L’arme à la main

Kabul, Afghanistan, 2004. C’était une journée très chaude ce matin-là. Je devais partir pour effectuer une patrouille à pied avec tout mon équipement sur mon corps comme d’habitude.

Mais cette fois‑ci, c’était différent, car j’étais avec une nouvelle section d’infanterie pour la première fois. J’étais très content, car je pouvais partir à l’aventure et développer des liens avec de nouveaux frères d’armes.

Ces frères d’armes représentaient tout pour moi. Ils étaient comme ma famille. J’étais à l’autre bout du monde et ce qui était le plus important pour moi, c’était eux.

J’étais fier de faire partie de leur équipe et de patrouiller à leur côté pour la toute première fois.

Après plusieurs kilomètres de marche, nous étions de plus en plus dans la profondeur de la ville de Kabul. On marchait en double rang et chacun surveillait son arc de tir. J’étais le premier en avant du rang gauche.

Soudainement, j’ai aperçu au loin un enfant qui courait à travers la foule avec une arme dans les mains en avant de moi.

La panique m’a envahi.

Je me suis dit : « Est-ce que j’en parle aux autres? Pourquoi il faut que cela arrive à moi? Si je ne fais rien, mes frères d’armes vont peut-être mourir… »

En quelques secondes, beaucoup de questions me sont venues en tête.

Ces secondes ont semblé être des minutes très longues.

Après quelques secondes, j’ai averti mes frères d’armes à travers mon casque d’écoute. J’observais l’enfant courir à travers la foule avec son arme. Je me disais que s’il venait vers nous avec son arme, je n’aurais pas le choix de tirer. J’avais plein de pensées qui me traversaient l’esprit et j’étais perturbé.

Dois‑je mettre en jeu la vie de mes frères d’armes ou celle de l’enfant? Je ne savais plus quoi faire. Non, la vie des frères d’armes est primordiale. J’observais et j’essayais de distinguer si c’était un jouet ou une arme, sachant fort bien que les enfants n’ont pas de jouets, car ils ont de la misère à avoir des souliers.

Ouf! Finalement, j’ai réussi à découvrir que c’était un jouet.

Que serait-il arrivé si j’avais mentionné à un de mes collègues d’ouvrir le feu parce que l’enfant était armé?

J’aurais ordonné de tuer un enfant qui n’était même pas armé?

Que serait-il arrivé si un de mes collègues avait perdu la vie par ma négligence? Dans ce contexte, tout aurait pu se produire. Cet enfant aurait pu être la distraction idéale pour nous tous.

Cette vision, je la vois tous les jours. Tous les jours, elle m’envahit. Même qu’il n’y a pas très longtemps, j’entrais dans une épicerie et une fois arrivé dans le rayon des fruits et légumes, une image de ce vécu s’est superposée à l’image réelle. J’avais un flashback solide et réel de ce que j’avais vécu.

Normalement, mes flashbacks passent tellement vite que je ne peux pas les voir. C’est la supposition de ma psychologue. Et pour moi, cela est logique, car mon TSPT est sévère et mon stress est très intense. Je suis tellement stressé que j’ai de la misère à voir ce qui se passe. Par contre des fois, des images peuvent se superposer une par-dessus l’autre très clairement. C’est comme si je suis à Saint-Jean-sur-Richelieu et que soudainement, je me retrouve à Kabul en Afghanistan.

Pas évident je vous le dis, mais je dois vivre avec cela tous les jours.

Ces transpositions d’images, j’essaie de les éviter du mieux que je peux. Par exemple, quand je conduis, je vais emprunter des chemins moins achalandés. J’essaie toujours de trouver une solution pour diminuer mon stress.

Chaque jour est un combat.

Chaque instant est une victoire pour moi!

Et vous, qu’auriez-vous fait devant un enfant armé?

Carl Audet



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