L’été de mes seize ans

J’avais seize ans, lui dix-sept.

J’étais caissière et lui, emballeur, dans une épicerie. On n’habitait pas la même ville, on n’allait pas à la même école secondaire, mais on travaillait ensemble et on se parlait à peine. Je le trouvais cute, pis ça a l’air que lui aussi, il me trouvait cute, malgré mes broches et mon uniforme trop grand aux couleurs douteuses, à l’effigie de l’épicerie en question.

Un soir de juin, en finissant mon quart de travail, je suis allée le rejoindre dans le back-store du magasin, pour lui remettre courageusement mon numéro de téléphone que j’avais écrit simplement, de mes mains moites, sur un papier de facture de caisse. En fait, ça n’avait rien de courageux, je lui ai presque lancé le papier en plein visage en me sauvant. Je me rappelle qu’il m’avait dit : « Veux-tu que je te donne le mien ? » J’avais répondu, en parlant trop vite : « Non ! Comme ça tu n’auras pas le choix de m’appeler ! »

Il m’a appelée. J’avais seize ans, lui dix-sept. Je suis devenue sa première blonde.

Aujourd’hui, en ce soir de juin, j’ai trente-et-un ans. Je me rappelle ces doux moments-là vécus en juin, il y a quinze ans.

Ce soir, je suis en pyjama. Je porte mon pyjama le plus laid et j’ai les cheveux gras. L’homme avec qui je partage ma vie a eu une grosse journée. Il regarde le soccer à la télé pendant que je travaille à la table de cuisine. Le chien à chaud. Les enfants dorment enfin. Le dernier, aka Monsieur-j’ai-deux-ans, a fait des crises toute la soirée. Ça fait des nuits qu’on dort mal. L’aînée de six ans a fait un cauchemar cette nuit et est venue dormir avec moi tandis que l’homme est allé se coucher dans la chambre d’amis. La vie, quoi !

L’homme se lève, lâche un pet, va préparer son lunch. Pis moi, j’arrête de travailler pour penser à l’été de mes seize ans.

On a frenché en masse cet été-là, mon emballeur et moi. C’est aussi avec lui que j’ai fait l’amour pour la première fois…

Oups, l’aînée de mes enfants me sort de mes pensées, son p’tit rhume la fait tousser. Elle s’étouffe, pleure et a besoin d’être consolée. Bon, elle se rendort. L’homme va prendre sa douche, la partie de soccer est terminée.

L’été de mes seize ans, c’était un bel été. Comme celui de mes dix‑sept, dix‑huit, dix‑neuf… Bref, comme ceux des quinze dernières années.

On va se le dire, y’en a eu des plus tough que d’autres. Y a eu des périodes moins roses que d’autres. Mais demain, ça fera quinze ans que j’ai frenché mon bel emballeur pour la première fois. On s’est vus terminer nos études secondaires. Il m’a encouragée à aller étudier ma passion première et à en faire mon métier. Je l’ai vu bûcher à l’université. On s’est mariés. On s’est vus devenir parents (et il est le meilleur des papas). On s’est vus rénover. On s’est vus devenirs « grands ». Il m’a vue tenir la main de sa maman malade, je l’ai vu devoir la laisser aller. On s’est vus pleurer. On s’est vus rire.

En quinze ans, on a créé pleins de souvenirs. En quinze ans, on a toujours été amis, mais surtout amoureux. Notre amour a grandi, pour le mieux.

Ouais, ce soir, je porte mon pyjama le plus laid, j’ai les cheveux gras et l’homme pète allègrement.

Mais aussi, on frenche le dimanche matin pendant que les enfants mangent et que le blender prépare nos smoothies.

On danse ensemble en mettant des tounes quétaines beaucoup trop fort et les enfants nous disent d’arrêter, mais on ne les écoute pas.

On rit des mêmes jokes plates. Généralement. (Des fois, les siennes sont VRAIMENT plates.)

On n’est pas parfaits, mais on s’aime ben. Une grosse coche au-dessus de ça, même.

C’est ça la vie.

C’est pas toujours rose, c’est pas toujours drôle. Ce n’est jamais parfait et c’est correct comme ça.

Reste que quand je pense à l’été de mes seize ans, je souris. Je nous trouve chanceux d’avoir ensuite évolué au même rythme, d’avoir voulu prendre les mêmes chemins.

Quand je vois un jeune couple d’environ seize ans, les yeux pleins d’étoiles, je souris. Je me dis que peut-être un jour, ils frencheront devant le blender, en attendant leurs smoothies, pendant que leurs enfants auront le dos tourné.

En tous cas, je leur souhaite !

P.S. L’homme a encore, dans son portefeuille, le papier de caisse sur lequel j’avais inscrit mon numéro de téléphone. Il pète, mais il est cute, non ? 😉

Caroline Gauthier



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