Égo-médias
Je ne réinventerai pas la roue en parlant des aspects néfastes des médias sociaux. Mais en lisant le livre I Hate You. Don’t Leave Me de Jerold J. Krisman et Hal Straus, j’ai eu le goût qu’on parle de communication et d’humains, et oui, de médias sociaux.
Les médias sociaux sont nés en même temps que le millénaire. À ce moment, mes enfants étaient encore à l’état d’ovules célibataires dans mon ventre. Dans mon cœur, ils étaient déjà bien présents. Je les rêvais. Je rêvais qu’ils grandissent dans un milieu ouvert et communicatif comme celui qui m’a vue grandir. Et ouf ! Jusqu’à maintenant, la présence de la communication entre nous est inversement proportionnelle à celle des médias sociaux dans notre maison, ce qui est trrrrrès positif. Les écrans s’interposent parfois, mais c’est rare. Touchons du bois…
Certes, les médias sociaux servent à communiquer. À minuit en cachette des parents, c’est cool. En confinement, c’est pratique. Mais combien de jeunes (et de plus en plus d’adultes) sont encore capables de regarder leur interlocuteur dans les yeux en faisant une phrase complète ? Combien sont devenus incapables d’écrire ou de prononcer correctement les mots qu’ils abrègent en pitonnant ? Tout le monde sait qu’écrire « LOL », ça prend infiniment plus de temps qu’écrire « haha ! » (Je vous épargne la description de mon regard la fois où mon aînée a dit LOL au lieu de rire pour vrai. Elle n’a plus recommencé.)
Combien demandent à leurs parents ou à leurs frères et sœurs « Comment s’est passée ta journée ? », au lieu de seulement afficher sur une page ou dans une story leur quotidien, leurs pensées, leurs critiques de la société, ou encore la photo de leur dernier look ? Combien ont le « tu » sincère quand vient le temps de s’intéresser aux autres ? Combien textent leur mère au lieu d’aller la voir dans la pièce d’à côté ? Des couples le font aussi, je sais… (soupir)
Ok, ok, les médias sociaux incitent à centrer la parole autour du « JE », ce qui peut être positif. Connais-toi toi-même, comme disait l’autre. Mais dire « je-me-moi » ne revient pas à dire « Je me sens… quand… et j’ai besoin de… » Les bases de la communication non violente, ce n’est pas sur Facebook qu’on les apprend… Le « je-me-moi », c’est plutôt (quand utilisé à outrance, bien entendu) une méthode expresse pour faire gonfler le nombril et fondre les liens.
Sur les médias sociaux, nos « amis » sont des connaissances 95 % du temps. Kreisman et Straus parlent de « faux family », de fausse famille. Des faux proches, souvent, qui remplacent la famille traditionnelle, la famille élargie qu’on voisinait, les voisins de quartier à qui on pouvait se fier et la fierté qu’on ressentait d’appartenir à un groupe tissé serré. Je ne sais pas pourquoi, ça me fait penser à la fausse réalité des téléréalités et des influenceurs… Des personnes qu’on voit tellement souvent dans une journée qu’on pense les connaître et qu’on les prend pour modèles absolus.
Que dire de la communauté des « followers » ? En bon français, des « suiveurs »… C’est vraiment ce qu’on veut, être suivi plutôt qu’accompagné ? Suivre plutôt que côtoyer ? Comment fait-on pour approfondir une relation si tout le monde marche en parallèle, à distance virtuelle ? Au moins, le but est commun : gagner la compétition du plus grand nombre de followers… La célébrité et la richesse viennent juste après.
Et que font ces suiveurs ? Ils aiment nos publications à grands coups de Like et d’émoticônes sans mots 😃🥰😎😬. Ça, c’est de l’amour sincère ! Je serais curieuse de savoir combien de followers peuvent dire les mots « je t’aime » en personne, en regardant dans les yeux ou en échangeant un véritable câlin. Nos abonnés nous alimentent en informations sur leur déjeuner végan full santé, le dernier défi malsain à la mode, leur opinion sur la politique américaine ou la coupe de cheveux du prof de maths (ça dépend bien sûr de chaque compte). Même dans les années 80, on parlait de ces sujets (je vous dis, la coiffure des profs n’était pas vraiment mieux que celle du président d’aujourd’hui…) Mais on ne se définissait pas par ce qu’on partageait. C’était de passage et ça ne visait pas 3549 personnes.
Les Like s’ajoutent en quantité au bas de publications instantanées. Vive le moment présent, bien d’accord ! Une belle valeur. Si elle s’ajoute à la conscience du passé et du futur. Qu’en est-il de la capacité à s’enraciner dans un vécu et de se projeter dans un avenir rempli d’espoir ? Où est passée la joie de vivre un moment que pour soi, sans le photographier, sans le commenter, sans attendre qu’on y réagisse ?
L’être humain ne se résume pas à des snapshots arrangés par le gars du nombre de vues. Rien de nouveau sous le soleil, les internautes mettent bien ce qu’ils veulent sur les médias sociaux. Et cachent ce qu’ils veulent. Ils construisent une identité, une image de marque. Il faut se vendre. À quel prix ? Notre valeur marchande diminue au fur et à mesure que chute le nombre de Like et de suiveurs… suivie de près par notre estime personnelle et notre goût de vivre. Ça donne beaucoup de pouvoir à un piton de clavier, n’est‑ce pas ?
Comme le disent les auteurs du livre, l’égo est ce qui motive le plus les internautes à participer aux médias sociaux, puisque ceux-ci contribuent à leur capital social, intellectuel et culturel. Capital sans intérêt, il me semble, s’il n’est pas construit sur une communication humaine réelle.
Des fois, j’aimerais retourner avant les années 2000, et faire CTRL-ALT-DELETE. Sortir du programme sociétal dans lequel on s’est embourbés.
Nathalie Courcy