Archives février 2019

10 choses à savoir sur Tania Di Sei

1- Depuis combien de temps écris-tu pour MFMC? J’écris pou

1- Depuis combien de temps écris-tu pour MFMC?

J’écris pour Ma Famille Mon Chaos depuis deux ans! J’ai commencé en septembre 2016 et c’était une première expérience pour moi. J’aimais ça écrire et, quand j’ai vu que l’équipe était à la recherche de collabos, c’était le moment de me lancer dans cette belle aventure

2- Que rêves-tu d’écrire un jour?

En fait, je rêve de faire du documentaire, mais pour le faire, il faut que je puisse l’écrire! J’ai la tête qui déborde de sujets, mais je ne sais jamais par où commencer! Je ne sais pas comment commencer! Je rêve aussi d’écrire une web-série complète! Je dis « complète » parce que j’ai plusieurs bouts de commencés, mais rien de terminé! Il faudrait que je m’assoie et que j’écrive sans arrêter, ce qui est physiquement impossible! Et si j’arrête, je perds le fil! Pas facile, être dans ma tête

3- Combien de temps consacres-tu à l’écriture d’un texte?

Habituellement, c’est sur un coup de tête, sans réfléchir! Sur un moment de rage, de joie ou d’émotion quelconque! Je parle de mes textes pour MFMC, bien sûr! J’écris toujours à propos de ma fille ou presque. C’est souvent lorsqu’il arrive quelque chose qui me fait exploser, donc c’est instantané! Un texte peut me prendre entre dix et trente minutes à écrire, rarement plus! Je ne passe pas vraiment de temps à recommencer, ce sont les émotions qui parlent! Je suis émotive, ç’a l’air!

4- Quel est ton rituel d’écriture?

Toujours, toujours, toujours avec de la musique dans les oreilles! DANS les oreilles, donc avec mes écouteurs! Je ne suis pas capable d’écrire avec d’autre bruit que ma musique! Souvent, je vais dans un café bondé de gens, mais j’ai ma musique

5- Qu’est-ce qui te fait du bien, te rend heureuse?

La simplicité, c’est tout. Le bord de l’eau, aller marcher en forêt et prendre le temps de respirer. Décrocher, ce que je ne fais pas assez souvent, malheureusement, et aller voir des spectacles, beaucoup de spectacles

6- Qu’est-ce que tu détestes?

Je déteste voir comment les gens sont rendus méchants, et ce, pour aucune raison. Je déteste voir comment les réseaux sociaux sont rendus des tribunes de gratuité pour dire aux autres ce que certaines personnes pensent. Les gens sont rendus avec des opinions sur tout, c’est donc facile, hein, d’être caché derrière un écran d’ordinateur…! Je me suis désabonnée de plusieurs pages à cause de ça, je ne voulais plus voir les commentaires méchants des gens. Je déteste aussi attendre après quelqu’un, je n’ai pas de patience pour les gens en retard.

7- Peux-tu vivre sans ton cell?

J’avoue que non, mais j’avoue aussi que je commence à être tannée des réseaux sociaux! J’aimerais commencer à prendre mes distances et garder le tout pour le travail principalement. Je devrai faire un ménage mental pour réussir, mais c’est dans mes plans. Ça sonne comme une drogue mon affaire, mais on est pas mal tous dans le même bateau, je crois! Le cellulaire prend un peu trop de place dans nos vies et toute la négativité (je le dis comme ça pour rester polie) qu’on retrouve là‑dessus commence à être pesante!

8- Qui est ta vedette préférée?

Premièrement, je déteste le mot « vedette »! Ha! Ha! « Personnalité connue » me fait moins mal aux oreilles. Je dirais Xavier Dolan. De un, oui pour la qualité de ses films et pour les messages qu’il porte, mais aussi pour le modèle et l’exemple de persévérance qu’il est. Il a commencé si jeune avec un but dans la vie et il l’a atteint avec de la persévérance et de la patience. Il a démontré qu’avec du vouloir, il y a du pouvoir! Je suis dans une phase de ma vie où je me dis souvent que je suis « trop vieille » pour continuer dans la branche des médias, mais il y a une petite voix qui me dit de ne pas lâcher parce qu’en bûchant, tout est possible. Et le parcours de Dolan refait souvent surface dans mes pensées. Il est un bel exemple à suivre!

9- À part l’écriture, qu’est-ce qui te passionne? Les arts! Les arts en général. Je dis toujours que je ne suis pas une artiste, mais j’aime l’art aussi fort qu’un artiste peut l’aimer pour le créer! J’aime le voir, j’aime essayer de le comprendre, j’aime le décortiquer et l’aimer! J’aime la beauté et j’aime pouvoir décrocher de ce monde de fous où tout le monde court à essayer d’être parfait. C’est pour ça que je suis aussi animatrice, pour faire des rencontres avec l’art! J’aime la musique, j’ai besoin de musique dans ma vie! J’aime le monde dans lequel ça nous plonge et j’aime le fait que ça nous oblige à ne penser à rien, puisque j’ai une tête qui roule à cent milles à l’heure!

10- Quelle est ta principale préoccupation?

Bon… aussi pathétique que ça puisse paraître : la mort. La maudite mort me fait peur! Pourquoi doit-on mourir? Qu’est-ce qu’il va se passer après? On vit et on meurt pis c’est tout? La phrase « On a juste une vie à vivre » me fait peur! L’horloge qui tourne me fait peur! Perdre un proche me fait peur et ça, c’est sans compter le jour où je devrai vivre avec la perte d’un parent… Mais bon, pour aujourd’hui, j’aime mieux ne pas y penser.

La honte

La honte, un sentiment d’abaissement, d’humiliation qui résulte

La honte, un sentiment d’abaissement, d’humiliation qui résulte d’une atteinte à l’honneur, à la dignité. Ou bien encore mieux, un sentiment d’avoir commis une action indigne de soi, ou une crainte d’avoir à subir le jugement défavorable d’autrui.

Oui, c’est bien de cela que je veux vous parler : la peur d’avoir à subir le jugement défavorable des autres, la honte !

Mais revenons‑en au début… Tout le monde dans sa vie a déjà vécu un moment de honte. Non ? Si ce n’est pas le cas, ça devait être tout près de la honte.

Je me rappelle très bien lorsque j’étais militaire à la base de Valcartier : un beau matin, j’occupais le poste de caissier de la base. J’avais des responsabilités importantes. J’étais le seul qui effectuait les divers paiements et à la fin de la journée, ça devait balancer. Puis ce matin‑là, une des superviseurs est passée et m’a dit « Bonjour Carl ». Elle m’a regardé et m’a dit : « Tu n’as pas l’air de bien aller, ce matin ». C’est alors que j’ai fondu en larmes et suite à cela, elle m’a demandé si je voulais un rendez-vous en santé mentale à la base militaire, ce que j’ai accepté.

Mais comme tout bon soldat, peu importe la tâche, la priorité, c’est toujours de servir son pays en premier ! Soi-même, ça passe après ! Bien, c’est ce que j’avais appris de la vieille armée ! C’est pour cela que c’est toujours difficile d’être militaire et père de famille en même temps. Quand le devoir t’appelle, souvent, l’éventail de choix n’est pas très large. Notre pays, le Canada, passe souvent avant la famille pour les militaires.

Arrivé à l’hôpital de la base, je devais emprunter l’escalier pour monter au deuxième étage. Le deuxième étage comprend seulement les services de santé mentale. Bon OK, avant d’aller vers l’escalier, je devais m’assurer que personne ne me voie ! Bien non, c’est l’escalier de la honte et en haut, c’est l’étage de la honte. Ce n’est pas permis pour moi qu’un autre me voie emprunter cet escalier pour aller en haut. Qu’est‑ce qu’ils vont penser de moi ? Je vais être un faible ?

J’ai attendu que le corridor soit libre de gens et j’ai emprunté l’escalier. J’étais encore stressé dans les marches parce que je ne savais pas si j’allais voir d’autres militaires à l’étage. Arrivé au deuxième étage, soulagement total ! Aucun militaire en vue, seulement du personnel civil. Après avoir été accueilli par les réceptionnistes, je me suis dirigé vers la salle d’attente. Et boom ! Ce fut la catastrophe, deux autres militaires étaient assis et attendaient, mais personne n’osait se regarder. De temps en temps, je regardais du coin de l’œil pour voir si on me regardait, mais non. Personne n’osait se regarder. Je n’étais pas le seul à avoir honte ! C’est ça la honte, la peur d’avoir à subir un jugement défavorable d’une autre personne.

Ce fut encore le même scénario, à la base militaire de St-Jean. J’avais ce réflexe de m’assurer que personne ne me voie monter au deuxième étage. Quand même honteux pour un sergent, d’aller au deuxième étage. Surtout quand tu as été instructeur et capable de former des pelotons de soixante recrues !

Quand on m’a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique l’année passée, je me suis dit : « Bon, est-ce que j’en parle ? » Et tout de suite, je me suis dit oui, je ne cacherai pas cela.

Pourquoi ? Parce que cela fait quatorze ans que je souffre de cette blessure sans le savoir. Ma femme a dû endurer beaucoup de crises et de colère de ma part. J’ai frôlé le divorce à plusieurs reprises. Mes enfants ont souffert de voir un papa qui criait envers eux pour des riens comme si c’était la fin du monde. Parfois, je leur ai même fait peur à mes tout petits enfants d’amour. Et pourtant je les aime tellement, mais j’étais blessé et personne ne m’avait aidé. Ils ont failli me perdre à plus d’une reprise, car j’étais dépressif.

Je me suis dit : au lieu d’avoir honte, je vais en parler. Je vais aider ceux qui sont comme moi. Ceux qui ont honte, ceux qui sont isolés et qui ont besoin d’aide. Parce que moi, les aider, ça me fait du bien aussi.

La honte c’est la peur d’avoir à subir le jugement défavorable des autres. La peur ne sert à rien dans la vie. Mais vaincre sa peur, voilà une chose enrichissante. Voilà une chose que je vais enseigner à mes enfants. Transformer sa peur en courage !

Carl Audet

Pas besoin d’un prince charmant pour la Saint-Valentin !

Je sais, tu dois ressentir beaucoup de pression depuis notre liaison

Je sais, tu dois ressentir beaucoup de pression depuis notre liaison. Écoute, ce n’est pas de ta faute ni de la mienne. Tu dois comprendre que depuis toujours, je ne suis pas comme les autres fillettes qui rêvent du prince charmant. Celui qui galope à toute allure sur sa monture et qui vient me délivrer en me donnant un baiser passionné. Celui avec qui nous vivrons heureux éternellement et avec qui nous aurons plein d’enfants.

Je sais, tu dois ressentir beaucoup de stress parce que je la joue comme une femme forte, solidaire, indépendante, fière et qui veut une grande liberté.

Je sais, tu dois être tout mêlé parce que je ne suis pas une princesse en détresse qui attend son prince pour se faire libérer le temps d’une soirée. Tu dois comprendre que je suis le « genre de femme » qui ressemble à une fille dans le film Les belles de l’Ouest. Tu te souviens de ce film ? Je l’ai écouté assez jeune à vrai dire (peut-être trop jeune quand j’y repense, mais bon…) et j’ai eu un déclic en voyant comment une femme pouvait se faire traiter dans la société et comment elle pouvait se choisir.

Ces femmes m’impressionnaient par leur caractère et leur entraide. Leur volonté d’être ce qu’elles veulent : courageuses, intelligentes, drôles, belles et heureuses dans une jungle remplie d’hommes affamés. Vivre à cette époque ne semblait pas facile ni de tout repos pour les femmes. Ce que j’aimais par‑dessus tout, c’est que ces femmes ont décidé de prendre leur vie en main et qu’elles ont retrouvé la liberté qu’elles méritaient. Elles étaient hors la loi, certes, mais elles étaient les reines de leur vie et non les spectatrices de la réussite de leur roi.

Je sais, tu as de la pression toi aussi, car tu as grandi avec les mêmes histoires de princesses et de chevaliers que moi. Depuis que tu es tout petit, on te montre des guerriers qui doivent conquérir des royaumes et sauver des princesses. Mais là, tu te retrouves avec une femme qui veut prendre les rênes et qui veut elle aussi être le personnage principal de sa propre histoire. Fidèle à sa personne, libre, rêveuse et heureuse. C’est ce que je veux et c’est ce que tu devrais vouloir toi aussi.

Je sais, je pense être la seule de ma génération à avoir écouté ce film, puisque certaines de mes amies attendent encore leur prince charmant. J’ai un peu de peine pour elles. Leur joie et leur bonheur dépendent de ce prince, « THE PRINCE » qui viendra faire de leur vie la vie qu’elles s’imaginent depuis leur tendre enfance.

En fait, en regardant ma génération et celles qui ont précédé la mienne, on s’aperçoit rapidement que les femmes étaient à la recherche, dans une quête sans fin, pour enfin trouver leur prince charmant. C’est vrai, regardez nos films de jeunesse. Ceux qui mentionnaient que Cendrillon était malheureuse jusqu’au jour où le prince l’a sortie de ses chaudrons. Même Blanche-Neige, qui était enfin heureuse avec ses sept nains (je suis certaine que deux nains tripaient sur elle !), a eu besoin de son prince pour la sortir de la mort avec un simple baiser. Et c’est un peu la même histoire pour la Belle au bois dormant.

Je suis convaincue que ni Cendrillon ni Blanche-Neige n’ont visionné le film Les belles de l’Ouest. Sinon, elles n’auraient pas attendu que leur prince vienne les sauver et qu’il leur donne une maison. Du confort. Des rêves. Du respect. Une vie.

Je sais, ce film m’a marquée. Il m’a enseigné la façon dont j’avais le goût d’être perçue par un homme. Il m’a appris la manière dont j’avais le goût de vivre ma vie à moi. J’imagine que tu ne seras pas étonné si je te dis que j’étais un peu plus p’tit gars manqué à papa que la petite fille à maman. Et que tu ne seras pas surpris, non plus, si je te dis que ça me plaît ainsi.

Je sais que je peux te faire peur, car je suis une belle de l’Ouest assumée qui ne laissera pas un homme décider de tout. De tout ce qui me concerne et encore moins s’il veut me marcher sur les pieds. Tu sais, les traces de nos pas qui marquent le sol sont uniques. On ne peut pas être tous les deux dans les mêmes traces. Mais, si tu veux emprunter le même chemin que moi et si tu veux qu’on ait notre propre royaume à conquérir ensemble, je serais très heureuse qu’on galope côte à côte. Tu pourras découvrir le genre de fille que je suis et peut-être qu’on pourra apprendre à se connaître réellement en dégustant un bon souper.

Qui sait, peut-être qu’un jour, je te donnerai un baiser passionné et que la pression te quittera. Peut-être qu’un jour, ce sera nous qui vivrons heureux et qui aurons beaucoup d’enfants, comme dans ces contes de fées.

Maman Gonflée !

L’amour et des citrons ( concours St-Valentin)

Ma grand-mère avait la peau brunie et légèrement craquelée par l

Ma grand-mère avait la peau brunie et légèrement craquelée par le soleil. Au printemps, quand il faisait doux et que la chaleur était encore supportable, elle passait ses journées entières à l’extérieur, à travailler et à parcourir de long en large sa citronneraie. Depuis toujours, depuis que les citrons sont jaunes, ma famille possédait l’une des plus anciennes plantations de citrons de la région. Les meilleurs citrons du monde !

Je passais tous mes après-midis là‑bas. Après les cours, je montais directement la voir. Ce que je préférais, c’était surtout de faire la route avec la fille des voisins, Florence. La maison de ma grand-mère était à flanc de colline, perchée dans la montagne et entourée d’arbres. Sa maison était un mas typique en pierres blanches. Je me souviens de ce début de printemps : les arbres étaient déjà bien chargés, la cueillette s’annonçait généreuse. La montagne était constellée de points jaunes, comme une pluie de météorites.

Pour monter jusque chez elle, nous devions gravir la route sinueuse en terre battue, bordée d’une végétation abondante sentant bon le cyprès. Même si l’ascension était difficile et pénible, le fait d’être avec Florence me revigorait, me donnait l’énergie nécessaire pour avancer. J’adorais passer ces longues minutes en sa compagnie ; elle avait toujours quelque chose à raconter. Je l’écoutais religieusement, car j’étais éperdument amoureux d’elle, et ce malgré mon jeune âge.

Je devais abandonner Florence un peu plus bas, juste avant le croisement séparant nos deux routes. Chaque fois, mon cœur s’emplissait de chagrin. Je continuais la route à reculons, pour la voir sautiller au loin. Bien vite, l’odeur acidulée des citrons frais dissipait mes tourments. Je lançais mon cartable sur le paillasson pour courir dans les allées rectilignes baignées par une lumière bigarrée de fin de journée.

Au loin, je distinguais la silhouette menue de ma grand-mère. J’adorais la regarder travailler. Dès qu’elle m’apercevait, elle revenait d’un pas lent, en soulevant la poussière sous ses pieds. Elle s’arrêtait parfois pour tâter un fruit ou deux, pour caresser le tronc d’un arbre trop chétif. Elle ramassait un fruit trop mûr et charnu tombé prématurément. Elle prenait grand soin de ramener précieusement le citron au fond de son tablier. Elle le sortait ensuite pour me le montrer, comme s’il s’agissait d’un trésor, d’une énorme pépite d’or jaune. Ses yeux brillaient, elle le palpait, le humait doucement et le tournant et retournant. Parfois je pensais même qu’elle allait l’embrasser, comme s’il s’agissait d’un fruit charnel.

Vous l’aurez compris, elle aimait les citrons. Elle savait tout faire avec le citron, du poulet au citron en passant par les meilleures tartes ; elle le cuisinait à toutes les sauces. Elle le mangeait en marmelade au déjeuner, confit et même séché. Elle en buvait avec de l’eau ou en limoncello. Je crois même qu’elle prenait son bain dans une eau citronnée, et qu’elle se lavait les cheveux en pressant un citron entier sur sa longue chevelure blanche. Elle sentait toujours un peu sucré.

Elle rentrait dans la cuisine en laissant la porte ouverte, pour faire entrer la brise du soir tombant. Ça rafraichissait la pièce. Elle se lavait les mains et laissait couler l’eau, prenait un long couteau affûté et tranchait en deux pièces égales le citron. L’écorce dure giclait, en éclaboussant ses mains. Il était toujours juteux, pulpeux et la chair voluptueuse. Elle se léchait les doigts pour ne rien perdre de son précieux élixir. D’une main habile et puissance, elle le serrait, le pressait pour en extraire tout le jus. Quelques pulpes bien galbées tombaient et se noyaient dans le verre. Ensuite, elle rajoutait l’eau fraîche, et des glaçons. Elle me l’offrait avec son plus beau sourire.

Elle allait chercher sa boîte de biscuits métallique pour que j’y puise deux ou trois madeleines au citron. Leur goût n’était jamais trop acide, elles étaient moelleuses et savoureuses, et ma limonade légèrement acidulée sur la langue me désaltérait. Elle se versait religieusement une once de limoncello recouvert de glaçons. Nous sirotions nos cocktails en attendant patiemment ma mère et en regardant le soleil s’évaporer au loin. Comme je vous le disais, j’adorais passer ces quelques heures avec ma grand-mère, mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était mon trajet avec Florence.

En ce début du mois de février, toute la ville était préoccupée par la fameuse fête des citrons. L’effervescence se faisait sentir partout, et tous s’affairaient aux derniers préparatifs pour que la fête soit un succès comme toujours. Je sais bien que ma grand-mère aurait voulu que je lui donne un coup de main. Mais elle voyait que j’étais préoccupé. Quelque chose de plus important m’habitait. Quoi de plus important à son avis que les citrons ? Car, c’est bien connu, rien n’est plus important que le citron, mais pas pour moi. Quelques jours plus tard, ce serait la Saint-Valentin et je n’avais toujours pas trouvé Le Cadeau. Je cherchais quelque chose d’unique et de magique pour Florence. C’était bien à elle que je pensais en ce mois de février. La veille de la Saint-Valentin, alors que nous buvions nos cocktails, ma grand-mère me demanda :

– Qu’est-ce qui se passe mon petit ?

Elle avait cette manie de m’appeler mon petit. J’avais juste hâte de grandir pour qu’elle arrête, mais je savais que quand elle prenait ce ton, elle était sincère et authentique. Elle attendait ma réponse, je ne pouvais pas me défiler.

Je lui ai répondu, l’air penaud, comme s’il s’agissait de la pire catastrophe du monde.

– Je ne trouve pas de cadeau pour Florence.

Elle eut un rire étouffé. Je détestais quand les adultes méprisaient les problèmes d’enfants. Elle se ressaisit en remarquant mon désarroi.

– Mais non, mon petit, nous allons trouver.

Elle se leva et alla plus loin. Elle revint avec un pot rempli de terre, avec une minuscule et frêle tige. J’étais déçu, triste et presque fâché contre elle.

Elle me caressa doucement et le plus sérieusement possible me dit :

– Tu sais, j’ai toujours pensé sincèrement que si tu as des citrons dans ta vie, tu as de l’amour et si tu as de l’amour, tu as des citrons. Pour moi, les deux sont indissociables.

Contes de faits (concours St-Valentin)

Il était une fois, une jeune femme pleine de vie et d’amour, qui

Il était une fois, une jeune femme pleine de vie et d’amour, qui le jour de la Saint-Valentin, il y a trois ans, débuta un zona… un vrai, bien intense, qui dura plusieurs mois. D’ailleurs, il lui en reste, encore aujourd’hui, des douleurs névralgiques en guise de souvenir.

Malgré cela, cette princesse de sang non royal poursuivait son dur labeur ménager pour remettre en état, réparer, plâtrer et repeindre sa demeure à la grandeur, dans le but de la vendre à prix bradé. Car un matin de novembre, sans crier gare, son prince charmant, qui s’avérait n’être, en fait, qu’un vilain crapaud, l’a crissée là, avec ses deux jeunes héritiers, dans leur château en chantier !

Tandis que ce prince aux belles manières sans grande valeur se rendait de bal en bal pour faire valser toutes les filles de joie, dans l’espoir de trouver pantoufle à son pied, la jeune femme rechaussa ses beaux souliers de verre coupant et partit à la conquête d’un nouveau royaume sans chimères où les enfants seraient rois.

C’est alors qu’en chemin, son vilain crapaud lui promit monts et merveilles et brisa tous les miroirs, afin de s’assurer que sa mal-aimée ne voie dans ses yeux que le prince charmeur dont elle était tombée amoureuse dix ans auparavant.

Follement accrochée à son idéal familial, la jeune princesse déchue crut ces belles paroles, et elle vécut malheureuse pendant une autre année qui lui sembla l’éternité…

Puis un jour, il n’y a pas si longtemps, la belle se réveilla enfin, grâce au dur baiser du cancer.

Il en aura fallu du temps… mais désormais, cette jeune femme libérée des illusions et délivrée des faux-semblants va pouvoir vivre sa vie comme dans un conte de faits !

Moralité de l’histoire : voilà ce qui arrive lorsque l’on berce les jeunes filles de chants de sirènes, et qu’on leur fait croire qu’il suffit d’aimer pour être heureuses. Mais encore faudrait‑il expliquer aux jeunes hommes que ce n’est pas par magie qu’on devient princes charmants, et que ce n’est pas dans les habits d’apparat que réside le vrai bonheur.

L’amour, tout comme un bouquet de roses rouges, est fait de doux pétales et d’épines.

Maintenant que vous êtes avertis que les coups de cœur ne portent pas toujours les couleurs de l’amour dans le miroir de la vie, je vous souhaite une Saint-Valentin sans lendemain de veille.

Vanessa Boisset

Bye Bye Dolly ( concours St-Valentin)

Karine a 24 ans. Elle vit son existence à fond. Elle recherche le

Karine a 24 ans. Elle vit son existence à fond. Elle recherche le plaisir auprès des hommes et des femmes sans discrimination. Elle est chanceuse : 2003 lui permet encore les flirts ouverts et la séduction. De l’autre côté du bar, elle aperçoit V., beau et fier dans sa quarantaine assumée. Ils se regardent, se désirent, se rapprochent et s’embrassent. Ils dansent collés et retournent chez lui terminer la soirée.

Une fois dans la chambre, Karine regrette. Son excitation initiale fait place à l’inquiétude. Il est tard et personne ne sait où elle est. V. est doux, attentionné, Karine est soudainement rassurée. En plein ébat, le ton change et V. se fait plus directif. Il lui dit qu’il veut immortaliser leur moment pour qu’elle s’en souvienne longtemps. Il fouille dans son tiroir et en sort une corde. Il attache Karine aux barreaux du lit contre son gré. Karine veut s’en aller, mais V. la rassure : il ne veut pas lui faire de mal. Il lui promet une belle surprise. Il est sûr qu’elle va aimer.

Karine sait que non. V. se lève et quitte la pièce. Il revient avec un rasoir dans les mains. Karine panique, se débat, essaie de desserrer ses liens. Elle a peur, il essaie de la rassurer. Il veut être unique à ses yeux. Karine se fâche et lui demande de la détacher. V. n’en fait rien et il s’assoit à cheval sur ses jambes. Il approche le rasoir de son sexe et commence à la raser. Karine le supplie d’arrêter et lui demande de la laisser partir. V. n’entend rien et continue ce qu’il a commencé.

  1. terminé et Karine pleure. Il ne comprend pas son attitude et la regarde, désemparé. Il s’excuse, il aimerait comprendre pourquoi elle réagit comme ça et il la détache, tout aussi troublé. Karine, le cœur qui bat la chamade, s’habille à moitié. Elle sort en courant et dévale l’escalier.

Vendredi 14 février 2003. Coin St-Denis/Beaubien, elle grelotte en attendant son bus et peine à reprendre ses esprits. L’insouciance de ses vingt ans est définitivement partie.

Aujourd’hui, le ministre français Villepin s’est prononcé en faveur de la guerre en Irak. Dolly, premier mammifère cloné, est morte euthanasiée et Karine prend une grande décision. Fini pour elle, les bars et les aventures d’un soir. À partir de maintenant, l’Amour avec un grand A, elle le cherchera dans les rayons des surgelés au IGA.

Le vent d’hiver s’adoucit et l’émoi de la soirée fait place à une grande reconnaissance d’être encore en vie. 4 h 25 le matin. Karine respire au rythme de l’enseigne clignotante du resto du coin et attend patiemment son autobus ; un grand V rasé dans son poil pubien.

 

Liza Harkiolakis

La nouvelle directive de lavage du linge sale

Mes deux filles viennent me voir dans la cuisine. L’aînée (dix a

Mes deux filles viennent me voir dans la cuisine. L’aînée (dix ans) me montre deux morceaux de vêtements propres.

– Regarde papa, mon chandail et mes pantalons sont à l’envers. Ils étaient comme ça dans le tiroir.

Sa sœur cadette (sept ans) fait oui de la tête en guise de soutien moral.

– Ah, tu as bien raison, dis-je en regardant les vêtements. Est-ce qu’il y a un problème ?

– Ben… comment ça se fait qu’ils sont à l’envers ? Il y en a plein d’autres qui sont aussi à l’envers dans mes tiroirs.

J’esquisse un sourire coquin.

– C’est à cause de la nouvelle directive de lavage du linge sale.

– Han ? Quelle directive ? répond l’aînée.

– C’est quoi une directive ? demande la cadette.

– La directive est entrée en vigueur avant-hier. Vous n’en avez pas entendu parler ? Bon, je vais vous l’expliquer.

Je prends le chandail que tient l’aînée.

– Supposons que tu aies envie de porter ce chandail aujourd’hui. Il est à l’envers, mais ça ne fait rien. Tu vas le porter ainsi et ce soir, tu vas l’enlever et le garrocher dans le panier à linge sale, n’est‑ce pas ?

– Euh… oui, répond l’aînée.

– Et lorsque ton cher papa aura fait le lavage, ce même chandail va revenir dans le tiroir mais, étrangement, il sera à l’endroit cette fois‑ci ! Tu vas le porter à nouveau, à l’endroit, et à la fin de la journée, tu vas l’enlever et le garrocher encore dans le panier à linge sale.

Lorsqu’il reviendra une troisième fois dans ton tiroir, tu sais quoi ? Il sera à l’envers ! Et ainsi de suite… À l’envers, à l’endroit, à l’envers, à l’endroit…

Mes filles me regardent d’un air perplexe.

– Est-ce que ça va être la même chose pour mes pantalons ? demande l’aînée.

– Oui.

– Pour mes vêtements aussi ? demande la cadette.

– Oui.

– Mais pourquoi nos vêtements seront à l’envers des fois et à l’endroit les autres fois ? demande l’aînée.

– Ah ! C’est une excellente question. Je vais y répondre avec une p’tite suggestion. Mes deux amours, dorénavant, quand vous enlèverez vos vêtements le soir, remettez‑les donc à l’endroit avant de les garrocher dans le panier à linge sale… parce que le concierge a décidé qu’il ne les remettait plus à l’endroit avant de les laver. Il prend les vêtements dans le panier et les lave tels quels. T’sais, y’é un ti peu tanné, le concierge.

Martin Dugas

 

Papa, j’ai perdu ma brosse à cheveux !

Une scène plutôt fréquente chez moi : ma fille aînée (dix ans) ou bien sa sœur cadette (sep

Une scène plutôt fréquente chez moi : ma fille aînée (dix ans) ou bien sa sœur cadette (sept ans) vient me voir en pleurnichant parce qu’elle a perdu un jouet, son toutou préféré ou bedon ses crayons à colorier quelque part dans la maisonnée. Chaque fois, c’est la panique totale. Sonnez l’alarme ! Code : Red… I repeat, Code: Red. This is not a drill… Peu importe ce que je suis en train de faire, je dois m’arrêter sur‑le­‑champ et partir à la recherche de l’objet précieux, parce que ÇA PRESSE. Je suis en train de faire la vaisselle ? Alors je lâche tout et me mets à courir dans la maison comme un débile, les mains dégoulinantes d’eau et de savon à vaisselle…

 

Wo.

 

Minute moumoute.

 

Je ne réagis jamais ainsi.

 

J’aborde toujours ce genre de situation de la même manière : avec un calme désarmant et une approche cartésienne.

 

— Tu as bien regardé dans ta chambre ?

— Oui.

— As-tu cherché ailleurs dans la maison ?

— Oui.

— Tu as vraiment fouillé partout, partout ?

—Hmm-hmm.

— As-tu soulevé certains objets pour voir si ce que tu cherches n’est pas caché en dessous ?

— … oui !

— Tu as regardé derrière les portes ?

— PAPA !

 

Je pousse un soupir.

 

— Bon. Viens avec moi, on va aller chercher ensemble…

 

Et, en moins de deux minutes, je trouve l’objet en question. Cette fois‑ci, une brosse à cheveux. Où diable était-elle ? Dans l’un des tiroirs de la commode dans sa chambre. Dans le PREMIER tiroir que j’ai ouvert, en plus.

 

Je tourne le regard vers ma fille.

 

— Tu n’avais pas regardé ici, hein ?

 

La mine coupable, ma fille fait non de la tête.

 

That’s it. Chu pu capable.

 

J’impose un programme de formation à mes deux filles.

La R.S.M.O.P.M.

Recherche Systématique et Méthodique des Objets Perdus dans la Maison.

 

Et pour le tout premier cours de cette formation révolutionnaire, j’ai une idée machiavélique : je vais cacher leurs iPod quelque part dans la maison ! Oh, yes! À un endroit où elles ne penseraient jamais les avoir laissés. Je suis convaincu que leur motivation à apprendre à mieux chercher les objets égarés sera au rendez‑vous et que la formation R.S.M.O.P.M. se donnera par elle‑même… et qu’elle sera un succès foudroyant !

 

Martin Dugas

Lily (concours St-Valentin)

Elle l’a tout de suite reconnu, dès qu’il est entré dans la bo

Elle l’a tout de suite reconnu, dès qu’il est entré dans la boutique…

L’heure de la fermeture approchait, il restait quelques clients indécis. Elle était derrière le comptoir. Elle s’est quand même sentie rougir, tout en baissant la tête pour compléter l’emballage d’une rose. Son cœur battait si fort qu’elle croyait que tous l’entendaient. En fait, toutes les émotions qu’elle connaissait si bien, en sa seule présence.

La dernière fois qu’elle lui avait parlé, à l’improviste, elle lui avait bégayé quelques phrases. Des banalités. Comme ce que vous disent des personnes âgées en partageant un ascenseur. Rien de ce qu’elle aurait voulu réellement lui dire. De ce qu’elle ressentait pour lui.

Pour un jeudi, c’était une journée très achalandée. Normal, la Saint-Valentin est toujours comme ça. Tant d’hommes qui croient qu’un bouquet peut tout faire oublier. Pire, ces clients qui en achètent deux. En lui ajoutant nonchalamment : « Surtout, ne mélangez pas les cartes ; le message n’est pas le même pour le plus gros ! » Avec un clin d’œil de macho infidèle.

Malgré sa fébrilité, elle était déçue. Elle était si heureuse de le voir, mais pas aujourd’hui. Le scénario était convenu. Il lui demanderait un bouquet pour son amoureuse. Une femme qu’elle enviait déjà, sans la connaître. Elle ferait de son mieux pour ne pas frémir. Pour se la jouer normale. Avec le sourire, mais le cœur triste. C’était à son tour…

– Allo Lily, j’aimerais avoir un bouquet. Peux-tu m’en faire un qui dégage tout l’amour que j’ai pour elle ? Disons, pour un total de 50 $ avant les taxes. Je te laisse choisir…

Juste d’entendre sa voix, c’était presque trop. Elle s’est efforcée d’écouter la suite. De tenter de le servir comme tout autre. Malgré sa déception. S’il savait. Si elle pouvait enfin oser. Tout ce qu’elle se voyait lui dire, certains soirs, avant de s’endormir en pensant à lui. Depuis près d’un an. Déjà.

Se mettre en mode automate, son seul salut. Le nez bien enfoui dans le frigo. À faire l’impossible pour que ses mains ne tremblent pas. Elle sentait toute sa présence derrière elle. Pour y parvenir, elle fera les choix comme si le bouquet, c’était pour elle. En espérant qu’il ne constate pas le lys. Un message à peine codé. L’emblème de l’innocence et de l’amour pur.

– Wow, tu ajouteras une rose rouge, s’il te plaît ! J’ai une faveur à te demander, peux‑tu aussi écrire le texte pour moi ? J’ai peur qu’elle ne puisse me lire…

C’était presque de la torture. Elle voulait se dévoiler. Là, avant qu’il ne parte pour en combler une autre. J’écris quoi ?

– Si tu savais depuis quand je veux te le dire. J’espère que tu aimeras ce bouquet, même si ce n’est pas très original, pour toi. Je t’aime…

Elle a pleuré, quand il a ajouté après une pause qui lui a paru une éternité.

… Lily !

 

michel

Fêter l’amour ( Concours St-Valentin)

Chaque année, il la surprenait. En cette journée de leur rencontre

Chaque année, il la surprenait. En cette journée de leur rencontre, il trouvait toujours un moyen de l’émouvoir et de faire fondre son cœur de bonheur. Toujours. Cet homme grand et fort, à la chevelure brune rebelle, avait percé son âme avec ses yeux verts flamboyants, vingt années auparavant.

Chaque année, elle criait de surprise, des larmes de bonheur salant ses joues roses, et elle se jetait dans ses bras, si réconfortants. Ce romantisme infini ne cessait de l’impressionner. Il trouvait toujours LA grande idée pour fêter leur amour. Il lui disait que c’était elle qui l’inspirait chaque jour, par sa beauté et sa grande générosité.

Elle aimait tout chez lui. Ses lèvres si douces, ses mains si fortes, son cœur de père si présent et attentif, son rire si facile, son visage si beau, sa manière de regarder leurs enfants avec tant d’émerveillement et de fierté, sa cuisine si délicieuse, son charme si pur, ses surprises si insolites chaque année…

Cette année encore, il s’était dépassé.

Assise sur ce banc en bois dans ce parc qu’ils aimaient tant, elle sentait sa chaleur. Elle se blottissait contre son âme. Sa main posée contre cet arbre nourri des cendres de celui qu’elle aimerait pour la vie, elle leva les yeux au ciel en poussant un souffle de douleur. Et les premiers flocons de la saison vinrent se fondre dans ses larmes… encore cette année il avait su la surprendre. Il savait à quel point elle aimait tant la neige. Il la connaissait par cœur. Il était son autre, sa personne, son amour, sa vie… il était…

Le ciel envoyait des milliers de petits flocons scintillants, virevoltant au vent. Ils dansaient sans jamais se poser. Éternels diamants, promesse d’un amour plus fort que la mort. Elle lui sourit. Apaisée. Il était là. Il serait toujours là.

Gwendoline Duchaine

Où cela nous mène (concours St-Valentin)

Je n’aime pas les conventions, les cœurs en ballons, les cartes q

Je n’aime pas les conventions, les cœurs en ballons, les cartes quétaines, les roses et les chocolats trop sucrés. Peut-être parce que je n’en reçois jamais. Je hais la Saint-Valentin, je chante à tue-tête la chanson d’Anaïs : « Je hais les couples qui me rappellent que je suis seule ! Je déteste les couples, je les hais tout court ! » Je me prépare à passer la soirée dans un bar de banlieue sans rien attendre de la vie, de l’amour, d’un homme. Je sais je suis pathétique, je suis une antiromantique. L’amour, c’est pour les faibles. Et moi, je suis une femme libre, libérée, mais parfois, ce n’est pas si facile d’être une femme libérée. Comme ce soir. Robe noire trop courte, talons hauts, décolleté plongeant, on pourrait s’y prendre dedans, cheveux remontés, yeux de biche, mon déguisement de femme fatale. I’m a femme fatale. Une dernière retouche de rouge à lèvres, rouge passion, rouge poison. Je monte dans mon taxi.

Accoudée au bar en bois, imbibé de bière cheap, je suis à la dérive. La soirée est longue, les couples défilent sur le dance floor, langoureux, mielleux, collés l’un à l’autre comme des moustiques sur un ruban adhésif, prisonniers. Je t’aime à la folie, comme une puce à l’agonie.

Malgré la noirceur de la pièce, mal éclairée par une lumière bleutée, je distingue son regard, comme dans un miroir, de l’autre côté du bar. Deux billes à peine perceptibles dans la nuit noire m’observent. Comme un prédateur prêt à sauter sur sa proie. Un regard profond qui m’appelle, qui me supplie de le suivre au cœur des ténèbres. Je sais déjà à ce moment‑là que je suis au bord du gouffre, prête à perdre pied, à me perdre. Il s’est approché, furtivement, en évitant les corps étreints.

Il arrive près de moi, une décharge électrique me touche, me foudroie. Nos deux corps sont attirés comme des aimants. La musique de plus en plus forte nous oblige à nous rapprocher pour faire notre séance de bienséance : nom, numéro, pedigree. Son haleine me pique les yeux. Mais je m’en fous. Après quelques brefs échanges et plusieurs shooters ingurgités, nos deux bouches réchauffées par la vodka se sont avalées. Embrassées aurait été le mot juste, mais j’aime bien l’idée d’un baiser avide et presque glouton. Mon régime sec me creuse. Ce soir, c’est jour de fête, tous les écarts sont permis. Session de selfies pour immortaliser notre rencontre.

Sans rien dire, nous sommes rentrés, ensemble. Dans le taxi de retour, nos mains baladeuses se réchauffent sous nos vêtements. Le grain de sa peau est brûlant dans la nuit froide, on dirait que mes doigts effleurent une plage au soleil. Un all inclusive d’une nuit. Nous allons chez lui. Le désir brûle mes entrailles. Je suis ivre, ivre de lui. À peine entrés, nos habits ont déjà volé, envolés comme par magie.

Dans sa chambre, dans son lit, c’est notre terrain de jeux. Comme deux gamins qui courent, nous nous fracassons l’un sur l’autre avec passion, avec violence. Nos onomatopées emplissent le silence. Et ensuite, plus rien, nous nous endormons dans la sueur de nos orgasmes. Dans sa chambre vétuste, l’odeur aigre de nos ébats est accrochée aux murs. Les draps froissés portent les stigmates de nos deux corps encore rongés par le désir. C’est le néant ou le chaos, je ne sais pas trop. Il est déjà tôt ou trop tard, le soleil se lève à peine, je dois rentrer. Pas de café, pas d’au revoir, je n’aime pas les lendemains, c’est pourquoi je pars avant.

Mes choses égarées, vite revêtues, je sors. Le froid glacial me prend, me saisit, me lacère. Je marche plus vite en regardant mon téléphone. Un arrêt d’autobus, j’attends une éternité. Ma nuit me semble bien courte tout à coup. Les rues se chargent doucement, la ville se réveille, moi je m’endors. Mon autobus arrive, j’y monte, m’y engouffre. Balancée sur mon banc, je regarde mon compte Facebook, je le cherche, je le trouve. Il est beau, comme dans mon rêve. Il m’envoie une invitation, il est réveillé. J’accepte, pourquoi refuser, nous sommes déjà intimes !

– Déjà partie ? Je te cherchais, j’ai eu peur d’avoir rêvé !

– Oui, j’ai des choses à faire.

Mensonge. Clin d’œil.

– Tu es où

– Dans l’autobus

– On se revoit

– Pourquoi pas

– Où et quand

– Je ne sais pas

– Maintenant ?

Smile.

– Non, j’peux pas

– Pourquoi, un bon café chez moi, reviens, l’autobus va dans les deux sens

– Depuis quand les hommes invitent une fille pour boire un café ?

– Depuis qu’on a couché ensemble… tu t’en souviens ?

– MDR

Smile qui rit aux éclats

On se plaint toujours quand ils ne nous rappellent pas, on les trouve trop pressants quand ils rappellent trop vite. Je ne sais pas quoi penser, je ne sais pas ce que je veux. Perdue dans mes pensées, je défile sur son Instagram ; beau, beau, beau, abdos, shape, filtres et retouches. Il est mon île tropicale au milieu de l’hiver interminable. Je cherche, je fouille. J’en apprends un peu plus sur lui, c’est qu’on n’a pas vraiment eu le temps de parler. Nos bouches étaient occupées à autre chose.

Il m’envoie une photo : une tasse fumante de café. Je sens presque l’odeur corsée. Il fait froid dans l’autobus, je me réfugie dans mon écharpe. Les gens entrent et sortent, les immeubles défilent, et moi je surfe sur son profil. Je me perds dans les clics et les liens. On s’envoie des messages, sans buts, sans queue ni tête. C’est interminable, on rattrape le temps devant nos écrans. C’est tellement plus facile de connaître quelqu’un de cette manière. Pourtant, son corps me manque sous la chaleur de sa couette.

Je lève la tête, l’autobus est immobilisé, je ne sais pas où je suis, dans un hangar, un garage… parfois, l’amour peut nous mener loin, trop loin. Je suis au terminus, coincée dans l’autobus.

Gabie Demers