Chercher le sens : le quotidien d’une psychologue pour enfant

Vous défilez dans mon bureau chaque semaine. Je vous accompagne pour des motifs variés : anxiété, dépression, idéations suicidaires, trouble alimentaire et j’en passe. Vous avez 4 ans, 8 ans, 13 ans, 16 ans, peu importe, je vous rencontre et je vous écoute. C’est mon travail, je suis psychologue. Bien souvent, vous ne savez pas trop ce que c’est mon métier. Vous arrivez avec vos doutes, vos craintes, vos défenses. Pour certains, c’est une première, pour d’autres je surviens après une longue liste de professionnels rencontrés, de diagnostics émis, de médications essayées. Mes collègues vous voient, vous saluent, mais ne connaissent pas votre histoire. Vous avez l’air rieur, confiant, arrogant; pourtant, quand la porte de mon bureau se ferme, c’est toute votre souffrance qui prend la place. Plus le temps avance et plus vous êtes à l’aise. Ça prend quelques minutes pour certains, des mois pour d’autres, mais nous réussissons toujours à bâtir une relation de confiance. Je vous trouve courageux, brillant et pertinent.

 

Ce que je fais avec vous est simple et complexe à la fois : nous cherchons le sens. Chercher le sens, ça veut dire voir au-delà du symptôme. Ça veut dire que vous n’êtes pas fou, votre corps, vos comportements et vos paroles livrent le message d’un mal‑être beaucoup plus profond. Ce qui est merveilleux, c’est qu’en le trouvant, en le nommant et en le pansant, les symptômes s’atténuent, puis disparaissent. lls n’ont plus lieux d’être. Il ne s’agit pas de mauvais symptômes à dresser, contrôler ou faire disparaître, au contraire, ce sont les alliés de votre santé mentale. Vos crises de panique, d’angoisse, de rage, elles nous permettent de comprendre le sens de votre souffrance, le sous ‑texte de votre vie que vous n’arrivez pas à mettre en mots ou encore pire, qui a été mis en mots, mais ignoré et qui ressort en maux. Je ne suis pas l’experte qui vous aide, j’ai autant besoin de vous que l’inverse, car sans votre confiance et vos confidences, je ne comprends pas plus que vous ce qui vous arrive. C’est vous les experts de votre système; je possède les connaissances, vous possédez la réalité de votre quotidien et ensemble, on co-construit un espace de réflexion, d’écoute puis de changement.

 

Parfois, je me sens mal de tout ce qu’on vous demande, nous comme société. Je trouve, en effet, qu’on vous demande d’être dans la norme dès votre arrivée dans le ventre de votre mère. Ni trop gros, ni trop petit, préférablement avec le bon nombre de chromosomes. Même chose à votre arrivée au monde : il faudrait idéalement boire aux quatre heures, ne pas trop perdre de poids et le reprendre bien vite. Dormir seul à quatre mois, être propre rapidement, être sociable, bien vous intégrer à la garderie et à notre rythme de fou. Et hop, vous voilà rendu à l’école où, là aussi, il y a beaucoup de consignes et peu de place pour la différence. Apparemment, vous êtes plus royal qu’avant. Personnellement, ça ne m’inquiète pas, ça me rassure. Parce que oui, il n’y a pas si longtemps, tout le monde écoutait à l’école et personne ne remettait en question l’autorité parentale, mais pour quelle raison? Par peur? Parce que les émotions, ce n’était pas si important? Parce que la petite sœur au couvent pouvait donner un coup de règle? Je vois là le symptôme d’une génération à qui on apporte plus de soin, une génération qui nous crie nos imperfections. Je vois là une occasion de grandir, d’échanger, de nous écouter. Je vois là des enfants qui étouffent dans des cases rigides où le temps va trop vite et où la peur est au cœur des relations et des décisions. Mais s’il arrivait ceci ou cela? Mais si à l’adolescence, ça empirait? Mais si on laisse faire ça, qu’est‑ce qui arrivera ensuite? Avec nos peurs, nous perdons de vue l’essentiel : votre capacité à vous adapter et à changer si seulement on vous accueille et on vous encadre. Oui, il en faut des règles, un cadre, des limites, sans elles vous êtes perdu, sans elle vous allez trop loin et vous vous perdez de vue. C’est pour cela que la relation est importante, la réciprocité, l’échange, ce regard bienveillant qui apporte le réconfort et qui enseigne sans brimer.

 

 Merci de votre authenticité, merci de nous rappeler les failles de notre société, merci de nous faire réfléchir et grandir. J’espère que vous avez, sur votre chemin, des adultes significatifs qui croient en vous pour ce que vous êtes et non ce que vous faites : un père, une mère, un enseignant, un oncle, des grands-parents, peu importe, quelqu’un qui ne veut pas vous changer, qui prend le temps de vous écouter et de vous souligner ce qui vous rend unique. Et s’il faut aller voir un professionnel, je vous souhaite qu’il soit disponible et ouvert, qu’il vous fasse sentir bien et qu’il cherche avec vous à faire émerger votre identité dans ce qu’elle a de plus authentique. Votre potentiel est immense lorsque vous êtes bien accompagné.

 

Roxane Larocque



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