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Crise à la maternelle

C’était un beau matin ensoleillé. Je m’étais levé de bonne h

C’était un beau matin ensoleillé. Je m’étais levé de bonne humeur et tout allait bien. Je m’étais dit en prenant mon café que ce serait une très belle journée. J’étais allé mener ma fille à l’arrêt d’autobus avec le cœur paisible. Par la suite, je m’étais rendu à l’école avec mon fils et ma femme. Mon fils devait aller porter ses effets scolaires ce matin­‑là pour sa rentrée à la maternelle.

Arrivé à l’école, tout allait bien. J’étais un papa extrêmement fier d’aller avec mon garçon à son premier jour de classe à vie. C’est quand même un évènement marquant pour un enfant. Dans la classe, fiston a décidé que c’est papa qui complèterait les papiers. Maman, elle, devait écouter les directives de l’enseignante.

J’avais fini de remplir les formulaires lorsque j’ai commencé à avoir des flashbacks. Le stress s’était mis en place rapidement. Ma respiration était courte et mon rythme cardiaque était plus rapide. Mes pensées étaient embrouillées et je n’étais plus capable d’entendre ce qui se passait. J’avais beaucoup de difficulté à rester là et je voulais juste m’enfuir.

Mais non ! Je ne pouvais pas. C’était une journée importante pour mon fils. J’essayais de prendre de bonnes respirations, discrètement. Inspire, expire… Je ne voulais pas que les autres parents me remarquent. Mon champ de vision avait rétréci.

Les autres enfants étaient chanceux. Ils n’avaient pas un papa ou une maman atteints du TSPT.

Ah oui ! Ma femme revenait de la salle de bain. Elle me l’avait dit et je ne m’en souvenais plus. « Chérie, dis‑moi quoi faire parce que là, ça ne va pas du tout. Je ne sais plus quoi faire. » J’étais vraiment perdu et en détresse. Moi qui avais dirigé du personnel dans des situations exigeantes. Moi qui avais formé des recrues dans les Forces armées canadiennes. Moi qui avais transformé des citoyens en soldats. Moi qui avais effectué des missions à l’étranger. Là, j’étais au pied du mur. Je ne pouvais même pas faire ce que l’enseignante demandait aux enfants de cinq ans. Quelle humiliation pour moi ! Je me sentais tellement inutile et incompétent ! Il n’y a pas de mots pour exprimer la douleur et la honte que j’aie ressenties cette journée‑là.

Heureusement, j’avais rendez-vous avec une personne formidable à la fin de ma journée et tout s’est bien terminé.

Carl Audet

La honte

La honte, un sentiment d’abaissement, d’humiliation qui résulte

La honte, un sentiment d’abaissement, d’humiliation qui résulte d’une atteinte à l’honneur, à la dignité. Ou bien encore mieux, un sentiment d’avoir commis une action indigne de soi, ou une crainte d’avoir à subir le jugement défavorable d’autrui.

Oui, c’est bien de cela que je veux vous parler : la peur d’avoir à subir le jugement défavorable des autres, la honte !

Mais revenons‑en au début… Tout le monde dans sa vie a déjà vécu un moment de honte. Non ? Si ce n’est pas le cas, ça devait être tout près de la honte.

Je me rappelle très bien lorsque j’étais militaire à la base de Valcartier : un beau matin, j’occupais le poste de caissier de la base. J’avais des responsabilités importantes. J’étais le seul qui effectuait les divers paiements et à la fin de la journée, ça devait balancer. Puis ce matin‑là, une des superviseurs est passée et m’a dit « Bonjour Carl ». Elle m’a regardé et m’a dit : « Tu n’as pas l’air de bien aller, ce matin ». C’est alors que j’ai fondu en larmes et suite à cela, elle m’a demandé si je voulais un rendez-vous en santé mentale à la base militaire, ce que j’ai accepté.

Mais comme tout bon soldat, peu importe la tâche, la priorité, c’est toujours de servir son pays en premier ! Soi-même, ça passe après ! Bien, c’est ce que j’avais appris de la vieille armée ! C’est pour cela que c’est toujours difficile d’être militaire et père de famille en même temps. Quand le devoir t’appelle, souvent, l’éventail de choix n’est pas très large. Notre pays, le Canada, passe souvent avant la famille pour les militaires.

Arrivé à l’hôpital de la base, je devais emprunter l’escalier pour monter au deuxième étage. Le deuxième étage comprend seulement les services de santé mentale. Bon OK, avant d’aller vers l’escalier, je devais m’assurer que personne ne me voie ! Bien non, c’est l’escalier de la honte et en haut, c’est l’étage de la honte. Ce n’est pas permis pour moi qu’un autre me voie emprunter cet escalier pour aller en haut. Qu’est‑ce qu’ils vont penser de moi ? Je vais être un faible ?

J’ai attendu que le corridor soit libre de gens et j’ai emprunté l’escalier. J’étais encore stressé dans les marches parce que je ne savais pas si j’allais voir d’autres militaires à l’étage. Arrivé au deuxième étage, soulagement total ! Aucun militaire en vue, seulement du personnel civil. Après avoir été accueilli par les réceptionnistes, je me suis dirigé vers la salle d’attente. Et boom ! Ce fut la catastrophe, deux autres militaires étaient assis et attendaient, mais personne n’osait se regarder. De temps en temps, je regardais du coin de l’œil pour voir si on me regardait, mais non. Personne n’osait se regarder. Je n’étais pas le seul à avoir honte ! C’est ça la honte, la peur d’avoir à subir un jugement défavorable d’une autre personne.

Ce fut encore le même scénario, à la base militaire de St-Jean. J’avais ce réflexe de m’assurer que personne ne me voie monter au deuxième étage. Quand même honteux pour un sergent, d’aller au deuxième étage. Surtout quand tu as été instructeur et capable de former des pelotons de soixante recrues !

Quand on m’a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique l’année passée, je me suis dit : « Bon, est-ce que j’en parle ? » Et tout de suite, je me suis dit oui, je ne cacherai pas cela.

Pourquoi ? Parce que cela fait quatorze ans que je souffre de cette blessure sans le savoir. Ma femme a dû endurer beaucoup de crises et de colère de ma part. J’ai frôlé le divorce à plusieurs reprises. Mes enfants ont souffert de voir un papa qui criait envers eux pour des riens comme si c’était la fin du monde. Parfois, je leur ai même fait peur à mes tout petits enfants d’amour. Et pourtant je les aime tellement, mais j’étais blessé et personne ne m’avait aidé. Ils ont failli me perdre à plus d’une reprise, car j’étais dépressif.

Je me suis dit : au lieu d’avoir honte, je vais en parler. Je vais aider ceux qui sont comme moi. Ceux qui ont honte, ceux qui sont isolés et qui ont besoin d’aide. Parce que moi, les aider, ça me fait du bien aussi.

La honte c’est la peur d’avoir à subir le jugement défavorable des autres. La peur ne sert à rien dans la vie. Mais vaincre sa peur, voilà une chose enrichissante. Voilà une chose que je vais enseigner à mes enfants. Transformer sa peur en courage !

Carl Audet

Le mauvais chum dans le salon

2004, j’étais presque à la fin de ma mission en Afghanistan, et

2004, j’étais presque à la fin de ma mission en Afghanistan, et j’avais le pressentiment que cette mission était la dernière de mes trois missions dont deux auparavant en Bosnie-Herzégovine. Car celle‑là, je la trouvais difficile et j’avais de la misère à me comprendre.

À mon retour, l’alcool s’est installé quotidiennement de façon rapide sans que je m’en aperçoive, car ça me faisait du bien. Ça me gelait sans que je m’en aperçoive à la fin de mes journées de travail.

2005, j’ai décidé de m’acheter une maison, car je ne pouvais plus rester dans les maisons militaires en rangées collées les unes sur les autres. Je ne sortais plus dehors. Je restais enfermé dans mon logement parce que j’étouffais avec le monde.

Ce fut l’achat d’une belle maison canadienne en pierre avec vue sur le fleuve St-Laurent, dans le bois et possédant un vaste terrain boisé. Par la suite, j’ai fait l’obtention d’un chien. J’étais heureux, enfin, je pensais que je l’étais. Ma consommation d’alcool avait nettement augmenté à une quantité phénoménale, que j’ai maintenue pendant quatorze ans. Je ne savais pas ce que j’avais. Toujours pendant ce temps, j’avais le pressentiment que quelque m’observait ou était présent avec moi. Mais je ne voulais pas vraiment y porter attention…

En 2007, j’ai connu ma femme, puis en 2008, nous emménagions ensemble. 2009 fut l’année marquante de l’arrivée d’une belle petite fille aux yeux bleus et 2013 fut l’année de l’arrivée d’un beau petit garçon aux yeux bleus lui aussi.

Puis à travers ces années, j’étais devenu un papa heureux et fier d’avoir de beaux enfants en santé. Mais cela impliquait aussi d’avoir une vie sociale que je n’avais pas avant car j’avais une vie isolée, ce que je n’avais pas remarqué.

2012, je n’en pouvais plus de souffrir avec mes douleurs physiques et chroniques. Je commençais finalement à utiliser le mauvais chum dans le salon qui était là tout le temps à m’attendre. Et il m’aidait pour faire des plans pour mettre fin à mes jours. Suite à cela, j’ai discuté avec l’infirmière en santé mentale de la base militaire et j’ai été référé à une psychologue en ville.

Mars 2013, libération médicale des Forces canadiennes pour mes blessures et mes douleurs aux genoux et au dos. Ce fut un soulagement, une pression de moins sur mes épaules. J’ai décidé d’arrêter tous mes médicaments avec l’accord de mon médecin parce que selon moi, l’armée était mon problème.

Automne 2017, quelle erreur de ma part ! J’avais encore pété les plombs un matin comme tant d’autres, jusqu’à faire un black-out. Je me sentais mal, j’avais mal au ventre, je n’avais plus le goût de vivre. J’avais fait du mal à mes enfants, ceux que j’aimais le plus au monde. Le mauvais chum du salon était encore là. J’ai appelé ma femme dans le stationnement du DIX30 à Brossard et je me suis mis à pleurer. Je craquais, je ne voulais plus vivre ainsi, j’avais besoin d’aide !

J’ai pris un rendez‑vous à ma clinique privée et en m’y rendant, je me voyais écrire des lettres d’adieux à mes enfants. Je me suis dit : bon, il est temps que j’arrive, car ce maudit chum de salon n’arrête pas ! Il m’aidait encore à faire des plans pour m’enlever la vie.

J’ai consulté des psychologues pour finalement découvrir que j’étais atteint du trouble de stress post-traumatique (TSPT), alors que j’avais toujours eu des doutes par rapport à cette blessure. Donc, j’ai dû avaler ma pilule et l’accepter ! Car oui ça pouvait exister, j’en étais atteint !

Avec ma thérapie maintenant, je me suis rendu compte que je m’étais développé une vie en accord avec ma blessure sans m’en rendre compte.

Depuis environ quatre mois, ce mauvais chum de salon, je l’ai mis dehors de ma maison avec les conseils de ma psychologue et depuis, ça va beaucoup mieux. Car tant et aussi longtemps que je garde ce mauvais chum près de moi, rien ne pourra m’aider.

Je lui ai dit : Va-t’en dehors, mauvais chum ! Je ne veux plus te revoir !

Carl Audet

Quand le syndrome de stress post-traumatique s’invite

 

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  1. J’ai dix ans. Mon papa militaire revient d’une mission en Bosnie. Il ne le sait pas encore, mais il a développé un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Moi, je sais seulement qu’il a changé. Il a été confronté à la mort de trop près, trop souvent et sans répit. Son cerveau s’est mis à réagir au stress de façon extrême et sans discernement. Maintenant, quand je fais une gaffe, ce n’est plus de la colère que je vois dans ses yeux. C’est comme si je menaçais sa vie. Je n’aime pas voir mon papa dans cet état, alors je me tiens tranquille pour ne pas éveiller le volcan…
  1. J’ai quinze ans. J’ai bien essayé d’éviter de le mettre en colère, mais ça l’a mis encore plus en colère. Mes parents ne croient pas que mon premier amoureux est un bon garçon pour moi, alors ils m’ont obligée à le laisser. Je l’ai fait, mais j’ai repris avec mon chum en cachette. Et là, mon papa vient de le découvrir. Il a pété les plombs. Il se demande même si mon chum va porter plainte pour voie de fait. Moi, je me suis embarrée dans la salle de bain. J’attends que mon père se calme pour sortir. Il me hurle mon hypocrisie à travers la porte. Là, ce que j’ai fait, c’est vraiment grave, je l’avoue, mais j’aurais fait une petite niaiserie de rien du tout et il serait à peu près au même niveau d’intensité. Il n’a plus d’entre‑deux, mon papa. C’est comme si c’était toujours une question de vie ou de mort. Il n’y a pas qu’à moi qu’il a fait peur cette journée‑là, il s’est aussi fait peur à lui‑même. Ça l’a décidé à aller chercher de l’aide. Avouer un syndrome de stress post-traumatique dans l’armée, c’est délicat. Pas seulement parce que la santé mentale c’est tabou. Mais aussi parce que ça remet en question ta capacité à faire ton travail…
  1. J’ai trente‑cinq ans. Dans la dernière année, j’ai rencontré deux militaires hauts gradés qui ont croisé le chemin de mon père pendant sa carrière militaire. Leur carrière militaire s’est poursuivie, la sienne s’est interrompue, à cause du SSPT. Mon père, si tu l’employais pour placer des boîtes de conserve sur les étalages de ton épicerie, il te placerait ça d’une manière tellement efficace et innovante que tu finirais par lui demander de gérer ton commerce. C’est ce genre de gars‑là. Ça fait partie de lui. Il engage en entier son cœur et son ingéniosité dans tout ce qu’il accomplit. Je dis souvent que je suis une perfectionniste qui essaie de dompter son perfectionnisme. Lui, c’est un perfectionniste tout court. Et il ne s’en fait pas de modèle plus courageux. Si ma vie était menacée, j’aurais une confiance absolue envers lui pour venir à ma rescousse. Alors, revenons à ton épicerie… Ce héros-là, inévitablement, finirait par la gérer et tu ne voudrais plus te passer de lui. Mais il atteindrait aussi un niveau de stress qu’il ne pourrait pas supporter. Il finirait inévitablement par claquer la porte. C’est pour ça qu’il n’arrive plus à travailler.

Il est devenu grand-papa il y a dix ans et il remplit ce rôle avec brio. S’il y avait des médailles à décerner aux grands‑pères exceptionnels, il raflerait l’or chaque année. La petite fêlure du SSPT et l’aide qu’il reçoit le rendent encore meilleur qu’avant. Tous les héros ont leurs failles de toute façon… Je comprends bien ce côté de sa personnalité désormais et je navigue avec plus d’aisance autour de lui. Par contre, je n’ai jamais perdu l’habitude de le traiter avec des pincettes et j’ai expliqué la condition de leur grand‑père à mes deux garçons dès leur plus jeune âge.

Il ne s’était jamais emporté devant ses petits‑fils. Jusqu’à hier. Hier, deux petits garçons de sept et dix ans ont compris ce qu’était le SSPT. En fait, pour être bien honnête, ce n’est pas lui qui s’est emporté. Lui a simplement agi sous l’impulsion du stress qui l’envahissait. La fameuse réponse fight or flight (on n’a jamais accès à l’option freeze avec mon père)… C’est moi qui ai fait des éclats dans cette histoire. Parce que cette fois‑ci, je ne pouvais pas accepter la blessure sans broncher.

Mes parents nous conduisaient à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Après deux semaines de visite, je repartais chez moi avec deux petits‑fils au cœur lourd. Mon père n’a pas l’habitude de conduire à Montréal. Nous étions donc partis très tôt pour disposer d’une marge de manœuvre en cas d’imprévu. Étant donné que tout avait roulé comme sur des roulettes, nous étions arrivés à Montréal avec cinq heures d’avance pour notre vol, ce qui nous laissait amplement le temps de profiter d’un dernier repas ensemble. C’est quand mon père s’est mis à chercher un restaurant que les choses se sont compliquées. En résumé, le stress a monté et il a décidé qu’il nous plantait aux portes de l’aéroport. Évanoui, le repas qu’on avait prévu tous ensemble. Disparu, l’au revoir tout en douceur. Pouf !

Cette fois‑ci, avec mes deux cocos et mes valises, déposée ridiculement en avance sur le trottoir d’un aéroport, j’ai osé faire un peu de vagues. J’ai osé dire à voix haute ma tristesse et ma colère de voir mes enfants ainsi bousculés. Mais le droit de parole, dans ma famille, n’est pas également distribué. Souligner notre difficulté à communiquer et la souffrance que ça peut causer… il n’y a pas de place pour ça. Bref, il semblerait que notre seul problème ait été ma jolie petite tempête d’émotions juste à moi. Bien sûr, j’aurais encore dû étouffer et refouler bien comme il faut… Enterrer ma frustration pour l’éternité.

Pourquoi raconter l’histoire de la femme de trente-cinq ans qui pleurait comme une petite fille en attendant son avion hier ?

Parce que pour mon père, c’était la Bosnie. Et vingt ans plus tard, pour mes amis militaires, c’est l’Afghanistan. Et malheureusement, cette réalité existait aussi dans les générations précédentes, dans d’autres conflits armés. À travers le temps, il y a toujours eu une partie de nos héros qui nous revenaient blessés, physiquement ou mentalement. Mais j’ose espérer mieux pour le futur. Et pour cela, il faut se libérer des non‑dits. Il faut offrir des outils au lieu d’un beau gros paquet de honte.

Ça me touche lorsque je vois un copain partager sur Facebook sa participation à un programme de soutien comme Sans limites https://www.sans-limites.ca ou un autre qui témoigne de ses épreuves dans le livre En terrain miné de Roxanne Bouchard http://www.edvlb.com/en-terrain-mine/roxanne-bouchard/livre/9782896493470. Je pense à leurs petites filles qui ne vivront pas le SSPT en cachette, sans trop comprendre ce qui arrive à leur famille. Un tel syndrome ne se règle pas tout seul. Plus vite on identifie ce qui grince, plus vite on peut recevoir de l’aide et éviter l’autodestruction, l’automédication et le suicide.

Nous devons notre compréhension et notre sollicitude à ceux qui courent au-devant du danger pour nous en protéger. Comme société, il faut leur accorder les honneurs auxquels ils ont droit. Ce sont de vrais vétérans, de vrais héros. Qui font le sacrifice de leur santé physique comme de leur santé mentale.

De la part d’une petite fille de trente‑cinq ans qui essaie encore et toujours de soutenir son papa comme elle le peut. Même si ce n’est pas toujours facile.

Eva Staire

Déménager en Italie : ce que mon profil Facebook ne vous dit pas

Le 29 juin 2017, je débarquais en Italie avec mon mari, nos deux ga

Le 29 juin 2017, je débarquais en Italie avec mon mari, nos deux garçons et notre chat. Mon mari a été choisi pour travailler sur la base internationale de l’OTAN à Naples. Nous vivrons donc les trois prochaines années sur un autre continent. Quelques jours après notre arrivée, une bonne amie m’écrit pour prendre des nouvelles et pour savoir si on est au paradis. Est-ce qu’on est au paradis ? Cette question tourne en boucle dans ma tête…

Il est normal que mes amis assument que je suis au paradis si je ne partage que les photos de notre magnifique hôtel, de notre première pizza napolitaine et d’un coucher de soleil sur la mer Méditerranée. Mais ça me met mal à l’aise. Évidemment que je souhaite profiter de chaque occasion et garder le focus sur le positif dans toute cette aventure, mais ça me chicotte d’avoir l’impression de manquer d’authenticité. J’ai donc décidé de corriger le tir et d’ajouter un peu plus de « vrai » sur les réseaux sociaux. Voici donc mon dernier statut, version « Dans la vie, tout n’est pas toujours rose », avec un pot-pourri des moments %#?!& de notre déménagement :

  1. Nous devrions emménager dans notre maison vers la fin juillet. Imaginez deux secondes… un mois sans : votre salle de lavage, votre cuisine, les jouets des enfants…
  1. On a TOUJOURS avec nous deux sacs qui contiennent ce que l’on possède de plus précieux et nos documents les plus importants. Toujours. À la piscine, à l’épicerie, en randonnée, dans l’avion… Et on doit toujours être vigilants pour ne pas se les faire voler.
  1. Dans l’avion, il faut aussi ajouter à ces deux sacs : une cage à chat, une valise à roulettes pour le chat (litière, bouffe, bols…) – lesdites roulettes ont bien sûr déclaré forfait et explosé à l’aéroport – et un sac à dos pour les trucs standards de voyage (collations, chandails chauds, crayons à colorier…)
  1. Une hôtesse de l’air bête qui trouve que tu n’es pas sortie assez vite de l’avion avec tes deux enfants, ton chat et tes quatre sacs. Notez qu’il est 2 h du matin pour tout ce beau monde, que les calmants pour le chat et les Gravol pour ton neuf ans ne font plus effet après huit heures de vol et que le chat, le neuf ans et toi, n’avez pas du tout apprécié les turbulences de l’atterrissage. T’es juste rendue à Munich.
  1. Ton hôtel, y’é ben beau, mais les fourmis envahissent la place pour se pitcher dans le bol de bouffe du chat, pis la douche ben, est tellement petite que tu ne peux même pas te pencher pour ramasser ton savon.
  1. Ton neuf ans a presque passé une nuit blanche dans l’avion et ses deux premières nuits à Naples à lire dans son lit à cause du décalage horaire. Quand tu le réveilles à 9 h du matin pour qu’il s’habitue au changement d’heure, il est 3 h du matin pour lui. Vous pensez que ça donne quoi comme humeur ?
  1. Et évidemment, tout le monde a attrapé le rhume. Pis les Italiens ben, je sais pas où ils cachent leurs boîtes de Kleenex. Je n’en ai pas encore trouvé une seule à l’épicerie ni à l’hôtel…
  1. Et moi qui réalise que ma belle capacité d’adaptation est motivée par une immense peur de ce que les autres peuvent penser. Moi qui me considérais bien libre par rapport au jugement des autres. Je réalise que je suis encore très sensible sur ce point. Plongée dans une autre culture où je ne connais pas les coutumes et les façons de faire, je me mets une incroyable pression à jouer au caméléon, à vouloir m’intégrer rapidement. Je supporte difficilement de ne pas connaître encore la langue, l’étiquette… Est-ce que le serveur s’attend à recevoir un pourboire ? Quel montant ? Pourquoi tout le monde enfile un gant à l’épicerie pour choisir ses fruits ? Comment fonctionne cette balance avec laquelle je semble devoir peser mes légumes ? Où est le foutu beurre ? Ça fait trois fois que je fais le tour du rayon des produits laitiers !
  1. Et il y a la peine d’avoir quitté nos proches, notre peine et celle des enfants. Et cette espèce d’attente entre deux mondes où on a commencé à s’intégrer aux lieux et aux gens, mais en sachant que c’est temporaire. Que dans trois semaines, il faudra explorer un nouvel endroit encore.
  1. Et la paperasse, la bureaucratie… Passer six heures sur la base militaire à se promener de bureau en bureau pour trouver tel formulaire, faire étamper tel formulaire, retourner chercher quelque chose qui manque… Et savoir qu’on y retourne demain encore avec les enfants pour chercher d’autres formulaires, s’inscrire à d’autres endroits, signer une autre feuille…

Bref, le paradis ? Honnêtement, non. Une aventure que j’adore avec des hauts et des bas ? Définitivement, oui !

Elizabeth Gobeil-Tremblay

 

Papa est revenu! Youpi!

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On pourrait croire que tout le monde a cette réaction quand leur père revient à la maison après six mois d’absence, que l’émotion que tout le monde ressent est la joie, mais non. Moi, j’ai éclaté en sanglots dès que j’ai vu mon père à l’aéroport. Et avant qu’il arrive, alors que mes frères et ma sœur discutaient avec leur nouvelle « amie » (et j’ai nommé : la petite puce de quatre ans rencontrée dans la foule des familles qui attendent que leurs proches passent la douane internationale) et qu’ils étaient heureux de retrouver papa bientôt, moi, j’étais sur le bord de m’évanouir tellement mes jambes étaient tremblantes et ma respiration rapide.

Aussi, j’étais en compétition intense avec ma mère. Pour moi, ce n’était même pas un jeu et j’avais l’impression que si je ne voyais pas mon père la première, j’allais perdre un gros quelque chose. Et bonne nouvelle, j’ai gagné! Mais au lieu de crier « Papa! », j’ai juste murmuré qu’il était arrivé. Et je dois vous dire que déjà, pleurer en public, c’est gênant (surtout si comme moi, on ressemble à un radis desséché lorsqu’on pleure), mais en plus, c’est juste la plus vieille des quatre enfants qui a pleuré. Et qui est restée derrière la barrière de sécurité sans bouger, alors que les autres ont sauté sur leur papa chéri. Mais même si c’est extrêmement gênant d’exposer nos émotions en public, c’est normal de réagir intensément après un gros choc!

 

Alexane Bellemare

Quand les larmes sonnent l’alarme

Dans deux semaines, mon militaire de mari reviendra de sa troisième

Dans deux semaines, mon militaire de mari reviendra de sa troisième mission à l’étranger. Six mois au Kosovo. Je ne suis pas une ennuyeuse de nature, alors je savais que l’éloignement ne serait pas trop souffrant pour moi. Mais l’épuisement parental, lui, devient rapidement douloureux quand on est seul pour gérer une marmaille intense qui, elle, réagit à l’absence.

Les premiers temps, la vie se gérait bien. L’adaptation à la vie monoparentale s’est déroulée bien mieux que je l’imaginais. Entre la rentrée scolaire, l’entrée en maternelle et au secondaire et les préparatifs d’Halloween, les journées se déroulaient dans la joie et la facilité. J’étais fière de moi, j’étais soulagée, et j’étais tellement fière de mes enfants! Ils semblaient plus stables, peut-être parce que l’autorité émanait d’une seule personne.

Puis, le party a commencé. Pas dans le sens de party où on se fait du fun et qu’on n’a pas le goût de quitter. Plutôt le genre « open house » : tu sais quand ça commence, mais tu ne sais plus comment y mettre fin. Tu sais que tu es la personne qui a lancé le OK pour faire le party, mais ça devient trop, trop vite. Tu perds le contrôle, tu perds les pédales, tu vois les dégâts qui s’accumulent et tu ne sais plus comment mettre un stop à tout ça. Et tu penses à appeler la police ou à t’auto-amener à l’urgence psychiatrique avant que ça ressemble à Hiroshima.

L’hiver a été pénible. Pas pour le pelletage, ça, j’aime ça et mon gentil voisin s’est occupé de la bordure de glace que je n’étais pas capable de pelleter. L’hiver a été pénible parce que les voitures ont brisé à tour de rôle (mille mercis, CAA! Je vous dois ma santé mentale!) Mais surtout parce que certains de nos enfants ont complètement dérapé malgré les filets de sécurité qu’on avait mis en place : psy, communication avec les profs, horaire dégagé de tout ce qui n’était pas nécessaire, Skype régulier avec papa.

Souvent, j’avais l’impression de me tenir sur le bout d’un seul orteil au bord du Grand Canyon. La respiration, les massages et quelques bons amis m’ont empêchée de tomber malgré toutes les fois où mes enfants me poussaient vers le précipice à grands coups de « T’es folle » et de « Je vais te tuer ». Chaque nouvelle obstination inutile (« Ça sert à rien de ranger mes vêtements, il va falloir que je recommence la semaine prochaine »; « Il est 9 : 02, pas 9 : 00 ») me mettait dans tous mes états. Ma carapace était usée, élimée. Je marchais sur le fil auquel ma famille s’accrochait en le brassant de tous les côtés. Chaque refus de collaborer m’amenait plus près du trou noir dans lequel le stress, la fatigue physique et mentale et l’absence de soutien m’entraînaient. Je ne compte pas les fois où j’ai eu le goût de mourir pour tout arrêter. Mais quand on est le seul soutien pour ses enfants, on ne peut pas mourir. On doit rester fort pour garder le fort.

La semaine dernière, j’ai éclaté. Ce n’était pas la première fois. Mais c’était la première fois devant les enfants. J’avais beau mettre toutes les chances de notre côté, tout faire pour intervenir de la bonne façon, prendre soin de moi pour prendre soin d’eux (ajuster mon masque à oxygène en premier pour ensuite ajuster celui des autres…), la situation familiale se dégradait. La mission était trop avancée pour exiger que mon mari soit rapatrié. Il restait un mois et je n’étais pas certaine de survivre.

À bout de ressources et de souffle, je me suis mise en time-out. Je me suis assise en position fœtale dans le coin du divan, une doudou douce autour des épaules, un coussin dans les bras. Et j’ai pleuré. Non. Sangloté. Je me suis vidée du trop-plein d’émotions sombres que je contenais. Je l’écris et le nez me pique tellement le souvenir est émotif.

Ma grande fille est venue me prendre dans ses bras, flatter mon dos, me répéter des « Je t’aime, maman ». Ma deuxième cocotte me parlait comme si de rien n’était. « Pourquoi tu ne réponds pas? Maman, je te parle! » Jusqu’à ce qu’elle voie que je pleurais. Si je ne répondais plus, c’est que j’en étais incapable. Toute mon énergie était réservée pour survivre à ces minutes de panique intérieure où tout en moi était à bout d’espoir. « Maman, pleure pas! Sois pas triste comme ça! », ce à quoi ma plus vieille a répondu : « Laisse-la pleurer. Elle a toutes les raisons de pleurer, et elle a le droit de pleurer. Ça fait tellement longtemps qu’elle se retient! »

Puis, mes deux garçons se sont approchés. « Pourquoi tu pleures, maman? »; « Tu as mal, maman? » Ma grande fille a trouvé les mots pour leur expliquer que maman était épuisée. Que maman n’était plus capable d’endurer les chicanes constantes, les « non » incessants et les menaces. Que maman avait besoin que chacun collabore à l’harmonie familiale. Que maman avait tout donné depuis des mois et que là, il était plus que temps qu’elle reçoive, elle aussi. Que maman avait besoin de ses enfants.

« On est là, maman. On a fait beaucoup d’erreurs. On aurait dû t’écouter depuis longtemps. Ça fait longtemps que tu nous demandes de faire notre part dans la maison et d’arrêter de se chicaner. On s’excuse. Ça va changer. Maintenant. On t’aime, maman! »

Ce soir-là, mes filles ont raconté l’histoire du dodo aux plus jeunes. Elles les ont bordés. « Maman, les garçons aimeraient que tu ailles leur donner un bisou. Mais ils comprennent que tu le feras juste quand tu auras repris des forces. Nous aussi, on va se coucher. On espère que tu dormiras vraiment bien même si tu as beaucoup de peine. Tu as raison d’être épuisée et de nous le montrer. On aurait dû comprendre plus tôt. Bonne nuit, maman. »

J’ai pris du temps pour moi, comme je le fais chaque soir. Mais ce soir-là, quelque chose en moi s’est reconstruit. Des briques qui s’effritaient de jour en jour depuis l’automne se sont recollées. Un peu. Quand je suis allée me coucher, j’ai trouvé sur mon oreiller un pendentif en forme de cœur que ma fille avait confectionné. Et une note : « Ma chère maman, j’avais pensé te donner ce collier pour la fête des Mères, mais je pense que c’est maintenant que tu en as besoin. Je t’aime. »

Depuis ce soir-là, je n’ai presque plus à répéter, à gérer de conflits, à empêcher la troisième guerre mondiale d’éclater sous mon toit. Je n’ai plus entendu de « Tu es la pire mère de la Terre » ni de « C’est de ta faute! » Je n’ai plus entendu mes enfants dire « Je veux mourir ». Ni moi.

Il arrive que les larmes qui dévalent lavent les traces de désespoir et de colère. Il arrive que les larmes sonnent l’alarme.

Nathalie Courcy

Jour du Souvenir : Au-delà de l’uniforme, il y a mon homme

Cet été, je célébrerai avec mon homme nos vingt ans de vie comm

Cet été, je célébrerai avec mon homme nos vingt ans de vie commune. Et dire qu’en 1997, je ne voulais rien savoir de sortir avec un militaire…

Je travaillais comme guide touristique à la Citadelle de Québec, une base militaire de la réserve. Je voyais plein de guides (et de touristes!) triper solide sur les uniformes et sur ce qu’il y avait dedans. Moi, bof. Qu’il soit rouge écarlate, en poils d’ours ou en version camouflage, un uniforme, pour moi, c’est juste un vêtement comme un autre, ou pire qu’un autre, c’est selon.

Je ne sais pas si c’est parce que mon père policier a porté l’uniforme jusqu’à ce qu’il meure à trente-trois ans d’un interminable congé de maladie, mais je n’ai aucune attirance pour l’uniforme et ce qu’il représente.  Je me suis toujours définie comme pacifiste. Plus jeune, j’écrivais des odes à la paix sur Terre. Entendre les cris de mort et le sang qui gicle dans les jeux vidéo me donne envie de vomir. J’ai failli échouer mon cours d’histoire au cégep parce que je refusais de visionner les reconstitutions des guerres mondiales. Alors, aimer un représentant de la guerre, je vais passer mon tour.

Mais bon. Parfois, la vie abat ses pattes sur nos plans, les ratatine en petites boules et les lance dans le feu. C’est ce qui est arrivé le soir où j’ai rencontré un militaire, à qui je n’ai pas pu résister. Au lieu de m’emprisonner dans ma perception de l’armée (une gang de G.I. Joe pro-guerre), j’ai accepté, avec réticence, d’ouvrir mes yeux et mon cœur.

J’ai découvert tout un groupe d’amis fidèles qui avaient vécu le collège militaire : les étés à apprendre l’anglais, les cours de recrues, les trajets de plusieurs heures pour retourner voir leur famille pendant les longues fins de semaine. J’ai découvert des hommes, quelques femmes aussi, qui tenaient à leur carrière, qui étaient fiers de leurs diplômes, qui s’entraînaient et qui discutaient de voyages, de philosophie, de triathlon et du dernier concert de Robert Charlebois.

Avec le temps, j’ai vu ces militaires revenir d’Haïti ou de Bosnie avec leur béret bleu et leur fierté d’avoir aidé la démocratie à se tailler une place. Puis, j’ai vu la plupart d’entre eux prendre leur retraite des forces armées canadiennes pour continuer dans le milieu civil. Ils ont délaissé leur uniforme, mais ils ont l’armée et leurs souvenirs de militaires tatoués sur le cœur. Et parfois, aussi, sur l’avant-bras, sous les traits d’un coquelicot (fleur associée au “Jour du Souvenir”).

Mon militaire chéri est dans l’armée depuis ses seize ans. Il ne compte plus les marches forcées de treize kilomètres qu’il a dû réussir, chargé de cinquante-cinq kilos d’équipement. On déménage plus souvent qu’à notre tour, parfois tous les deux ou trois ans. Il a arrêté depuis longtemps le décompte des mois passés ailleurs qu’à la maison et des événements familiaux ratés pour « raisons opérationnelles ». « Engagez-vous», qu’ils disaient!

Bien sûr, il y a des avantages à être militaire : le salaire est stable et une fois les années d’entraînement passées, la sécurité d’emploi est enviable. Ils ont la chance de voyager pour des entraînements, des missions ou des mutations au Canada et à l’étranger. Avantage ultime : ça ne coûte pas cher de vêtements. Mais ça fait des cordes à linge monotones. 

En ce 11 novembre, de quoi ai-je le goût de me souvenir ?

mfmcQue l’uniforme n’est qu’un camouflage derrière lequel existent un individu et son histoire. Mon mari n’a jamais tiré sur personne. Il a entendu des tonnes de roquettes siffler au‑dessus de sa tête, mais n’a jamais reçu de balle. Il ne s’est pas battu à Vimy comme plusieurs de nos grands-pères ou de nos arrière-grands-pères, mais il contribue à la paix, à sa façon. La vie d’un militaire ne ressemble pas à Call of Duty, mais chaque homme et chaque femme qui endosse l’uniforme a quelque chose d’un héros.

La journée où j’ai rencontré mon homme, il m’a parlé des enfants qu’il rêvait d’avoir, de la relation stable qu’il espérait et de sa passion pour son travail. Au-delà de l’uniforme, ce qui m’a séduite, c’est l’humain. Et des humains en uniforme ou en civil, ça en prend plein pour faire grandir la paix et rendre le monde plus sécuritaire, plus humain.

Merci aux militaires de contribuer au maintien de la paix, et merci à leur famille de les soutenir.

Bye bye, mon militaire!

C’est le jour 183 de notre décompte familial. Ce matin, nous som

C’est le jour 183 de notre décompte familial. Ce matin, nous sommes allés reconduire mon mari et ses bagages vert armée à l’aéroport, direction Kosovo. « Tu dois être inquiète? Comment vas‑tu faire? » Non, pas particulièrement inquiète. Et je vais faire comme d’habitude, en m’organisant à l’avance et en prenant les choses une à la fois. Pour moi, c’est une mission de guérison et de pardon.

bagages

Comme jeune couple, nous avons vécu la mission en Bosnie. J’étais étudiante, j’avais passé trois des six mois de déploiement au Burkina Faso. Mis à part les chutes de neige records qui avaient envahi l’entrée de la maison (mon mari se moque encore de ma technique de pelletage visant à seulement laisser l’espace pour une voiture et une personne), cette absence s’était bien passée.

Quant à la deuxième mission, c’est une tout autre histoire. C’était il y a neuf ans. J’avais accouché de ma deuxième fille l’année précédente. Un beau BABI (bébé à besoins trèèèèèèèèèès intenses) qui pleurait vingt-quatre heures par jour, ne tolérait aucun mouvement, aucun bruit (incluant le son de ma voix) et ne dormait qu’en peau à peau.

Cette mission s’ajoutait à dix-huit mois d’entraînement loin de chez nous, un déménagement du Québec vers l’Alberta, un nouvel emploi, et une fille aînée encore plus exigeante que mon BABI. Si on mélange tout ça avec une dépression diagnostiquée à la fin de la mission, mais qui traînait depuis deux ans, au stress de savoir mon mari dans un endroit dangereux et à l’éloignement de tous ceux qui voulaient m’aider, qu’est-ce qu’on obtient? Un désastre traumatisant. Une maman cernée jusqu’à la plante des pieds, débordante de pensées sombres et de culpabilité.

En Afghanistan, c’était le bordel depuis le 11 septembre 2001. On entendait sans arrêt parler des militaires canadiens qui se faisaient tuer (158 militaires et quatre civils, sans compter les morts à retardement associées au syndrome de stress post-traumatique. Paix à leur âme et à leur famille). Pour protéger nos enfants, il fallait éteindre la radio dans la voiture, fermer la télé à l’heure des nouvelles, et espérer que les petits amis de la garderie n’aient pas l’idée saugrenue de discuter diplomatie internationale. J’appartenais à un forum de discussions de conjointes de militaires. J’avais assisté à des soirées préparatoires au centre de ressources familiales de la base militaire. Je discutais au téléphone avec ma mère et ma belle-mère régulièrement. Pour le reste, mon mari avait droit à trente-cinq minutes d’appels téléphoniques par semaine, divisées entre les membres de sa famille et entrecoupées par des tirs de roquettes. Plein de raisons pour s’enfoncer et s’isoler malgré toutes les traces de bonne volonté.

Pendant des années, je suis restée convaincue jusque dans mes tripes que je ne survivrais pas à une autre séparation prolongée. Je n’en pouvais plus de l’éloignement, du manque de communication, des crises des enfants qui s’ennuyaient épouvantablement de leur papa-chéri-d’amour-tellement-plus-cool-que-leur-maman-cruelle-parce-qu’elle-les-oblige-à-manger-des-légumes-et-à-dormir-la-nuit. Je passais plus de temps à jouer à la maman psy/médecin/réparatrice de tout ce qui en profite pour briser, qu’à être moi. Je ne dormais plus. Je ne souriais plus. Je travaillais comme un robot. Je maternais comme un robot. Mais un robot au bout du rouleau. Je m’en suis sortie vivante de peine et de misère, avec une prescription d’antidépresseurs, l’anxiété dans le piton et un abonnement aux psychothérapies.

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Alors à l’annonce (surprise!) d’une autre mission, j’ai encaissé un gros « bang! » au cœur, une plongée dans les souvenirs. Puis je me suis ressaisie. Le Kosovo est plus stable que l’Afghanistan. Le nombre d’enfants dans la famille a doublé, mais ils sont plus vieux et ne sont pas accrocs aux crises. Je suis de retour au Québec, à quelques heures de route de ma maman et de mes beaux‑parents. Je suis entourée d’amis. Skype existe. Les médias ne diffusent pas systématiquement les départs des Canadiens en mission et leur retour en cercueil. Et moi, je suis guérie et je me suis pardonné. Mon moral est solide, mon anxiété est maîtrisée, je ne suis plus toujours à bout de souffle et d’espoir.

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Les six prochains mois ne seront pas de tout repos, mais j’ai décidé de prendre chaque jour pour ce qu’il est : une journée qui passe. Je croise mes doigts pour que la gastro nous oublie encore cette année. J’ai ma liste de contacts d’urgence « au cas où ». Je suis en train d’installer un espace ultra méga zen dans ma chambre. Mon mari, leur papa, nous manquera. Fêter Noël, la nouvelle année, la St-Valentin, Pâques et l’anniversaire des quatre enfants sans lui ne sera pas toujours jojo. Mais le pire, c’est l’Halloween. Parce que moi, je ne creuse pas des tranchées sur notre terrain pour créer un cimetière. Pour ça, ça prend un papa militaire hyper cool. Et le nôtre, il est rendu au Kosovo.

Bye bye, mon militaire! On se revoit bientôt… sur Skype!