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C’était mon père

Ça a été un débat, avec ma tête et avec mon cœur. Peu importe, après réflexion, les gens ont

Ça a été un débat, avec ma tête et avec mon cœur. Peu importe, après réflexion, les gens ont le droit de savoir. Savoir le pourquoi, les raisons fondamentales des non-dits de notre famille.

En sixième année, quand j’ai décidé d’aller faire mon secondaire chez papa, j’étais tellement contente de pouvoir profiter d’avoir une sœur! Les bébés, j’adorais ça! Elle est arrivée, je n’avais pas le droit de la voir, de la prendre… pour plein de raisons qui sont hors de mon contrôle.

Un jour, je suis seule à la maison, avec papa. Il est tard. Je devrais dormir, mais ce n’est pas le cas. Je monte aux toilettes, papa écoute la télé. Je ne suis pas à l’aise, je le sens pas. Mais je fais ce que j’ai à faire. J’arrive pour sortir. Papa est là, nu. Il me force à rester dans la salle de bain, il m’assoit sur la sécheuse, de force. Il me dit qu’il veut me montrer c’est quoi, comment ça marche. Je me débats, je crie je frappe, j’ai vraiment peur…. Je finis par pouvoir me sauver, descendre à ma chambre.

À partir de ce soir-là, je ne m’endormirai plus avant de savoir que papa est monté, avant d’entendre ses pas monter l’escalier.

Par la suite, une autre fois, ma belle-mère n’y était pas. Il descend, dans ma chambre. Il met sa main sur ma bouche, je suis sur mon lit. Il me touche, je me débats. Mon instinct de protection embarque, je suis enragée… et tout d’un coup, la belle-mère arrive. Son commentaire: bonnnn… pourquoi elle crie encore? C’est poche mais en même temps, j’ai tellement été contente qu’elle revienne tôt cette journée-là.

Une journée, la nièce de ma belle-mère reçoit son call pour sa transplantation. Elle part pour Québec. Je suis seule avec papa et pour un bon bout… Là, j’panique. Je supplie grand-mère de me ramener chez elle, je veux aller vivre là-bas.

Je pars, je suis démolie mais je survis. Je continue mon secondaire. Un jour, je me fais appeler au secrétariat. Un travailleur social est là, il veut me parler.

Je suis stressée, j’comprends pas trop. Il commence à me parler, c’est léger. Puis bang!, la bombe est lancée. Ma sœur a fait un signalement… Ma petite sœur a fait une plainte. Notre père a eu des gestes déplacés envers elle. Est-ce que j’étais au courant? Comment j’me sens? Est-ce que j’ai vécu une situation déplacée moi aussi?… Beaucoup d’informations, beaucoup de questions, et y a moi, gelée, qui doit tout gérer. Je dois mettre en place mes idées, je dois absorber un esti de choc. Le reste est flou, pour vrai. Le travailleur social repart, je suis laissée avec moi, ma tête, mon cœur… J’comprends pas, j’comprends rien…

Je dois aller dîner chez ma mère… Pas mal la dernière place où je voudrais être. Je marche avec mes amis, eux ils vont dîner chez eux, moi j’dois aller affronter ma mère, ma sœur.

J’finis par arriver, le reste est toujours flou. Pour vrai, tout le reste est dans un brouillard… J’suis brisée enragée…. contre la terre entière. Pourquoi moi, pourquoi nous…. On est allé en cour, ç’a été compliqué. Papa a gagné, si on peut vraiment appeler ça une victoire.

On a été plusieurs années sans avoir de contact. Plus tard, avec ma sœur, on a décidé de passer par-dessus. De connaître notre demi-sœur qui savait même pas qu’on existait. On veut créer un lien. On décide de ne plus parler de cette histoire, de taire tout ça. À la limite, on a même décidé de nier au besoin.

Plusieurs années passent. Un jour l’été d’après, j’ai un déclenchement quand j’le vois jouer avec la fille de mon chum dans la piscine au camping… My god, s’il devait lui toucher, s’il avait un petit geste déplacé, qu’il se passait quelque chose. Comment je pourrais vivre avec ça? Comment je pourrais accepter d’avoir fermé mes yeux?

Je ne peux pas. Pour vrai, je ne me pardonnerais jamais… Je veux que personne ne vive ça, sincèrement.

Voici mon histoire. Désormais, je n’ai plus de contact avec mon géniteur. Pour protéger mes enfants, ceux de mon conjoint, les enfants de mes amis… J’ai décidé de ne plus nier ce qui est arrivé. Si quelqu’un me pose une question, je serai honnête, je n’ai plus à me sentir coupable.

Je le dis maintenant, pour moi mais aussi pour ma sœur. J’ai terminé de m’en vouloir, d’avoir honte, mais surtout, je n’ai pas à le protéger. Plus maintenant. Il doit assumer les conséquences de ses actes, assumer le fait qu’il a brisé des vies… Heureusement, on a eu maman. On a été bien entourées.

Il ne faut pas hésiter à dénoncer, même plusieurs années plus tard… Les gestes que j’ai subis, que ma sœur a subis, ça a brisé des vies, les nôtres mais aussi celles de ma mère, de son conjoint de l’époque.

J’ai cheminé dans ma vie, l’adulte que je suis, c’est certainement pas grâce à lui. Ma vie n’a jamais été un long fleuve tranquille, mais désormais je vis plus en paix, je suis où je suis dans la vie parce que je suis une battante, je suis heureuse et ça, il ne pourra plus jamais me l’enlever.

 

Julie

Mon corps d’enfant – Texte : Marina Desrosiers

Je n’ai pas réussi à te faire bander. Tu me l’as reproché. Tu m’as boudée parce que je

Je n’ai pas réussi à te faire bander. Tu me l’as reproché.

Tu m’as boudée parce que je n’étais pas assez excitante.

Pourtant, j’ai essayé! Je voyais le cadeau que tu m’avais promis me glisser entre les doigts, alors que toi, tu voulais que ce soit ton pénis qui y glisse. J’ai pleuré. Pas de honte, pas de rage. De déception. J’étais déçue de moi, de mon échec. J’étais déçue de toi, de ta trahison. Tu m’avais promis que si je me mettais toute nue, que je te laissais me pénétrer, tu me donnerais ton plus gros toutou. Le jaune, presque aussi grand que moi.

J’ai couru à l’étage. Maman, maman, mon frère ne veut pas me donner son toutou, il m’avait dit qu’il me le donnerait!

J’ai dû révéler la condition. Tu voulais éjaculer. Et ça n’a pas fonctionné.

Un corps d’enfant de huit ans ne t’avait pas excité. Peut-être aussi que la peur de te faire pogner les culottes baissées avait refroidi tes ardeurs.

Tu t’es fait prendre quand même, parce que j’ai crié à l’injustice. Pas celle de l’abus, mais celle de la promesse non tenue. Tu as dû t’excuser, notre autre frère aussi. Parce que tu n’étais pas seul, on exigeait de moi des deux côtés. J’étais la petite sœur de service.

Vous avez demandé pardon, merci, bonsoir. Fin de l’histoire.

Jusqu’à ce que mon adolescence se réveille et que mes cellules se souviennent.

J’avais été touchée illégalement, sans mon consentement (on ne peut pas dire oui au sexe à cet âge et encore pendant de nombreuses années). Le pardon avait été demandé à la va-vite, comme le sexe que vous aviez essayé d’avoir à quelques reprises.

Plus tard, quand j’ai révélé ces abus, mon malaise, mon mal-être, on m’a accueillie à bras ouverts ou à cœur fermé, selon la confidente. On m’a comprise et écoutée. On m’a aussi jugée. « Arrête d’en faire tout un plat, ils étaient jeunes et remplis d’hormones, ils avaient besoin d’expérimenter. Tu étais là, c’est tout. »

Je cite ici une enseignante de formation personnelle et sociale qui enseignait la sexualité dans une école de filles. C’est bien ce qu’elle m’avait répondu.

En gros, farme ta gueule.

J’avais été choquée, blessée, mais je ne l’avais pas crue. Moi, je savais qu’ils m’avaient salie avec leurs hormones dans le tapis. Sperme ou pas, c’était dégueulasse. Point.

Dans le temps, on ne dénonçait ni les abuseurs ni ceux qui camouflaient. On endurait. Peu ont su la vérité, mais j’ai bien dû la révéler à des hommes qui me trouvaient crispée.

J’aurais aimé que le pardon soit suivi d’une réelle réparation. Sous quelle forme, je ne sais pas. Je portais encore des robes roses à dentelle, c’est jeune pour prendre une si grande décision. Mais j’aurais voulu ne pas devoir me battre à l’âge adulte pour que les abuseurs admettent leurs gestes à la femme que j’étais devenue.

« T’es folle, t’inventes des histoires, t’es juste bonne pour l’asile! »

C’est ce qu’un des coupables m’avait répondu. Plus d’une fois. L’autre s’était excusé, sincèrement. Mais de grâce, qu’on enterre ce sujet pour de bon, qu’on l’incinère, qu’on le jette aux oubliettes! La force du tabou, même quand on ose dire.

J’ai fini par recevoir une demande de pardon, maladroite, insuffisante, mais quand même mieux que rien. Une excuse pour le geste, pas pour les séquelles, qu’il ne connaît pas, puisqu’il ne m’a pas écoutée. On n’écoute pas les folles, après tout.

En passant, au cas où l’étymologie vous intéresse, le mot « inceste » vient du latin et signifiait « sacrilège », profanation du sacré.

Le corps d’un enfant, fille ou garçon, est sacré. Sacrez-lui la paix. Respectez-le.

Marina Desrosiers

L’écho qui fait peur

Sur l’image bicolore, un être à l’identité indéfinie. Un pet

Sur l’image bicolore, un être à l’identité indéfinie. Un petit cœur en formation qui clignote. Je t’ai tellement rêvé, et te voici qui grandit en moi! Mon bébé, mon fœtus! Deux bras, deux jambes, une belle tête ronde, un cerveau qui a déjà commencé à apprendre la vie intra-utérine. Tout y est! La joie intense de mes premiers pas dans la maternité dessinée en noir et blanc sur un écran.

Mais j’ai peur de ce que cette échographie pourrait révéler. Certaines mamans et certains papas ont peur d’un chromosome ou du nombre d’embryons. Moi, mon bébé, j’ai peur que tu sois un garçon. Oser le dire m’horrifie et me soulage. J’adorerais que tu sois un petit bonhomme, te bercer, jouer avec toi, te bécoter et te chatouiller, t’amener à ta première journée d’école… comme je le ferais avec une petite fille!

Mais j’ai peur, parce que tu es mon premier bébé. J’ai peur que le premier enfant que je mettrai au monde soit un garçon. J’ai peur parce que moi, j’ai grandi avec un garçon plus vieux. Un frère qui n’a pas pris soin de moi de la bonne façon. Qui m’a aimée (ouin…) comme il n’aurait pas dû. Donc aujourd’hui, je suis étendue sur une table d’échographie et mon immense joie est teintée par ma peur de voir un petit bout qui dépasse entre tes jambes.

Je n’ai pas peur de ne pas t’aimer, je sais que je saurai, sans aucune retenue. J’ai peur d’avoir peur. Si tu es un petit garçon qui deviendra grand, j’ai peur de ne pas être capable de prendre le risque de redevenir enceinte et que ce soit une fille. J’aurais peur de te faire une petite sœur. J’aurais peur que cette petite fille devienne la petite sœur que j’ai été. J’aurais peur que tu deviennes le grand frère que j’ai subi.

Ma peur n’a rien à voir avec toi. Ça n’a même rien à voir avec le fait que tu aurais un pénis et des testicules : plein de garçons et d’hommes en ont et sont tout à fait gentils avec toutes les filles et les femmes qui les entourent. Ton sexe ne définira pas ce que tu feras avec. Mais s’il était masculin, il réveillerait en moi de mauvais souvenirs et des craintes de ne pas pouvoir protéger mes autres enfants, si j’en avais.

Mon bébé, mon fœtus, je te fais une promesse : peu importe ce que l’échographie montrera, je t’aimerai de tout mon cœur. Toi, ton papa et moi, on prendra les décisions une à la fois, et jamais je ne te ferai sentir que tu dois porter le poids de nos choix concernant des petits frères ou des petites sœurs à venir. Mais d’abord, je prendrai le temps de t’aimer et de te connaître pour tout ce que tu es. Et ma petite voix de maman me dit que tu me donneras la force de croire que ton histoire ne sera pas un écho de la mienne.

 

Eva Staire

Le secret maudit (version soft de « Le maudit secret »)

- Chut! Mamie arrive demain pour la fête de ta sœur. Il ne faut pas le dire, c’est une surprise!

– Chut! Mamie arrive demain pour la fête de ta sÅ“ur. Il ne faut pas le dire, c’est une surprise!

Ça, c’est un beau secret. Un secret qui fait du bien. Un secret qui fait sourire le cœur. L’enfant qui le reçoit aura toute la misère du monde à le garder pour lui tout seul parce qu’il sait que les personnes concernées adoreraient vivre cette surprise tout de suite. Une telle bonne nouvelle, ça se partage!

Ça, c’est un secret qui donne le goût de danser et de courir vers l’autre.

– Chut! Ne dis jamais à personne ce qui vient de se passer. Si tu le dis…

Ça, c’est un secret maudit. Un maudit secret rempli de caca qui pue. C’est un secret qui traumatise le cœur, qui le fait brailler en cachette jusqu’à la fin des temps, que le secret trouve son chemin ou non vers une oreille accueillante.

L’enfant qui le reçoit aura toute la misère du monde à décider s’il doit le cacher de tous ou s’il peut oser le déposer dans le cœur d’une personne aimante et protectrice. La honte, la peur de trahir l’initiateur du secret ou de trahir sa propre personne. C’est un secret qui donne le goût de mourir par en dedans, de s’enfuir de soi, de s’isoler. C’est un secret qui donne la nausée.

Chaque enfant (chaque adolescent aussi… une petite piqûre de rappel est nécessaire à l’occasion) devrait apprendre la différence entre les secrets qui font du bien et ceux qui tuent. La main qui touche les fesses innocentes et la main qui s’élève sous le coup de l’alcool et de la colère ne doivent pas être protégées par le silence et la solitude. La menace n’a pas sa place, qu’elle existe en mots ou en gestes.

Chaque parent, chaque adulte de confiance devrait trouver les mots et le moment pour faire comprendre aux enfants qu’ils doivent apprendre à connaître et à écouter la petite voix en eux. Celle qui leur dit de crier, de refuser le secret, de trouver LA personne de confiance qui prendra soin de l’enfant et du secret qu’il s’est fait imposer. Celle qui leur dit « Non, ce n’est pas ta faute. » Et chaque adulte qui reçoit la confidence d’un maudit secret devrait croire l’enfant qui a osé vivre dans la vérité et défier le manipulateur.

Nathalie Courcy

À toi qui as volé ma vie

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Toi qui as volé ma vie alors que je n’avais même pas commencé à la vivre,

Toi qui as posé tes mains sur moi sans même avoir la permission,

Toi qui t’es servi d’une autorité parentale comme excuse,

Toi qui t’es permis de me salir sans que je ne puisse rien dire

 

Tu m’as entendue crier,

Tu m’as vue pleurer,

Tu m’as entendue te supplier de me lâcher,

Tu m’as vue me renfermer sur moi‑même

 

Pourquoi m’as-tu fait ça?

Pourquoi as-tu voulu me détruire?

Pourquoi as-tu volé ma jeunesse?

Pourquoi as-tu préféré me détruire plutôt que d’aller chercher de l’aide?

 

Comment as-tu pu recommencer presque tous les soirs?

Comment as-tu pu faire ça à des gens qui t’ont accueilli chez eux à bras ouverts?

Comment as-tu pu continuer de me regarder comme si de rien n’était lorsque nous étions en famille?

Comment as-tu pu continuer à faire des blagues déplacées alors que tu savais très bien ce que tu faisais?

 

Et toi maman, pourquoi l’as-tu laissé faire?

Pourquoi ne m’as-tu pas crue quand je t’ai tout avoué?

Pourquoi, maman, croyais-tu que j’inventais tout?

Pourquoi n’as-tu pas fait confiance à ton enfant?

 

Pourquoi, maman, ne m’as-tu pas sortie de cet enfer?

Pourquoi, maman, m’as-tu crié de m’excuser à celui qui m’effrayait le plus?

Pourquoi, maman, as-tu décidé de rester avec mon agresseur?

Pourquoi, maman, étais-tu fâchée contre moi?

 

Tu sais, ce jour où je t’ai tout avoué, tu ne m’as pas crue

Tu m’as même fait douter de moi

Pourquoi ne m’as-tu pas protégée?

Pourquoi n’as-tu pas rempli ton rôle de mère comme il se devait?

 

Je t’ai toujours prise comme idole

Je t’ai toujours vue comme une femme forte

Je t’ai toujours considérée comme la meilleure mère au monde

Celle qui donnerait tout pour ses enfants

 

Mais ce jour où tu ne m’as pas crue, tu es devenue pour moi un monstre

Le même genre de monstre que celui qui a volé mon enfance, ma vie

J’ai dû faire deux deuils, celui de voir à tout jamais ma vie s’envoler

Et celui de perdre ma mère, car pour moi tu ne méritais plus ce titre

 

C’est moi, maman, qui ai dû grandir avec ces blessures, cette rage

C’est moi qui ai dû réapprendre à faire confiance aux hommes

C’est moi, maman, qui a dit réapprendre à sourire, à vivre avec les rechutes

C’est moi, maman, qui vis maintenant avec une partie de moi en moins.

 

Aujourd’hui, tu es toujours avec cet homme

Je me demande ce qui est le plus douloureux : avoir subi ces agressions ou que ma mère ne m’ait pas crue et qu’elle continue à coucher, embrasser cet homme

Aujourd’hui, je ne suis pas capable de te renier, mais aujourd’hui, j’ai décidé de me choisir

De prendre soin de moi et d’imposer mes limites.

 

Tu as choisi de briser notre famille, et longtemps vous avez essayé de me faire sentir coupable, et tu sais quoi, jusqu’à tout récemment, ça a fonctionné

 

Mais maintenant, c’est fini, je ne suis plus une victime, je suis une battante, une survivante!

 

Eva Staire

 

Le plus fort n’était pas mon père

J’ai quatre ans. Nous sommes en direction de la maison de mon pèr

J’ai quatre ans. Nous sommes en direction de la maison de mon père. Sa main est sur ma cuisse. Geste anodin que je ne supporte toujours pas aujourd’hui. À l’époque, les enfants sont assis du côté passager à l’avant. Parfois, mon père a une bière entre les jambes lorsqu’il conduit. La DPJ n’existe pas. Une fin de semaine sur deux, je deviens le jouet sexuel de mon père. C’est lui qui m’initiera à la masturbation, aux fellations et à divers attouchements. Cela durera quatorze ans.

J’ai compris très tard, trop tard, que ce n’était pas tous les papas qui jouaient de cette façon avec leurs petites filles. Je savais très jeune, trop jeune, que c’était mal. Mais ce n’était que ce que je connaissais. J’ai compris très tard, trop tard ce qu’était un vrai papa, un bon. Vingt ans plus tard, après d’innombrables thérapies, je me sens toujours coupable d’avoir attisé le désir de mon père alors que je n’étais que toute petite.

Tout demeure sous forme de flashback. Ma main minuscule sur son pénis. Ses halètements saccadés. L’odeur de son sperme. Il m’aimait tant, qu’il disait. Sa petite princesse.

La petite princesse s’en est allée.

Jour de Pâques. J’ai dix-huit ans. Lors du brunch de famille annuel. Lui, il est toujours placé à ma gauche. Ça discute des émissions L’amour avec un grand A de Janette Bertrand. Et mon père de dire à la blague : en tout cas moi, j’en fais de l’inceste avec ma fille. Son rire assourdissant par la suite. Et les rires des autres convives. Mon cœur a arrêté. Ce jour-là, j’ai quitté le dîner, traversé la porte et je ne suis plus jamais revenue.

S’ensuivit une période folle. Je prenais déjà plusieurs douches par jour afin d’expier je ne sais quoi, je m’automutilais aux poignets afin de diminuer mon anxiété et gérer mes crises d’angoisse, sans parler de quelques tentatives de suicide, dont la première à onze ans dans ma cour d’école. J’avais tenté de me pendre à la clôture de mon école primaire à la fin des classes. Un surveillant était arrivé. Qu’est-ce que tu fais là?! Je ne fais rien, monsieur. Il était mécontent. La directrice et ma mère le lendemain étaient aussi mécontentes.

J’ai donc continué. À me faire mal. À tenter de me suicider pendant les dix années qui suivirent. En secret. Sans rendre personne mécontent.

J’ai appris à être belle et à me taire. J’ai appris à être un objet sexuel pour assouvir les besoins. Je me suis beaucoup donnée. J’y ai mis beaucoup d’efforts. C’est ce que je connaissais.

Puis j’ai arrêté. Mon corps m’a arrêtée. Je portais mon premier bébé. Je portais la Vie. Une deuxième chance se pointait.

Je suis aujourd’hui dans la quarantaine. Les vingt ans d’abus sont passés. Je ne pardonnerai jamais. Je n’oublierai jamais. J’apprends à vivre avec. Je ne vois plus ce père depuis vingt ans. Il ne serait pas mort. J’ouvrirai une bouteille rendue là et je fêterai son décès. Je ne l’ai pas emmené en cour. Il aurait fait le sixième de son temps. J’ai fait quarante ans. Replonger dans les souvenirs demeure trop douloureux. La mémoire heureusement protège. J’arrive tout de même à être épanouie aujourd’hui. J’ai plein d’enfants formidables, un amoureux extraordinaire, une belle-famille, des amis présents et une carrière florissante.

Mais oui, la tristesse de fin du monde demeurera. Tapie tout au fond de moi.

Tu n’as jamais été le plus fort papa.

Jamais tu ne le seras.

Eva Staire

 

Touche pas à mes enfants!

Parlons d’inceste. Parlons dâ

Parlons d’inceste. Parlons d’abus. Parlons de la peur que ça nous injecte dans le cœur.

J’étais petite. J’étais la plus jeune de la famille. J’étais une fille. J’avais deux frères débordant d’hormones adolescentes et de désirs exploratoires. Ils ont abusé à répétition de mon petit corps innocent, avec ma permission qu’ils avaient manipulée : « Je vais te donner mon toutou si tu me fais bander »… « Si tu le dis à m’man, tu vas le regretter. Elle ne te croira jamais de toute façon. »

Mais elle m’a crue. Elle a exigé qu’ils arrêtent leurs petits « jeux » immédiatement. Ils ont obéi.

Fin de l’histoire.

Euh… Non!

Dans le temps, on ne parlait pas de « ces affaires-là » (lire : tout ce qui dérange la bonne conscience collective, ce qui est sale et « pas beau », ce qui est fait dans les souterrains des familles et des sous-sols d’église, mais qui ne doit jamais remonter à la surface). J’ai eu la chance d’être écoutée et crue, d’être défendue. Mais avec du recul, j’aurais aimé que ça aille plus loin. Qu’il y ait une réelle intervention, une aide psychologique pour moi et pour eux. Une (ré)conciliation familiale. Mais dans ce temps-là… dans un petit village où tout se sait… on enterrait les faits, on taisait les émotions, on lavait les draps à l’eau de Javel et on retournait au quotidien neutre et sans histoires.

Qu’est-ce que j’en ai gardé?

Un malaise par rapport à ma propre sexualité. Je n’avais pas réussi à faire bander mes frères pourtant si excités. Je n’avais pas réussi à leur faire de pipe comme il se doit. Par contre, j’étais fière en titi d’avoir dénoncé. Je n’ai pas eu le toutou promis, mais j’ai gardé ma virginité et mon pouvoir de dire « NON. »

Au secondaire, j’ai consulté. Par moi-même. « Bonjour madame la psychologue, j’aurais besoin d’aide. J’ai été abusée pis ça marche pas dans ma tête. » J’ai parlé à des enseignants en qui j’avais confiance. Certains m’ont écoutée et prise dans leurs bras. D’autres m’ont répondu : « Ben voyons, l’inceste, c’est pas vraiment un abus sexuel! Tes frères, c’étaient des adolescents, ils voulaient juste essayer des affaires. » Ou encore : « Il n’y a pas eu pénétration, faque c’est pas si pire que ça. Arrête de dramatiser pis reviens-en! »

Au cégep, j’ai fait une démarche de réconciliation. Je voulais comprendre ce qui leur était passé par la tête et par les couilles. Je voulais surtout les entendre demander pardon. Un l’a fait, de façon sincère. Ça lui étranglait la conscience depuis tellement d’années, et il n’osait même pas imaginer ce que c’était pour moi. L’autre? Il m’a répondu que j’étais une cr*** de folle, une menteuse chronique, que je devrais être enfermée à l’asile. J’en ai parlé à notre mère. Je ne sais pas s’ils en ont discuté (le silence… le maudit silence…), mais ça a pris des années avant qu’il y ait une suite à l’histoire. Un soir, un courriel :

« Ce que j’ai fait était pas correct. Je te demande pardon. »

Et moi, l’épaisse (oui, oui, je m’autoflagelle), j’ai donné mon pardon sur un plateau doré. J’étais tellement soulagée qu’il admette enfin ses gestes! Comme si j’avais besoin de ça pour me confirmer que j’étais saine d’esprit, que je n’avais pas tout inventé. Pourtant, bien que les souvenirs soient flous, ils sont bien ancrés dans la réalité.

Quand j’ai rencontré celui qui deviendrait le père de mes enfants. Il y a eu des froids à défaire, une confiance à gagner. Il a su écouter, respecter. J’ai eu terriblement peur d’accoucher de garçons en premier, peur que l’histoire se répète. Encore aujourd’hui, je porte les séquelles de cette plongée trop précoce et trop forcée dans la sexualité. Mon corps porte des souffrances crues qui émergent à l’occasion sous forme de crampes, de blessures, de tensions.

Je veux mes enfants libres, je les veux confiants, mais il m’arrive de craindre ce qui pourrait leur arriver. Malgré le pardon, devant mes frères, je garderai toujours un réflexe interne de lionne : « Touche pas à mes enfants ». Je fais confiance aux gens qui nous entourent, comme ma mère et moi faisions confiance à mes frères. On ne peut pas se mettre à douter de tout le monde et imaginer des scénarios d’horreur dès que nos enfants ne sont pas à portée de regard!

Mais il m’arrive d’avoir peur. Il m’arrive de me poser des questions sur les intentions des gens. Une montée d’hormones est si vite arrivée! Une pulsion incontrôlable, quelques onces d’alcool, un coin sombre, on ne sait jamais.

Mes enfants ne connaissent pas cette portion de ma vie. Mais ils possèdent l’information qui pourrait leur éviter de se retrouver dans une situation d’abus. Ils savent qu’en tout temps, ils peuvent me parler et ils seront écoutés et soutenus. Et ils savent que les câlins et les bisous, ça ne s’arrache pas.

Statistiques concernant les agressions sexuelles : http://www.statcan.gc.ca/pub/85-224-x/2010000/part-partie2-fra.htm

Agressions sexuelle Montréal : http://agressionsexuellemontreal.ca/violences-sexuelles/inceste-et-abus-sexuel

Guide d’information à l’intention des victimes d’agression sexuelle : http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/Violence/guide-agressions-sexuelles2008-fr.pdf