Notre vasectomie
Le rendez-vous pour la vasectomie est prévu le mois prochain.
On a décidé d’avoir nos enfants quand nous étions encore très jeunes, pour pouvoir profiter d’eux encore plus longtemps. Nous avons eu plusieurs enfants et formé une belle grande famille. Malgré tout, on n’a jamais eu le déclic qui nous confirmait que c’était fini pour nous.
Vous savez, LE déclic… Quand on demandait à nos amis s’ils désiraient d’autres enfants, peu importe qu’ils soient parents de 1, 2, ou 3 enfants, ils nous répondaient sur un ton ferme et assumé : « Ho non! On en a assez, c’est fini les bébés pour nous! ». Et nous, on n’a jamais ressenti ce déclic-là, ce sentiment que nous étions rendus ailleurs…
Mais le temps a passé et l’eau a coulé sous les ponts. Les enfants ont grandi et nous, on a vieilli. Notre aînée aura neuf ans… La plus jeune entre à l’école… et la raison a commencé à prendre le dessus tranquillement…
Le rendez-vous pour la vasectomie est prévu dans deux semaines.
Les enfants sont grands, c’est fini la poussette, la coquille dans l’auto, les couches et les nuits blanches. Les enfants sont de plus en plus autonomes et les matinées de plus en plus tardives. On profite d’une nouvelle liberté. On peut faire des sorties amusantes, des voyages plus longs et plus éloignés…
On prépare les repas en amoureux pendant que les enfants jouent dehors, seuls. On n’a plus besoin de garder un œil constant sur eux, de peur que l’un d’eux déboule les escaliers, avale un raisin-pas-coupé ou décide de tester les prises de courant…
Je vous l’avais dit, la raison prend le dessus… Mon corps ne tolère plus les hormones et les pilules contraceptives, on a donc besoin d’un moyen plus définitif pour assumer notre décision. Je dis ça comme si on avait vraiment pris une décision, et comme si on l’assumait… Ce n’est pas vraiment le cas pourtant. On se range du côté de la raison tranquillement et on fait taire nos cœurs de parents.
Le rendez-vous pour la vasectomie est prévu dans une semaine.
Parce que pour nous, les couches, les nuits blanches, les sorties, la poussette et tout-le-tralala, ce ne sont pas des enjeux réels… Mon cœur de maman rêve encore secrètement d’allaiter, de bercer, de border et de prendre soin d’un petit nous… Mon cœur de maman sonne l’alerte bien fort, mais c’est encore la raison qui prend le dessus…
La société québécoise actuelle n’est pas conçue pour les familles nombreuses… Les enfants ont grandi et nous, on a vieilli. J’ai arrêté de prendre la pilule il y a huit mois et je ne suis pas tombée enceinte depuis… Je pense que la vie se range aussi du côté de la raison. La vie veut peut-être nous faire comprendre que c’est bel et bien fini, pour nous aussi. Et nous, on a toujours fait confiance à la vie. Si quelque chose doit arriver, ça arrivera. Sinon, c’est que ça ne devait pas se produire.
Le rendez-vous pour la vasectomie est prévu demain.
Nos cœurs de parents crient à l’unisson ce soir. Mais la raison a pris le dessus. Il faut qu’on apprenne à faire notre deuil. Je dois faire mon deuil de la grossesse, de l’allaitement, du portage, des berceuses… Ce soir, on laisse nos corps s’unir et la vie décider.
Je suis au travail. L’amour de ma vie est allé à son rendez-vous seul. Il me texte. L’intervention s’est bien déroulée. Il est déjà de retour à la maison. C’est vrai cette fois… C’est fini pour nous aussi. Je le réalise tranquillement et mon cœur fait un gros bond. Je sais que je vais appréhender ce deuil en douceur. Le soir venu, il me prend dans ses bras et je sais que nos cœurs raisonnent encore à l’unisson.
Les jours passent, son corps cicatrise et le deuil commence à se faire… Dans quelques semaines, le spermogramme nous confirmera que tout est bel et bien fini. C’est l’une des décisions les plus difficiles que nous ayons eu à prendre dans nos vies. Une décision où la raison a pris toute la place et où les sentiments ont été mis de côté. Parfois, c’est juste la bonne chose à faire. Ma tête comprend, mais mon cœur est encore en apprentissage…
Joanie Fournier