La faute à qui?
– Allez-vous vraiment attendre qu’elle tue quelqu’un?
– Allez-vous vraiment attendre qu’il mette le feu à l’école?
– Allez-vous vraiment attendre qu’elle la pousse encore dans l’escalier?
– Allez-vous vraiment attendre qu’il la mette enceinte?
Ben non, madame…
Zéro convaincue. Quand on l’entend, ce « Ben non, madame », que nous reste-t-il à part notre frustration et nos inquiétudes? Vers qui se tourne-t-on? On ne peut tout de même pas devenir criminel à notre tour en kidnappant l’enfant pour le protéger…
Que le « Ben non, madame » vienne d’un médecin, d’une travailleuse sociale, d’un représentant de la DPJ ou d’un témoin, on a tendance à rejeter la faute sur le messager au lieu de remonter jusqu’au vrai coupable. Même les médias s’en mêlent en protégeant l’identité des accusés et en dénonçant le système, avant même que le procès et les preuves remontent à la surface.
Je ne dis pas là que ce système est efficace et qu’il protège vraiment les droits humains. Ce que je dis, c’est que si on cherche les fautifs à la suite d’un drame familial ou social, il ne faudrait pas oublier l’identité des coupables.
Avant même que l’histoire se rende (ou non) aux oreilles de la DPJ, il y a un ou des humains qui ont choisi de vivre dans le déni au lieu de régler leurs problèmes. Eux aussi, ils (se) disent et répètent « Ben non, voyons ». Il n’y a rien là, les autres exagèrent, personne n’est en danger, ça n’arrivera plus, ce n’est pas eux, c’est l’autre. L’autre? La drogue? La fatigue? Le manque d’expérience? L’enfance terrible? Come on. Les fautifs, ce sont ceux qui transforment des innocents en victimes. Ce sont ceux qui réinventent la vérité, la maquillent, la cachent, jusqu’au jour où ils n’ont plus le choix :
– 911? Ma fille ne respire plus.
La petite partira en ambulance ou en corbillard. Les autres avec des menottes aux poignets.
À qui la faute, alors? Ce n’est tout de même pas le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin qui a tenu l’arme tueuse ou qui a ouvert son pantalon. Ce n’est pas le voisin qui a vu et qui n’a rien dit, ni l’enseignant à qui l’enfant s’est confié et qui n’a pas rempli son devoir citoyen. Ils ont peut-être commis une faute, ou plusieurs. Peut-être aussi avaient-ils, comme vous et moi, une version partielle de l’histoire. C’est si facile de diminuer le drame avant qu’il n’éclate pour vrai! Si facile pour les manipulateurs de faire comme si et de passer pour les gentils de l’histoire. Si facile pour les victimes de ne rien dire parce qu’elles ont peur.
Peut-être aussi que le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin avait les mains liées par un système social duquel nous faisons tous partie. Vous votez comme moi, n’est-ce pas? Vous avez le droit de signer des pétitions, de manifester, de contacter votre député, de vous présenter aux élections pour défendre vos idées, de faire du bénévolat auprès des familles. Alors vous avez le pouvoir de faire une différence. La faites-vous? Chialer contre les institutions règle rarement les problèmes et sauve rarement des vies si l’action s’éteint après le commentaire hargneux sur Facebook.
Donc, à qui la faute? À lui, à elle, à eux. À ceux qui refusent d’admettre leur faute et leur rôle dans l’histoire, que ce soit le père qui tue, l’oncle qui agresse, la belle-mère qui frappe ou le frère qui menace. Même le jeune qui refuse l’aide dont il a besoin pour se reprendre en main a sa part de responsabilités. S’ils avaient osé dire « coupables », le dénouement de l’histoire aurait sûrement été différent.
À qui la faute? À ceux qui ne se regardent pas dans le miroir. À ceux qui ne se font pas aider avant que ça dérape. À ceux qui mentent, qui brassent, qui agressent, qui frappent, qui violent, qui tuent. À ceux qui enlèvent aux victimes leur pouvoir et leur bonheur. Et trop souvent leur vie. Point.
Nathalie Courcy