Malade dans ma tête
Comme le chanterait Lara Fabian : Je suis malaaaaaadeuuuu!
Mais ça ne paraît pas. Littéralement, c’est entre mes deux oreilles, comme le diraient ceux qui jugent vite. Une question de chimie du cerveau, de neurones qui capotent et qui envoient des signaux chaotiques dans mon corps. Les maladies mentales, ça s’invite chez vous après avoir visité plusieurs personnes dans votre parenté, ou ça défonce la porte sans s’annoncer, à cause des circonstances qui vous font la vie dure.
Quand ça m’arrive, ça me donne l’impression que la mort m’attend si je dois grimper sur un escabeau de deux marches pour arroser les plantes. Ou que mon cœur va partir se promener au milieu de l’autoroute tellement il bat vite. Ou que la foule présente lors d’une activité familiale va m’avaler et kidnapper mes enfants et mettre le feu à la bâtisse… On appelle ça de l’anxiété. C’est dans ma tête, mais ça existe pour vrai. Malheureusement.
Ce qui se passe à l’étage du haut, juste en dessous de ma calotte crânienne, affecte ce qui se passe dans tout mon corps. Vous essaierez, vous, de vous endormir ou de calmer votre respiration quand vous pensez à cinquante mille choses en même temps. Je n’exagère même pas. « Est-ce que j’ai barré la porte? Pas sûre… Je devrais aller vérifier. Si j’y vais, ça va réveiller tout le monde. Les enfants ont besoin de sommeil pour grandir et apprendre. Je vais avoir froid. Comme pendant le verglas de 1998. Je pensais mourir. Si je ne dors pas bientôt, je vais arriver en retard au travail. Merde! Je suis sûre que j’ai une réunion à huit heures. Si je vérifie sur mon cellulaire, je vais nuire à mon sommeil. Les ondes qui se dégagent de ça ne sont pas bonnes pour la santé. Est-ce que j’ai mangé assez de légumes aujourd’hui? Peut-être que ça pourrait compenser? Ah! non, j’avais promis au petit de laver ses pantalons préférés. Je suis une mauvaise mère. Et… » Vous voyez le portrait.
Avec une colonie de gerboises qui spinnent en dedans vingt-quatre heures par jour, on s’épuise. Mentalement et physiquement. On développe des tensions musculaires, des maux de tête, des crises d’urticaire, des maux de ventre. Et on dort encore moins. Et on stresse encore plus. Et on a le gros orteil sur le bord d’un précipice appelé dépression ou épuisement. Et on tombe dedans, éventuellement.
La dépression, je l’ai rencontrée dans mon miroir, mais aussi chez plusieurs personnes que je connais. Certaines avec qui je partage des gènes, d’autres avec qui je partage une amitié. Certaines sont encore ici, d’autres ont choisi sans choisir de mourir. Une quinzaine de suicides autour de moi. Des internements. Des crises pas possibles. Ça fesse. Ça porte à réfléchir. Ça amène à me demander si un mauvais moment donné, ce sera mon tour.
Je choisis l’autre option : la vie. La vie pas tout le temps facile, celle qui passe par le travail de guérison, l’acception de qui je suis avec mes côtés ensoleillés et mes bibittes à grandes pattes poilues qui rampent partout. La vie, ça passe par la communication et les demandes d’aide, par les projets qui me donnent le goût de me lever le matin. Mais pendant longtemps, ça passait par l’effort surhumain pour m’habiller et pour sourire. Ça me prenait tout mon petit change pour me rendre à l’épicerie et en revenir, parce que quand je revenais, je retrouvais ce qui m’épuisait. Ça me déprimait encore plus que le prix des bananes et les nouvelles de vingt-deux heures. Ça m’a pris du temps, ben, ben de l’énergie, une grosse gang d’amis et de thérapeutes respectueux de mon rythme, capables de me pousser juste assez pour que je reprenne mon élan sans crasher.
Si vous êtes malades dans votre tête, ça se peut que ça vous prenne tout ça et même plus. Ça se peut que l’idée de vous jeter par-dessus bord de votre vie vous passe par la tête. Une fois, deux fois… chaque jour, chaque seconde. Mais ça passe, parce que la maladie, ce n’est pas vous. Ce n’est pas votre identité. Au pire, faites comme Anna dans la Reine des neiges : couchez-vous par terre en claquant la langue à chaque seconde. Vous allez voir : le temps avance, les choses progressent. Un jour, quelqu’un nous tend la main et nous aide à nous reprendre en main, un pas à la fois.
Les maladies mentales, c’est comme les maladies physiques : ça se guérit avec le temps, l’aide appropriée et beaucoup d’amour. Un bon bouillon de poulet ne peut pas nuire. Ça nous ramène du côté de la santé mentale et de ce que j’appelais l’« heureusité » quand j’étais petite.
L’Association québécoise de prévention du suicide
http://www.aqps.info/
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