La manipulation

J’avais dix-huit ans quand je l’ai rencontré dans un cours au cégep. C’est lui qui m’a approchée, car moi, je n’aurais jamais osé le faire, beaucoup trop gênée. De fil en aiguille, nous avons commencé à sortir ensemble : le début de sept années et demie d’enfer.

 

Au début, tout se passait bien, nous sortions tous les weekends au centre-ville, il faisait attention à moi. Peu à peu, les choses ont commencé à changer. Il ne s’entendait plus avec ma famille et ne voulait pas m’accompagner dans les événements où ils seraient présents. J’étais constamment prise entre ma famille et lui et j’ai commencé à m’éloigner peu à peu de ma famille.

 

Les sorties étaient toujours avec ses amis à lui, dans les endroits qu’eux aimaient et à discuter autour d’un pichet de bière de sujets qui les intéressaient. J’étais la seule fille présente, car ses amis n’avaient pas de copines; donc impossible de me rabattre sur une présence féminine pour jaser d’autre chose que d’informatique ou de voitures. Tous les vendredis soir, il m’attendait à la sortie de mon travail, ses amis dans la voiture, pour aller jouer au billard et passer le reste de la soirée dans un pub. Chaque fois, j’étais comme un trophée qu’on trimbalait partout : on ne me laissait pas jouer au billard et on ne m’adressait pas la parole. Je buvais tranquillement ma bière et je l’étirais sur toute la soirée parce que je n’aimais pas vraiment cela, je regardais ce qui se passait autour et j’attendais le moment de partir.

 

Un soir au pub, notre serveur m’a apporté un verre de sangria. Quelqu’un avait manifestement vu que la bière et moi n’étions pas amies plus qu’il ne le faut. Aucune idée de la provenance du verre. Par contre, mon copain, lui, n’avait pas apprécié du tout le geste. Il a alors commencé à suspecter un de ses amis de m’avoir envoyé ce verre. Au cours des mois qui ont suivi, il les a testés pour voir leur intérêt envers moi et dès qu’ils étaient gentils avec moi, il cessait de leur parler et de les voir. À un point tel que les seuls amis restants étaient ceux qui étaient musiciens comme lui et nos sorties consistaient uniquement à se rendre au local où ils pratiquaient. Même à cela, j’attirais encore trop l’attention à son goût.

 

Nous allions au restaurant, souvent, de plus en plus souvent. La facture me revenait toujours, car j’avais un bon emploi et lui était toujours aux études. J’ai commencé à accumuler les kilos à force d’être toujours au restaurant. Il l’a bien évidemment remarqué et a commencé à me traiter différemment. Il a commencé à me rabaisser, à critiquer mes choix vestimentaires, à critiquer les collègues de travail avec qui je tentais de me lier d’amitié, de me dire que je dépensais beaucoup trop pour moi et jamais assez pour lui, donc qu’il ne devait pas compter tant que ça à mes yeux. La violence psychologique et la manipulation venaient de s’installer dans ma vie. La violence physique a suivi peu de temps après. Jamais rien pour laisser des marques apparentes, mais assez pour me faire craindre d’exprimer mon désaccord avec ses propos ou avec ses agissements.

 

Lorsque j’ai commencé cette relation, comme toutes les jeunes filles de dix-huit ans, je rêvais de me marier et de fonder une famille. Lui ne voulait rien de tout cela et il me l’avait fait savoir. J’aurais dû le quitter à ce moment, après tout, nous n’espérions pas les mêmes choses de la vie! Je suis restée. Il était musicien, il m’avait composé une chanson. Je croyais naïvement qu’en avançant dans la vie, nous finirions par vouloir les mêmes choses. J’ai eu tort. Quand j’ai commencé cette relation, je pesais 117 livres, j’en suis sortie à 207 livres. Quand je l’ai laissé, il m’a reproché de ne pas avoir pris soin de ma personne pour expliquer son désintérêt envers moi, mais m’a dit qu’il voulait maintenant qu’on se marie et qu’on ait enfants pour tenter de me retenir. Je n’ai pas été dupe, j’ai continué mon chemin sans me retourner.

 

Près de vingt ans après la fin de cette relation, j’ai encore le réflexe de garder des choses pour moi de peur de me faire rabaisser et peut-être de me faire gifler. J’ai toujours de la difficulté à m’ouvrir, je garde toujours trop de choses en moi.

 

Par contre, près de vingt ans après la fin de cette relation, je regarde en arrière et je vois ce que j’ai fait de positif avec les séquelles : j’ai été mannequin taille plus durant quelques années, je n’ai pas honte de mon corps ou de l’image que je projette et j’ai confiance en moi (la plupart du temps). Il a cru me briser et qu’avec un surpoids, je n’allais plus attirer le regard des autres autrement qu’avec dégoût; j’ai pu prouver le contraire. Aujourd’hui, en 2017, je peux enfin dire que je suis fière de ce que je suis, de ce que je suis devenue, de ce que j’ai accompli et plus jamais quelqu’un ne me fera croire que je suis inférieure!

 

 

Annie St-Onge



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