous les abandonnons toutes.

Deuxièmement, saviez‑vous qu’aucun patient en CHSLD n’est transféré à l’hôpital ? Non, aucun. Le CHSLD devient un hôpital, une unité de soins intensifs, mais sans respirateur. Nope, nada, rien, zéro !

Troisièmement, la pénurie de médicaments injectables. Autre grand secret. Certaines pharmacies ne sont plus capables de s’approvisionner en Morphine, en Lorazepam (Ativan), en Scopolamine (râles et surplus de sécrétions pulmonaires), en Furosemide (élimination de l’eau). Ces médicaments sont essentiels, surtout en soins palliatifs. Présentement, les personnes en CHSLD meurent de la COVID‑19 oui, mais noyées dans leurs sécrétions. Les pharmaciens/pharmaciennes se battent contre des compagnies pharmaceutiques pour avoir accès à ces médicaments. Beaucoup d’entre eux doivent acheter le même produit à une autre compagnie qui le vend entre 5 à 20 fois le prix. Les pharmacies font leur maximum pour éviter que les personnes souffrent, mais nos droits sont limités.

Quatrièmement, les familles de ces patients. C’est horrible. Ils ne veulent pas voir leur proche mourir seul. Plusieurs ont collé des messages dans les fenêtres, d’autres viennent tous les jours les divertir. J’ai vu une famille apporter son échelle pour atteindre la fenêtre de son proche mourant. À tour de rôle, ils montaient avec leur pancarte, leur cœur, leur chanson et disaient un dernier au revoir. Au bas de l’échelle, la famille en pleurs à deux mètres les uns des l’autre. C’est horrible.

Il y a beaucoup à faire en CHSLD. Nous avons oublié ces êtres humains, nous les avons abandonnés. Nous les avons sacrifiés. Quand tout sera terminé, quand les CHSLD seront vides, nos cœurs à nous seront pleins, de tristesse, de honte et de colère. Nous avons crié à l’aide longtemps et tout le monde se fermait les oreilles et regardait ailleurs. J’espère que cette pandémie saura remettre les choses à leur place, remettre de l’ordre dans notre système de santé défaillant.

À tous les médecins, résidents, infirmières, infirmières auxiliaires, préposés aux bénéficiaires et tous les autres membres du personnel médical : NE LÂCHEZ PAS !

Eva Staire

Nos aînés oubliés – Texte de Ghislaine

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Je n’ai pratiquement aucun souvenir de mes grands-pères, aucun de ma grand-mère paternelle. J’ai connu et aimé ma grand-mère maternelle. J’ai souvenir de sa joie de vivre du temps de ma jeunesse. Elle était de ces femmes qui allaient faire la fête et qui utilisaient leur propre maquillage pour nous maquiller lors des fêtes d’Halloween! Elle aimait chanter et avoir des admirateurs devant ses talents.

À vous la décrire ce soir, je me vois un peu en elle. Dans son exubérance, ses rires et ses mille et un projets. Je me rappelle cette fois où je m’étais brisé le poignet. Elle était venue avec moi pour la pose de mon plâtre. Elle avait de ces expressions qu’elle me sortait et que j’utilise à mon tour en souriant maintenant que je suis mère.

À la maison, nous lui disions tous «vous». Cela l’entourait d’une auréole de respect. Jamais il ne m’est même venu à l’esprit de lui témoigner la moindre impertinence.

Elle avait sa spiritualité et un côté enfantin bien à elle. Les années ont passé comme sa santé s’en est allée. Elle a habité en centre, chez une tante puis chez ma mère, où elle a terminé ses jours.

Lorsque nous parlons de nos familles, nous avons tendance à nous limiter aux deux dernières générations. Mais la famille, ce sont des parents, des enfants qui deviennent à leur tour des parents puis… des grands-parents. Nos aînés.

Qu’on se le dise, le temps passe vite, extrêmement vite. Aznavour nous le disait si bien : «Hier encore, j’avais vingt ans…» Je regardais l’actualité ces derniers jours et il est de notoriété que nos aînés n’ont pas tous les soins dont ils ont besoin. Pire, le respect le plus élémentaire qu’ils méritent de recevoir leur fait défaut.

Je ne répèterai pas ici les nombreux manquements dont il est question. À la limite, je n’ai pas l’ultime solution. Les préposés aux bénéficiaires font bien leur possible, voire plus. Ils accomplissent maintes tâches, même s’ils doivent se plier à toutes les obligations et restrictions imposées. Ils ont CHOISI ce travail par dévotion. Pour la majorité, ils y sont dévoués. Que dire des aidants naturels? Ou devrais-je dire nos aidants oubliés?

Nous accusons parfois nos aïeuls d’être froids, distants, colériques, parfois quelque peu capricieux. Mais à leur place… comment réagirions-nous?

Ils ont été ceux qui nous ont conçus, choyés, soignés. Ils ont bâti notre monde à la sueur de leur main. Ils ont traversé bien des épreuves, de la guerre à la Grande Noirceur. La montée de la syndicalisation, la modernisation de l’agriculture. La création de ministères, l’assurance maladie. La crise d’octobre en 1970, celle du pétrole en 1973. Les nombreuses réformes sociales, le féminisme. Les accords politiques non respectés, les référendums et j’en passe.

Qu’ils aient été pour ou contre tous ces changements, ils ont fait plus que leur part. Alors que leurs forces s’effritent, que leurs mains tremblent, maintenant que leur mémoire oublie et que leur corps s’affaisse, que faisons-nous?

Ils sont notre famille. Que pouvons-nous faire en mémoire de leurs réalisations certes, mais surtout en l’honneur du parchemin de leur vie, leur visage sillonné de leurs années? Par respect pour ce qu’ils sont aujourd’hui, prenons soin d’eux! À nous de faire en sorte que les inepties ne soient plus.

Si nous avons tellement de nos jours, c’est en partie grâce à eux. Est-ce tout ce qu’ils ont mérité, cette perte de dignité? Je me le demande. Est-ce tout ce que l’on peut faire pour eux après qu’ils ont tant fait pour nous?

Simplement, Ghislaine