Tag DPJ

Le mot que nous ne devons jamais prononcer : « DPJ » – Texte : Eva Staire

Comme ce mot est tabou dans notre société !  <span st

Comme ce mot est tabou dans notre société ! 

Lorsqu’on entend « DPJ », les idées se placent dans la tête de nos proches :

 « Oh (l’organisme dont nous ne pouvons prononcer le nom) est entrée dans votre famille ? »

Pourquoi tant de jugements ? Sans doute que cela est causé par la façon dont cette société nous a été dépeinte depuis de nombreuses décennies ? 

Saviez-vous qu’en tant que parents, nous avons droit à de l’aide de leur part ? 

Saviez-vous qu’avec leur aide, on évite (selon la situation) les délais interminables proposés par

le CLSC ? Selon les situations, ils peuvent nous aider à faire avancer le dossier de nos enfants qui ne vont pas bien. 

Je vous en fais part aujourd’hui, car j’aurais aimé avoir cette information avant qu’ils ne m’appellent. 

M’appellent pour s’assurer que j’avais mis en place toutes les ressources nécessaires pour ma fille…

À quel point j’étais insultée ? Ce n’est même pas descriptible, car cela fait 7 ans sur 13 que nous essayons (papa et moi chacun de notre côté) d’avoir accès à des services… Et on nous reproche que nous ne lui donnons pas assez de ressources pour qu’elle aille mieux… 

Voici les ressources que nous lui avons offertes :

Psychologue (privé) × 2 ans (environ 3 000 $) 

Travailleuse sociale (privée) × 1 an (environ 950 $)

Psychoéducatrice (privée) × 2 ans (environ 1800 $)

Toutes ces belles personnes, sans rien leur enlever, nous ont dit que notre enfant était une enfant « normale avec un fort caractère ». 

Qui sommes-nous en tant que parents pour aller à l’encontre de 3 professionnels qualifiés ?

Avec tous ces jugements gratuits qui nous arrivent de part et d’autre ? 

Honnêtement, je n’en ai aucune idée. 

Comment je me sens ? Comme une mère qui n’a pas accompli sa tâche de mère, ne sachant plus comment aider son enfant. 

Avant de juger, s’il vous plaît, assurez-vous d’être au courant de l’historique familial, avant de vous rendre à bout vous-même en vous tapant sur la tête… Informez-vous auprès de la DPJ pour savoir comment ils pourraient aider votre famille avant qu’eux ne le fassent… Parfois, ils sont là pour les parents aussi. 

Ne lâchez pas, les parents !

 

Eva Staire

À ces enfants forts et résilients – Texte Stéphanie Dumas

Vivant depuis peu l’expérience de la banque mixte, je suis quotidiennement touchée par la force

Vivant depuis peu l’expérience de la banque mixte, je suis quotidiennement touchée par la force et la résilience des enfants se trouvant dans cette branche. La banque mixte relève du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ). Les enfants placés dans cette catégorie ont peu de chance de retourner dans leur famille biologique. Ils sont donc placés dans des familles d’accueil à long terme. Ces enfants sont considérés comme ayant un « haut potentiel » d’adoption. Cela peut être possible lorsque l’enfant a vécu un certain temps dans la famille et que l’on conclut qu’il ne pourra pas retourner vivre avec ses parents biologiques.

Mon expérience personnelle fait en sorte que je suis régulièrement impressionnée par la combativité des enfants face aux obstacles que la vie a placés sur leur route alors que bien souvent, ils étaient encore nourrissons. D’autres, plus âgés, constatent que quelque chose se passe sans pour autant être en mesure de mettre des mots sur les événements. Dans tous les cas, ces enfants démontrent une grande force face aux événements.

Étant moi-même touchée par cette réalité, je n’ai pu que constater la capacité d’adaptation et la confiance que peuvent démontrer ces enfants malgré les expériences vécues. Ils sont en mesure d’adopter un nouvel environnement en plus des parents d’accueil qui ouvrent leur foyer et surtout leur cœur. Certains ont traversé de grandes tempêtes et ont été témoins ou même victimes d’actes violents qui peuvent les marquer à jamais. Néanmoins, ils ont une force de vivre et une résilience que certains adultes ne possèdent pas.

Évidemment, ma propre expérience est avec un enfant en bas âge et tous les groupes d’âge viennent avec des défis différents en plus d’une histoire propre à chacun des enfants. Mais, une chose est certaine, ces enfants touchent le cœur et l’âme de ceux qui ouvrent leur porte.

Que l’enfant reste pour un court, moyen ou long moment, il devient une partie intégrante de la famille qu’il joint. Même lorsque ce dernier est arrivé il y a quelques semaines seulement, c’est comme s’il avait toujours été là. Il évolue et s’adapte à son nouveau foyer et aux personnes qui partagent désormais sa vie de manière impressionnante. Il ne reste plus qu’à faire notre place dans son cœur pour qu’il nous ouvre les portes du sien. C’est alors que débute une belle histoire.

Stéphanie Dumas

Bel enfant

Bel enfant,

J’aurais voulu nâ

Bel enfant,

J’aurais voulu n’avoir jamais à t’écrire ces lignes. La vie étant ce qu’elle est, on ne peut tout contrôler, alors je dois le faire. Année après année, à ce temps-ci de l’année, je suis ta marraine.

Marraine d’un enfant que je ne connais pas.

Marraine d’un enfant pour qui Noël résonne différemment.

Marraine d’un enfant comme toi, un enfant de la DPJ.

Je veux que tu saches que même si je ne suis ton père Noël qu’une fois par année, j’y mets tout l’amour du monde. Parce que tu ne mérites que ça, tout l’amour du monde. Dans ta carte, je me fais très discrète dans mes mots parce que je ne veux pas en ajouter au poids que tu portes sur tes épaules depuis déjà trop longtemps. Mais j’ai envie de te dire tellement plus. Tellement, tellement plus.

Je te souhaite de pouvoir avoir une famille. Pas une famille parfaite, ça, ça n’existe pas. Mais seulement une où tu peux rester et être en sécurité.

Je te souhaite de pouvoir retrouver la vie que tu souhaites, celle où on pourrait entendre en écho ton rire d’enfant.

Je te souhaite de l’amour. Une cargaison d’amour.

Je te souhaite une vie douce et heureuse, et aussi que le temps panse tes blessures.

Je te souhaite tout ce que tu veux, au fond…

J’espère que tu arrives à ressentir l’amour qu’il y a derrière ton cadeau. Parce que je te promets qu’il y en a plus que tu le crois. Derrière cette marque d’amour, il y a une famille. Une famille qui te considère comme l’un des leurs. On parcourt les magasins afin de dénicher LE cadeau, celui qui serait susceptible de dessiner sur ton joli visage un sourire. On connaît ton nom et on te dédie une journée magasinage, spécialement pour toi. On parle de toi et année après année, on se dit qu’on aurait bien voulu te rencontrer.

Alors bel enfant, malgré les tempêtes qui font rage sur ton enfance, sache que tu occupes une place importante pour nous. Le matin de Noël, comme chaque année, je prendrai une minute et fermerai mes yeux. Je fermerai mes yeux pour t’imaginer en train de déballer ton cadeau avec nous et j’imaginerai ton rire d’enfant résonnant dans notre salon.

Bel enfant…

Marilyne Lepage

La faute à qui?

- Allez-vous vraiment attendre qu’elle tue quelqu’un?

<p st

– Allez-vous vraiment attendre qu’elle tue quelqu’un?

– Allez-vous vraiment attendre qu’il mette le feu à l’école?

– Allez-vous vraiment attendre qu’elle la pousse encore dans l’escalier?

– Allez-vous vraiment attendre qu’il la mette enceinte?

 

Ben non, madame…

 

Zéro convaincue. Quand on l’entend, ce « Ben non, madame », que nous reste-t-il à part notre frustration et nos inquiétudes? Vers qui se tourne-t-on? On ne peut tout de même pas devenir criminel à notre tour en kidnappant l’enfant pour le protéger…

Que le « Ben non, madame » vienne d’un médecin, d’une travailleuse sociale, d’un représentant de la DPJ ou d’un témoin, on a tendance à rejeter la faute sur le messager au lieu de remonter jusqu’au vrai coupable. Même les médias s’en mêlent en protégeant l’identité des accusés et en dénonçant le système, avant même que le procès et les preuves remontent à la surface.

Je ne dis pas là que ce système est efficace et qu’il protège vraiment les droits humains. Ce que je dis, c’est que si on cherche les fautifs à la suite d’un drame familial ou social, il ne faudrait pas oublier l’identité des coupables.

Avant même que l’histoire se rende (ou non) aux oreilles de la DPJ, il y a un ou des humains qui ont choisi de vivre dans le déni au lieu de régler leurs problèmes. Eux aussi, ils (se) disent et répètent « Ben non, voyons ». Il n’y a rien là, les autres exagèrent, personne n’est en danger, ça n’arrivera plus, ce n’est pas eux, c’est l’autre. L’autre? La drogue? La fatigue? Le manque d’expérience? L’enfance terrible? Come on. Les fautifs, ce sont ceux qui transforment des innocents en victimes. Ce sont ceux qui réinventent la vérité, la maquillent, la cachent, jusqu’au jour où ils n’ont plus le choix :

– 911? Ma fille ne respire plus.

La petite partira en ambulance ou en corbillard. Les autres avec des menottes aux poignets.

À qui la faute, alors? Ce n’est tout de même pas le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin qui a tenu l’arme tueuse ou qui a ouvert son pantalon. Ce n’est pas le voisin qui a vu et qui n’a rien dit, ni l’enseignant à qui l’enfant s’est confié et qui n’a pas rempli son devoir citoyen. Ils ont peut-être commis une faute, ou plusieurs. Peut-être aussi avaient-ils, comme vous et moi, une version partielle de l’histoire. C’est si facile de diminuer le drame avant qu’il n’éclate pour vrai! Si facile pour les manipulateurs de faire comme si et de passer pour les gentils de l’histoire. Si facile pour les victimes de ne rien dire parce qu’elles ont peur.

Peut-être aussi que le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin avait les mains liées par un système social duquel nous faisons tous partie. Vous votez comme moi, n’est-ce pas? Vous avez le droit de signer des pétitions, de manifester, de contacter votre député, de vous présenter aux élections pour défendre vos idées, de faire du bénévolat auprès des familles. Alors vous avez le pouvoir de faire une différence. La faites-vous? Chialer contre les institutions règle rarement les problèmes et sauve rarement des vies si l’action s’éteint après le commentaire hargneux sur Facebook.

Donc, à qui la faute? À lui, à elle, à eux. À ceux qui refusent d’admettre leur faute et leur rôle dans l’histoire, que ce soit le père qui tue, l’oncle qui agresse, la belle-mère qui frappe ou le frère qui menace. Même le jeune qui refuse l’aide dont il a besoin pour se reprendre en main a sa part de responsabilités. S’ils avaient osé dire « coupables », le dénouement de l’histoire aurait sûrement été différent.

À qui la faute? À ceux qui ne se regardent pas dans le miroir. À ceux qui ne se font pas aider avant que ça dérape. À ceux qui mentent, qui brassent, qui agressent, qui frappent, qui violent, qui tuent. À ceux qui enlèvent aux victimes leur pouvoir et leur bonheur. Et trop souvent leur vie. Point.

Nathalie Courcy

 

Madame X

Cette année, j’ai fait la connaissance d’une femme dévouée, hu

Cette année, j’ai fait la connaissance d’une femme dévouée, humaine et remplie de bonté. Elle est l’une des trop rares familles d’accueil du coin. Elle accueille des enfants de la DPJ, retirés idéalement temporairement de leur famille, le temps que leurs parents reprennent leur vie en main et reviennent les chercher. Dans un monde idéal. Ce que fait cette femme, que l’on appellera « Madame X », est tout simplement remarquable. Elle donne à ces enfants une famille, une vraie, une routine stable, un cadre sécuritaire, mais surtout, beaucoup, beaucoup d’amour…

Dernièrement, une intervenante de la DPJ l’a contactée pour savoir si elle pouvait accomplir un autre miracle. Elle passait l’appel de l’hôpital, à l’unité des naissances, où une petite fille venait de voir le jour. La DPJ cherchait désespérément une famille de confiance qui pourrait l’accueillir, à un jour de vie. Et c’est là que l’histoire commence…

Ce petit être a eu un mauvais départ dans la vie. Sans parents, sans se sentir aimée ni désirée. Et elle a eu beaucoup de chance de tomber sur Madame X, qui l’a accueillie à bras ouverts dans sa maison. Qui lui a fait une chambre magnifique. Qui lui a offert toute une garde-robe. Qui se lève aux heures la nuit pour la nourrir. Mais surtout, qui la prend dans ses bras aussi souvent qu’elle le peut.

Quand j’ai su son histoire, je n’ai pas pu m’empêcher de lui proposer mon aide. Comme elle avait d’autres enfants à gérer et des tâches à faire, peut-être que je pouvais au moins lui offrir une paire de bras supplémentaires pour bercer la nouvelle arrivée… ce qu’elle a accepté de bon cœur. Pas qu’elle ait besoin de moi. Elle est parfaitement capable de tout gérer seule. Mais je pense qu’elle a compris que ça me ferait aussi beaucoup de bien. Mon horloge biologique étant un peu mêlée ces temps‑ci, elle sonne sans arrêt même si je tente de l’éteindre… Bercer un nouveau-né m’aiderait peut-être à l’apaiser, me suis‑je dit. C’était donnant-donnant finalement.

Cet enfant, c’est un petit livre de vie, rempli de pages blanches qui détermineront son avenir. Le premier chapitre de sa vie a été écrit sur un coin de table, à grands coups de stupéfiants. Mais il reste bien des chapitres encore vierges… et grâce à Madame X, ils seront écrits avec soin avec un ordinateur compétent et des outils adéquats. Grâce à Madame X, ces chapitres seront remplis de petits bonheurs du quotidien, de berceuses avant le dodo et de beaucoup d’amour.

La première fois que je l’ai prise, mon cœur a fondu. Littéralement. Une petite rouquine avec de beaux grands yeux bleus. Je n’arrivais pas à croire que c’était possible. Je me répétais que ça ne se pouvait juste pas d’abandonner son bébé. J’avais la tête remplie de jugements et le cœur gros. Je l’ai bercée sans jamais la déposer, parce que je me disais qu’à partir de maintenant, cette enfant ne pouvait plus jamais avoir trop d’amour dans sa vie. Je lui ai répété qu’elle était magnifique et qu’elle était en sécurité. Elle dormait paisiblement et moi, je la gavais d’amour.

Puis, j’ai repensé à ces parents‑là… Mes premiers jugements envers eux ont été très durs, je l’avoue. Puis, j’y ai vraiment repensé. Ces humains‑là ont compris qu’ils n’étaient pas encore au point pour s’occuper de ce bébé‑là. Désirée ou pas, elle méritait au moins des parents qui s’occuperaient bien d’elle. Ils lui ont donné la vie, mais aussi le plus beau cadeau qu’ils pouvaient lui offrir ce jour‑là… L’abandon. Parce qu’on pense à l’abandon comme à un geste horrible au premier regard, alors qu’il peut en fait s’agit d’un énorme sacrifice.

Ils lui ont offert une nouvelle maman aimante. Ils lui ont offert plus de jouets qu’ils ne pourront jamais en acheter. Ils lui ont offert une famille et une maison. Mais surtout, ils lui ont offert une personne qui lui donnera tout l’amour qu’ils auraient aimé pouvoir lui donner…

On ne saura jamais d’où elle vient, cette petite rouquine aux yeux azur. Mais nous savons que grâce à Madame X, elle pourra accomplir de grandes choses, dans un avenir rempli de promesses. J’ai un immense respect pour ce que Madame X fait avec ces enfants qui ont eu un mauvais départ dans la vie et je reste persuadée qu’ils peuvent encore gagner la course.

J’admire son dévouement et son don de soi dans la société. Et ce qu’il y a de plus beau dans cette histoire, c’est que Madame X ne fait pas tout ça pour se faire remercier, ni admirer, ni respecter. Elle le fait pour faire le bien, c’est tout. Et je me dis que si tout le monde faisait aussi bien le bien, on aurait un monde vachement beau.

Joanie Fournier

 

Les loups ne sont pas toujours ceux qu’on pense

Hésitation. Peur. Et pourtant, conviction.

<p style="text-alig

Hésitation. Peur. Et pourtant, conviction.

J’ai peur du torrent de jugements et de reproches que pourrait susciter ce texte. J’ai peur de me faire dire, encore, que j’exagère. Que j’invente. Que je capote pour rien. Et pourtant. Je sais.

La DPJ a mauvaise réputation. Certains d’entre vous ont vécu des histoires tristes ou bouleversantes liées à la Direction de la Protection de la Jeunesse. C’est sûr que les représentants de cet organisme se pointent rarement dans notre vie quand tout est rose.

Je ne dirai pas qu’il n’y a jamais d’abus ou de mauvaises décisions de leur part. L’affaire est gérée par des humains, comme vous, comme moi. Donc, l’erreur est possible. Il y a tout un système derrière les décisions prises, derrière le retrait d’un enfant de sa famille, derrière un signalement non retenu. Et comme tout système, il y a des failles, des principes qui s’appliquent par défaut à des situations qui auraient dû être traitées de façon particulière.

Soit.

Ce texte vous racontera une histoire qui se finit bien mieux que celle du Petit Chaperon rouge. Personne ne finit dans le ventre d’un loup, le panier de petits gâteaux n’est pas renversé au milieu de la forêt, le grand méchant loup ne finit pas éventré par le chasseur.

Ce texte vous racontera aussi une histoire qui aurait pu se terminer beaucoup plus tôt si j’avais osé faire appel à la DPJ avant. Si j’avais osé parler sans hésitation, sans peur et avec conviction.

Des menaces ont mené à des événements qui ont mené à des craintes, à des promesses de changer et à des événements répétés. Progressivement, ça va de soi. Une violence subtile, en mots, en gestes, mais rien qui laisse des marques visibles. Ou si peu.

Des enfants qui s’embarrent dans une pièce parce qu’ils ont peur. Un enfant qui tremble dans le noir en position fœtale. Des cris toujours plus durs et plus fréquents. Et moi qui veux à la fois protéger mes enfants et celui que j’aime. Moi qui veux comprendre, nuancer, croire que ça va changer. « Il n’a jamais été violent… » Moi qui me sens impuissante, presque complice parce que je n’impose pas de pancarte « Stop ».

Moi qui me promets que la prochaine fois, je prends mes petits sous le bras et je quitte. Moi qui jure de dénoncer. Moi qui hésite, encore. Moi qui ai peur, encore. Pas des représailles, non. Du jugement. Des reproches de ceux qui croiraient que je manipule, que j’exagère, que j’invente. C’est puissant, la peur.

Jusqu’à cette nuit où j’ai fait le saut vers la vérité. J’ai dénoncé. J’ai appelé la DPJ. J’ai crié à l’aide. J’étais convaincue que rien n’arrêterait sans ça. Le déni de violence était trop grand.

La travailleuse sociale de la DPJ a rencontré mon enfant à l’école. Elle m’a fait venir d’urgence dans ses bureaux. Elle est débarquée chez lui, sans avertissement. Elle a rencontré les autres membres de la famille. Connaître l’ampleur du mal, limiter la menace, protéger les enfants. Empêcher le mal de se reproduire et de tuer l’enfance. Assurer le développement et la sécurité.

Il n’y a pas eu d’accusation. Pas d’arrestation. Un retrait volontaire. Une promesse de garder la paix. Un engagement à s’instruire à propos de la pédagogie positive et de faire une thérapie familiale.

La plainte a été retenue, puis le dossier a été fermé. La suite nous appartient. La DPJ n’a pas tout réglé. Son travail n’est pas de faire un suivi une fois que les engagements ont été respectés, mais bien de protéger les enfants et les familles.

Quand j’ai signalé le numéro de la DPJ, j’ai ressenti un stress gigantesque. Une nervosité comme si je jouais ma vie. C’était un peu ça. Mais j’ai surtout ressenti un soutien sincère. J’ai constaté des méthodes d’enquête compétentes, un désir réel d’aider ceux qui en ont besoin, en gardant en tout temps l’enfant au cœur des préoccupations.

J’ai senti que je n’étais plus seule devant l’urgence de protéger mes petits.

Eva Staire

9-1-1 : Enfant violent

Vous l’avez tellement désiré ! Pendant les neuf mois de la gro

Vous l’avez tellement désiré ! Pendant les neuf mois de la grossesse, peut-être même pendant des années avant de devenir enceinte, vous avez rêvé de cet enfant. Ses joues à croquer. Ses orteils à chatouiller. Ses premiers rires, ses premiers mots. Peut-être, aussi, ses premières crises de larmes. Ça, c’est si vous aviez déjà d’autres enfants autour de vous.

Mais à aucun, aucun moment, vous n’avez imaginé votre enfant devenir violent. Frustré, oui. Impatient, certainement. Désespéré à cause des coliques ou d’un refus, tout à fait. Mais violent ? Non, jamais. Je me suis fait dire par des « spécialistes » que les enfants ne sont pas violents. Agressifs, parfois, mais jamais violents. Je. M’ex. Cuse. Un enfant violent, ça se peut. Ça existe, et pas juste dans les films. Pas juste dans les familles où les enfants sont négligés. Pas juste dans les quartiers miteux. Chez nous. Chez vous. Chez votre meilleur ami ou votre belle-sœur. Peut-être même chez la prof de votre enfant. Vous savez, chez ces personnes qui sont les meilleurs parents du monde, impliqués, encadrants, équilibrés ? Eh ! Oui, eux aussi, ils peuvent avoir un enfant devenu violent.

Plein de raisons peuvent expliquer cette violence (l’ADN, la maladie mentale, des circonstances stressantes, une hypersensibilité sensorielle ou émotive, l’anxiété, des interventions parentales inadéquates, l’insécurité, des troubles de comportement, etc.) Et ces causes doivent être déterminées. Plus on les connaît rapidement, plus on intervient rapidement. On évite que la situation s’envenime encore plus et on limite ainsi les risques (très concrets pour le corps de l’enfant et sur l’entourage, pour l’environnement physique aussi, mais également sur l’estime personnelle, l’aspect social, les relations familiales).

Mais qu’est-ce qu’on fait en attendant d’avoir des réponses ? Parce que vous savez, les listes d’attente pour les services en santé mentale et en psychologie sont longues, autant au privé qu’au public. Donc en attendant de gagner à la loterie de la liste d’attente, voici quelques stratégies :

  • Interdit de jouer à l’autruche. Faire semblant que le problème n’existe pas ou qu’il disparaîtra par magie, ce n’est pas une option. Je vous le garantis-promets-juré-craché, ça va juste empirer. Agissez.
  • Informez-vous. Lisez, parlez à des amis compréhensifs, demandez de l’aide, consultez, pour vous ou pour votre enfant. Parfois, quelqu’un à qui on a osé parler d’une situation préoccupante nous donne une clé (« Moi aussi ça m’est arrivé, voilà ce que j’ai fait qui a fonctionné… »), une référence à laquelle on n’avait pas pensé.Il n’y a pas de place pour une évaluation en psychologie ou en neuropsychologie là maintenant tout de suite ? Allez cogner à la porte du médecin de famille (le sien, le vôtre : vous aussi avez besoin de soutien), du programme d’aide aux employés, d’un nutritionniste qui pourra évaluer les intolérances alimentaires qui pourraient empirer les éclats de caractère ou nuire au sommeil, d’un art-thérapeute (ils font des miracles), d’un naturopathe spécialisé dans le reiki. Peu importe qui vous aidera (de compétent, quand même), ça vous prend de l’aide. Et vous montrerez aussi à votre enfant que vous vous souciez de lui, que vous agissez pour son bien. Il va peut-être vous en vouloir sur le coup, mais à la longue, ça paie.

Ligne Parents : 1 800 361-5085 http://ligneparents.com/

  • Restez en lien constant avec l’équipe de la garderie ou de l’école. La communication est la clé. Ils ont besoin de savoir quand ça dégénère. Vous avez besoin de savoir s’ils remarquent les mêmes comportements dans un contexte différent. Et ne vous en faites pas, si votre enfant agit comme un ange à l’école et comme un démon à la maison, ça ne fait pas de vous de mauvais parents. Souvent, les enfants se laissent aller à leurs émotions fortes à la maison parce qu’ils savent qu’on les aime inconditionnellement. C’est éreintant, mais c’est ça.
  • Contactez le 8-1-1 Info-Social (le médecin peut aussi faire la requête) ou la DPJ (oui, on peut faire un signalement en tant que parent, par exemple si on craint pour la sécurité de notre enfant qui disjoncte, pour la sécurité de nos autres enfants qui subissent les contrecoups des crises ou qui servent de souffre-douleur, ou pour notre propre sécurité). Et n’attendez pas que la troisième Guerre mondiale éclate pour le faire. Il y a plusieurs mois d’attente (bien sûr, ça dépend de l’urgence et du risque de dangerosité), alors mieux vaut vous placer sur les listes avant d’être à boutte du boutte.Les intervenants pourront aussi vous aiguiller vers des services en attendant, vers certaines interventions, des groupes d’entraide, etc. Ils recueilleront certaines informations sur l’enfant et la famille, ce qui permettra de diriger le dossier vers la bonne équipe. Ils vous indiqueront aussi dans combien de temps un intervenant vous rappellera afin d’établir le plan d’action avec vous.

Direction de la protection de la jeunesse : http://sante.gouv.qc.ca/programmes-et-mesures-daide/faire-un-signalement-au-dpj/coordonnees-du-dpj/

8-1-1 Info-Social : http://sante.gouv.qc.ca/systeme-sante-en-bref/info-social-8-1-1/

Que faire si, vraiment, vous êtes à bout, votre enfant est à bout, les ressources accessibles n’aident pas suffisamment et qu’une autre crise violente survient ? Que faire si, encore une fois, votre enfant a détruit la moitié de la maison, menacé de tuer tout le personnel de l’école, cassé les dents de sa sœur ? Hôpital.Je le sais, ça fend le cœur de devoir amener de force son enfant à l’urgence pédopsychiatrique. Mais ça peut le sauver. Ça peut vous sauver.Si la crise s’est calmée un peu, vous pouvez l’amener vous-même (si possible avec un autre adulte dans le véhicule au cas où ça dégénérait). Mais en cas de doute : 9-1-1. Les ambulanciers ou les policiers pourront amener votre chérubin à l’hôpital. Il y sera évalué et un plan d’action sera établi en collaboration avec vous. Il est rare que les enfants, et même les adolescents, soient hospitalisés dans une situation semblable, surtout s’il s’agit d’une première visite. Par contre, les renseignements recueillis seront conservés et serviront à faire progresser le dossier (faire monter votre enfant sur les listes d’attente) au besoin. Cette visite pourra aussi aider le médecin de famille à établir un diagnostic ou une prescription.

Par contre, ne vous servez pas de la carte « police » ou « ambulance » pour faire peur à votre enfant. Si vous sentez que cette étape approche et que la situation continue d’empirer, vous pouvez en parler à votre enfant pendant qu’il est assez calme, pour lui expliquer qu’il s’agit d’un service qui existe pour aider les gens dans des situations qu’ils ne peuvent pas régler eux-mêmes malgré. Si la crise survient, appelez. Sinon, l’enfant considérera cette option comme une simple menace, ne vous croira plus et ses comportements violents risquent de s’aggraver puisque « de toute façon, il n’y a pas de conséquences ».

 

  • Continuez de donner de l’attention positive à votre enfant, et aussi à vos autres enfants et à votre couple. Et à vous-même. Pas facile, quand on est au cÅ“ur de la tempête. Mais nécessaire. Il faut continuer de construire le lien même quand on a l’impression qu’il n’y en a plus. L’encadrement et la qualité des relations avec l’enfant le sécurisent même s’il fait tout pour les briser. Ça reviendra.

Ultra-méga -giga-important :

Ne posez aucun geste violent envers votre enfant. Ne frappez pas. Ne poussez pas. Ne secouez pas.

Faites attention à vos paroles. Mais sachez mettre vos limites. Allez chercher de l’aide et n’ayez surtout pas honte.

La DPJ, mais pour qui?

Je suis bouleversée par les confidences d’une amie…

<p sty

Je suis bouleversée par les confidences d’une amie…

Toutes ces heures passées à la réconforter. Elle était démolie. Son adolescent de seize ans et demi venait de faire un signalement à la DPJ. Elle l’aurait un peu « bardassé » (il dit qu’elle l’a aussi giflé), alors qu’il s’était finalement pointé, vers 22 h. Un soir de semaine.

Après avoir promis, une énième fois, d’être à la maison pour le souper. Après l’avoir laissée morte d’inquiétude, sans nouvelles depuis plusieurs heures. Après l’avoir encore narguée.

Son fils est en état de dépression, traité aux antidépresseurs. Mais il continue de faire le party. De boire à s’en saouler solide. Elle croit qu’il prend de la drogue. Elle sait qu’il a de mauvaises fréquentations.

Je comprends ce qu’elle vit. Ce que nous vivons toutes, avec des adolescent(e)s. Les demi-vérités. Les trucs qui disparaissent de la maison. L’alcool qui est parfois dilué, pour garder les niveaux raisonnables à l’œil. La confrontation. Le manque de respect. Le chantage. Les menaces de fugue. Les répliques incisives : « J’ai seize ans, je fais ce que je veux ! » Que, poussé à bout, personne n’est à l’abri d’une perte de contrôle.

Son fils, il est en échec scolaire total. Avec un suivi de son comportement. Je l’entends encore me raconter sa rencontre avec le directeur adjoint et les intervenants. Dépassés, eux aussi. Faut dire que le secondaire et lui, ça n’a pas cliqué depuis le début. Que les manquements à ses « engagements » sont presque aussi fréquents que son rejet de toute autorité à la maison. Que de mentir aux enseignants, c’est son quotidien.

Nous sommes mal faits, les parents. Nous nous inquiétons pour nos enfants. Pour leur santé. Peu importe ce qu’ils nous font vivre. À ne pas en dormir. Morts d’inquiétude.

Depuis le signalement, son fils est placé chez les grands-parents. Je les connais aussi. Les pauvres, ils devront vivre avec lui. Qui se dévoilera tranquillement dans tous ses aspects sombres. Au fur et à mesure qu’il voudra prendre le contrôle.

Je l’écoute me dire qu’elle est tombée — en préparant le linge que la DPJ a demandé de lui apporter — sur une cachette d’alcool. Sous le lit. Pire, sur quelques notes personnelles. Où son fils écrit que ça va mal depuis plus d’un an. Qu’il frappe mur après mur. Qu’il ment à tous les adultes (médecins et psychologues inclus). Elle me fait lire l’extrait, qu’elle a photographié avec son cellulaire. J’ai froid dans le dos. Surtout quand elle me dit que la DPJ préfère toujours, malgré ça, retenir la version de son fils.

Je ne l’excuse pas, mais je la comprends.

Je sais que les ressources sont limitées. Que les intervenants de la DPJ font de leur mieux, au cas par cas. Mais, comme société, devrions-nous réviser les cadres ? Les priorités ? Entre un ado presque adulte, qui cherche et trouve la confrontation, et les enfants en bas âge ; mon choix serait clair.

Qu’elle soit mon amie ou non…

Eva Staire

La promesse

<span lang="FR" style="margin: 0px; color: #333333; font-family: 'Ge

J’aimerais vous dire que cette histoire est une histoire. Mais non. C’est mon histoire vraie. 

 

Tu fais quoi quand le désespoir te frappe et que tu réalises que même avec un enfant d’à peine un mois, son comportement ne changera pas et que tu sors en catastrophe de la maison avec ton enfant contre toi, te retrouvant dans la rue à marcher de long en large, le corps et la tête en panique parce que tu réalises que tu veux fuir, mais qu’à force de céder à l’abus financier, tu es sans le sou, que tu n’as plus de travail, pas de voiture, que tu es isolée et complètement coupée du monde extérieur et que tu gardes en secret la réalité dans laquelle tu vis bien enfouie au fond de toi et que tu t’es habituée à rester dans le silence…

Eh bien, tu commences par regarder cette enfant qui vient de naître et tu constates toute la vulnérabilité de ce petit être complètement à la merci de son monde extérieur. Tu en fais ton levier, tu te rappelles ce privilège et tu prends l’engagement : « Jamais tu ne vivras ce que j’ai vécu. Tant que je serai ta mère, jamais je ne te laisserai vivre dans la violence. Je te promets de tout mon être de t’offrir un milieu sain et sécuritaire dans lequel tu pourras t’épanouir et apprendre à briller de tous tes feux. »  Tu ne sais pas comment faire, mais tu lui promets et tu ne perds pas de vue cette promesse…

Mais tu fais quoi quand, malgré la promesse, graduellement, insidieusement, le sentiment d’impuissance prend toute la place à cause de ses manipulations perverses, de son harcèlement en continu, de ses « Crisse de pas bonne » quotidiens et de ses menaces de « Crisse ton camp et je te fais la peau »… et tout ce que tu sembles savoir faire est de garder le silence parce que tu sais que c’est la seule façon de contrôler les crises, et que tu t’étends sur le lit et le laisses faire ce qu’il a à faire… Quand ton estime part en fumée, mais qu’heureusement, après ces sacrifices de toi-même vient un moment de répit… alors tu t’en sers et tu te souviens de la promesse que tu as faite à cette enfant. Tu choisis donc de faire un petit « grand » pas…

Tu commences à en parler… Mais pas à n’importe qui, tu veux te protéger et tu veux agir avec délicatesse. Tu en parles donc spontanément à l’infirmière du CLSC qui est venue te rendre visite un lendemain de crise. Tu craques, tu baisses les armes et la peur dans les yeux, tu lui dis : « J’ai besoin d’aide. »

Avec courage, tu suis les directions qui te sont proposées, mais le cœur serré parce que la DPJ intervient et tu as peur de perdre ton enfant. Tu es déstabilisée et tu n’es pas convaincue à cause du lavage de cerveau que tu as reçu pendant des années qui t’a fait normaliser la violence et t’a coupée de ton senti. Tu collabores quand même, alors tu sors de la maison avec ton bébé naissant, tu écoutes les intervenants t’éduquer sur la violence conjugale, tu vas aux rencontres hebdomadaires qui te sont imposées et, malgré ces efforts, il réussit avec son charisme légendaire à te convaincre et à te faire entendre ses promesses à travers ses menaces que tu n’entends plus. Tu retournes à la maison parce que cette fois-ci, tu as une impression d’être en pleine possession de tes moyens et tu te crois capable de transformer tout cela en un portrait de famille harmonieux. Tu as l’impression de remplir ta promesse…

Mais tu fais quoi quand tu réalises que ses promesses à lui n’étaient qu’un feu de paille et que tu réalises que rien n’a changé à part son comportement qui est devenu de plus en plus insidieux, jusqu’à te faire douter de ta santé mentale, et que tu fais le constat amer que tu n’es plus que l’ombre de toi-même… Quand tu te tapes dessus, tu as honte, tu veux te cacher, tu vois ton existence s’effriter et tu veux disparaître, mais tu entends ton enfant pleurer au loin et tu te souviens de ta promesse…

Alors tu choisis la vie, sauf que maintenant, tu te sens mourir et tu as peur de mourir en quittant cette relation. Mourir en dedans, mourir en dehors… Eh bien, tu te dis que tant qu’à mourir, aussi bien tenter ta chance de partir. Alors tu décides, intérieurement, secrètement, de quitter coûte que coûte cette relation. Tu tiens à remplir cette promesse, tu te prépares et tu uses de stratagèmes.

Sauf que dans ce nouveau choix, tu es confuse; la peur est omniprésente, c’est le néant total, tu te sens épuisée et impuissante, mais tu es responsable de cette enfant. C’est donc non négociable, tu te rappelles ta promesse.

Alors, sans trop savoir comment, tu cesses de te battre, tu te regardes en pleine face et tu acceptes le constat de ta vie. Tu entreprends donc le plus grand voyage que tu aies connu : tu sautes dans ce vide en toi et tu réalises tout ce manque d’amour présent en toi, pour toi. Tu rencontres tes regrets, tes déceptions, tes culpabilités. Tu pleures, tu piques tes crises, ça fait mal, mais au moins, tu t’entends et ça, ça te fait le plus grand bien.

Petit à petit, cet espace se comble avec l’amour que tu commences à te donner. Un sentiment de confiance s’installe et tu arrives à choisir la foi au-delà du doute qui persiste. Tu continues à plonger en toi, à écouter et considérer ce que tu ressens en toi, et tu commences à agir en fonction de ce qui se passe en toi uniquement. Tu apprends, discrètement, à prendre soin de toi. Tu décides enfin de te montrer loyale envers ce qui est important pour toi et graduellement, tu agis en conséquence et la vie te montre le chemin, fluidement, jusqu’au jour « J ».

Ce jour-là, à force de te choisir et sans rien forcer, le courage arrive et tu lui annonces que tu pars. Tu ne le quittes pas, tu pars parce que tu te choisis et tu sens que c’est ce que tu as à faire. Mais ça, lui, il ne le comprend pas. Ses réponses donnent froid dans le dos et son comportement te foudroie et te traumatise, mais tu gardes le focus parce que maintenant, tu sais qu’en maintenant le cap sur ce qui se passe en toi, l’erreur est impossible. Parce que tu t’es rapprochée de ton senti, tu es capable de ressentir l’épée de Damoclès au-dessus de ta tête qui ne permet aucune « erreur émotionnelle » et tu ressens le danger. Alors tu agis en conséquence.

Tu tends donc la main pour que l’on t’aide. L’artillerie au complet se présente : policiers, intervenants, DPJ, travailleuses sociales, avocat, maison d’hébergement, CAVAC, IVAC, psychologue, psychiatre, inconnues, amis et nouveaux amis, tout se fait intensément, rapidement, mais fluidement, avec une synchronicité déconcertante. Tu t’es choisie, tu apprends donc que lorsque l’on se choisit, la vie répond à ton appel.  

Deux ans après ta séparation, après t’être retrouvée dans la rue avec ta fille, ton chien et quelques bagages, sans travail et en état de stress post-traumatique, tu fais les merveilleux constats que ce chemin à travers la violence t’a apportés comme apprentissage : tu as appris que tu as aussi droit au bonheur, que tu as le droit de réaliser tes rêves et que c’est possible. Tu as maintenant en toi une foi si grande que le Tout Possible est à ta porte, attendant que tu lui demandes tout ce que tu veux…

Tu touches maintenant à ta liberté d’être et ça, personne ne pourra te l’enlever parce que tu as découvert l’antidote à la violence : l’amour de soi. Plus jamais tu ne te soumettras ou ne te rendras victime de la violence, parce que par amour pour toi, tu sauras prendre soin de toi et faire les choix appropriés. Dans un contexte que tu croyais hermétique à l’amour et où tu te croyais indigne d’être aimée, eh bien, l’amour a toujours été présent et il a réussi à percer les murs de la peur et du doute comme le soleil qui brille derrière les nuages et qui finit toujours par réapparaitre. Mais t’en souviens-tu maintenant? Regarde ta fille et vois : tu as tenu promesse…

B<3

 

Ben oui, je t’aime inconditionnellement! Mais j’ai mes limites!

Quand tu étais petite, tu m’as chié dessus des dizaines de fois.

Quand tu étais petite, tu m’as chié dessus des dizaines de fois. J’ai passé des mois à sentir le lait prédigéré parce que tu régurgitais plus que tu buvais. J’ai usé mes planchers et mes dessous de pieds à force de te promener en chantant « Partons, la mer est belle » : c’est tout ce qui arrivait à calmer tes coliques et tes angoisses.

J’en ai passé, des nuits blanches à te bercer. Parfois parce que j’étais incapable d’arrêter de t’admirer. Parfois parce que tu faisais le party. Parfois parce que je ne pouvais cesser de m’inquiéter ou de me torturer.

J’en ai passé, des journées complètes au téléphone et sur Internet, à essayer de trouver LA personne qui allait m’écouter et me croire, à chercher LA ressource qui comprendrait jusqu’à quel point on était à bout. « Ben non madame, une petite fille de cinq ans, ce n’est pas violent ». Et les vingt-cinq ecchymoses qu’elle m’a faites sur les avant-bras, sans compter les cheveux arrachés, la dent cassée, le cœur écrabouillé… « Vous faites ce qu’il faut, madame… il faut juste attendre que son cerveau se développe »; « Elle apprend à gérer ses émotions. C’est difficile, elle ressent tout de façon extrême. Mais elle y arrivera. » ; « On ne médicamente pas une enfant si jeune »; « C’est trop tôt pour diagnostiquer une problématique mentale. On ne veut pas mettre d’étiquette »; « Je comprends que vous êtes à bout, mais elle réussit bien à l’école, elle a quelques amies. C’est bon signe! »

Sans compter les discours culpabilisants, les miens et ceux des bien-pensants : « Ses deux parents sont intenses, ça ne peut pas faire autrement : elle est intense, elle aussi! » (oui, mais nous, on ne lance pas des chaises pour s’exprimer.); « Petits enfants, petits problèmes; grands enfants,… » Non. Ça ne m’encourage pas. Et si ça se voulait drôle pour détendre l’atmosphère si lourde qu’on pourrait le hacher à la tronçonneuse, désolée, ma patience fanée m’empêche de rigoler. « Toi aussi, ça t’arrive de péter un plomb… les enfants apprennent par l’exemple ». En effet, et pendant très, très longtemps, je me suis contenue, j’ai parlé calmement, mais fermement. Pis un bon moment donné, le presto a sauté. Depuis, c’est vrai, j’appréhende les crises et je réplique aux cris. Pas la bonne méthode, mea culpa. La récipiendaire du trophée de la tolérance a démissionné.

« Ben oui, mais là, à quoi tu t’attendais?! C’est l’adolescence! Les hormones! Les SPM! Tu étais sûrement pareille à son âge! » Je. M’ex. Cu. Se. Je n’ai pas été une ado facile. Mais je n’ai pas battu mes parents. Je n’ai pas détruit la maison. Et mon adolescence n’a pas commencé à dix-huit mois. Faque, quand je suis arrivée à l’adolescence, le piton « patience » de ma mère n’était pas encore arraché.

Je ne suis plus à l’heure des « T’aurais donc dû » et des « À quoi t’as pensé? ». Si j’avais écrit chacune des solutions testées et des ressources appelées en renfort depuis les douze dernières années, je rendrais jaloux Marcel Proust avec sa recherche du temps perdu. Quand même ses profs admettent n’avoir jamais, jamais rencontré quelqu’un d’aussi entêté et intense, tu comprends que les conséquences, les récompenses, les homélies, la discipline constante et les gestes de réparation, ça marche avec tes autres enfants et avec les enfants des autres, mais pas avec ta grande fille. Elle a la rébellion tatouée dans ses gènes.

Un jour, cette détermination se transformera en qualité incroyable. Elle fera de grandes choses. Elle changera le monde. Elle ira sur la Lune si ça lui tente. Mais d’ici là, elle traverse ma limite au quotidien. Ses pétages de coche qui surviennent à tout instant, au détour d’un refus ou d’une demande de compromis ou juste parce que, je n’en suis plus capable. Je n’ai plus la couenne assez dure pour endurer ou ignorer la liste d’insultes qu’elle me crie par le cœur. Elle peut être si douce, si merveilleuse, si reconnaissante, puis en une seconde, me faire sentir comme une merde de la pire espèce, comme une moins que mère, une mère de rien, comme la pire des mères. Et après, quand elle se calme, elle se confond en excuses, en « je suis désolée, tu es la meilleure maman du monde, j’ai perdu le contrôle ». Oui, tu as perdu le contrôle. Encore une fois. Une millionième fois.

Et moi? Moi, je n’ai pas le droit de perdre le contrôle. Interdit par la loi. Interdit par ma foi en toi. Interdit par ma vision de moi. Un ultimatum. Devrai-je vraiment appeler la DPJ pour qu’ils viennent te chercher, qu’ils nous éloignent l’une de l’autre le temps que ça passe? Ça fait des années que j’attends que ça passe. Que j’espère la fin du terrible two, du fucking four, de toutes ces phases plates qui devraient t’aider à grandir, mais qui font rétrécir notre relation. Ma fille, je t’aime inconditionnellement multiplié par un million, gros comme mille univers à l’infini. Mais je m’aime aussi. J’aime aussi mon couple amoureux. J’aime aussi mes autres enfants que tu terrorises et qui apprennent par notre exemple. L’état de crise et l’état d’urgence sont devenus notre réalité, et je refuse de vivre ça encore et encore. Je refuse de le faire vivre à toute la famille. Je refuse que les autres se sentent intoxiqués par cet air malsain, rempli d’insultes et de chaises qui revolent.

P.S. Depuis l’écriture de ce texte, les choses se sont replacées. Merci, ma fille, d’avoir choisi de recommencer la médication qui t’aide à gérer ton surplus d’émotions fortes.

Eva Staire