Revenir à l’essentiel – Texte: Joanie Fournier
Il y a quelques semaines, nous avons fait partie des milliers de malchanceux qui ont perdu l’électricité pendant 48 heures… Ça n’a l’air de rien, 48 heures. Mais je te promets que lorsque tu as une famille nombreuse, dont un bébé, c’est un 48 heures vraiment angoissant. Mais ce n’est pas l’angoisse qui a marqué notre aventure, c’est le retour à l’essentiel.
L’électricité a coupé en soirée. On venait juste de mettre bébé au lit et les plus grands se préparaient à aller dormir. Les grands vents venaient à peine de se lever, alors on imaginait bien que la panne durerait toute la nuit. On a donc monté un grand matelas sur le plancher de notre chambre et rassemblé toutes les couvertures possibles. On a couché les plus grands, tous ensemble sur le matelas, et on les a ensevelis de plusieurs couches de douillettes chaudes. On a pris le bébé avec nous, dans notre lit, pour le réchauffer au maximum.
Pour les plus grands, c’était le rêve : du camping en famille tous dans la même pièce. Ja-mais on ne fait ça ! On les entendait rigoler sous leurs mille couvertures et nos cœurs de parents trouvaient ça adorable. On s’entend que mon mari et moi n’avons pas fermé l’œil. Même avec la porte de la chambre fermée, on se levait constamment pour aller couvrir un petit pied sorti des couvertures. On touchait au bébé toutes les heures pour s’assurer qu’il n’ait pas froid. On riait tous les deux, dans le noir, parce que le fou rire nous guette chaque fois qu’il ne faut pas faire un son. Même si on est des adultes… Nous aussi, on avait envie de rigoler comme des enfants. On pensait à nos jeunes années dans la crise du verglas et nos cœurs d’enfants savaient qu’on était en train de créer de beaux souvenirs pour nos petits.
Puis, le matin venu, on a pu constater que l’électricité n’était toujours pas revenue… Il faisait 10 °C au rez-de-chaussée. On a pu remplir le bain de bébé avec assez d’eau chaude pour se laver sommairement. On a laissé les enfants dans la bulle de chaleur de notre chambre. Ils ont joué à des jeux de société et mangé toutes les collations habituellement réservées aux boîtes à lunch de l’école. Ils étaient bien ! Nous, adultes responsables, sommes descendus pour tenter de limiter les dégâts. Mon mari est parti au sous-sol pour gérer la pompe. La température étant juste au-dessus du point de congélation, l’eau montait dans les sous-sols du voisinage… Il fallait rester bien proche et vider à la chaudière ce qu’on pouvait pour éviter l’inondation. Ça coûte tellement cher, les rénovations. De mon côté, je me suis occupée de vider le contenu des réfrigérateurs. Trier l’essentiel et tout installer dehors, avec des glacières et de la glace pour éviter de perdre de la nourriture, autant que possible. Ça coûte tellement cher, l’épicerie…
Plus la journée avançait, plus nous réalisions que nous allions atteindre le premier 24 heures et que l’électricité n’était pas près de revenir… Nous avons utilisé le bain d’une mamie pour au moins nous laver comme il se doit. Nous avons abusé de tous les restaurants qu’on aime et dont on se prive habituellement. Les assurances nous ont bien avertis qu’ils ne couvraient aucun frais de restauration ou de logement si nous décidions d’aller à l’hôtel… Mais de toute façon, nous ne pouvions pas aller bien loin… Il fallait continuer de guetter la pompe et le niveau de l’eau dans le sous-sol de la maison.
Dans ma petite municipalité, les gens sont extrêmement généreux. Plusieurs proposaient de se regrouper pour manger ou pour se réchauffer près d’un foyer. Un homme passait dans la rue, d’une maison à l’autre, pour proposer de brancher sa génératrice sur les pompes et sauver le maximum de maisons. L’électricité n’est revenue que le surlendemain soir. Les enfants ont même eu congé d’école. Leur école s’est transformée en centre d’urgence, parce que bien des familles ont vu leur maison inondée.
Oui, on a vécu de l’angoisse. On a eu peur que le bébé ait froid. On a eu peur de perdre des milliers de dollars de viandes congelées. On a eu peur que notre belle maison soit inondée. On a eu peur de manquer d’argent pour tout payer, juste avant Noël. On a eu peur que nos soucis d’adultes prennent le dessus.
Mais ce n’est pas cette angoisse qui a pris le dessus.
On a vu tellement de générosité et d’entraide. On a vu des sourires et des gens prêts à tout pour aider les autres, sans rien attendre en retour. On s’est collés, tous ensemble, plus que jamais. On s’est gardés au chaud, sur nos corps et dans nos cœurs. On a ri, on a joué. Le temps s’est figé, juste pour nous. Juste pour qu’on profite de nous. Et nos enfants raconteront à leurs enfants la fois où ils auront manqué d’électricité… et peut-être que comme nous, ils auront un fou rire en pleine nuit en y repensant. Parce que parfois, le cœur léger d’un enfant pèse bien plus que les lourds soucis d’un adulte. Et ça doit être ça, revenir à l’essentiel.
Joanie Fournier