En voyant ma réaction, mon garçon de neuf ans s’empresse d’ajo
En voyant ma réaction, mon garçon de neuf ans s’empresse d’ajouter : « Maman, ne dis rien, ne le dis pas. C’est sûr que je viens de trouver la réponse à la question que tous les enfants du monde se posent. » Ses beaux grands yeux verts brillent d’une lueur d’amusement. Je peux y lire la fierté d’avoir traversé dans le monde des grands, ceux qui ne croient plus à ces histoires cousues de fils blancs, ceux qui alimentent la magie au lieu de seulement la vivre. J’avais peur qu’il se fâche, qu’il me reproche de lui avoir menti. Mais il ne semble pas m’en vouloir. Heureusement parce que j’ai l’impression de marcher sur la corde raide avec l’honnêteté depuis notre déménagement en Italie.
Je suis habituellement un vrai livre ouvert. Avec tout le monde : ma famille, mes amis, des inconnus que je rencontre pour la première fois… J’ai besoin de me raconter et je veux entendre votre histoire. La vraie, là! Pas la version « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. » Celle-là, je la trouve plate sans bon sens! J’ai passé les quinze premières années de ma vie à essayer d’étouffer ce qui bouillonnait en moi pour plaire à tout le monde et ça ne m’a rien apporté de bon. Maintenant, c’est all in que je joue ma partie.
Évidemment, ça influence mon style parental. Mon premier réflexe est toujours de dire la vérité à mes enfants. Si je décide de leur cacher quelque chose, c’est parce que j’y ai réfléchi sérieusement. Je peux me tromper parfois (souvent!) Je fonctionne par essais et erreurs comme la majorité des parents (en tout cas, je me méfie de ceux qui prétendent qu’il existe une méthode infaillible).
Donc chez nous, on n’est pas parfaits, mais on est vrais. Et si on parle de la mort, eh bien, on n’invente pas de belle fable spécialement pour les enfants. On leur partage nos propres croyances et on ramène vite le sujet à celui de la vie. Oui, la mort c’est plate. Oui, on va tous mourir un jour. Mais il ne faut surtout pas la cacher parce que c’est exactement cette fragilité, cette non-éternité, qui rend la vie si précieuse.
Et si on parle de sexualité, on essaie d’être aussi transparents que possible. On adapte les détails à l’âge des enfants, bien sûr. Mais il n’y aura jamais d’histoires à déconstruire. Quelle meilleure protection contre les abus sexuels que de connaître les bons mots pour identifier toutes les parties du corps et leurs fonctions? Il me semble que c’est essentiel que mes fils sachent que je suis à l’aise de parler de ce sujet et qu’ils pourront toujours venir me voir quand ils auront des questions.
Et lorsqu’on mange, on discute de la provenance de notre nourriture. Quand je vois passer sur Internet la vidéo d’un enfant de quatre ans bouleversé d’apprendre qu’il mange des animaux, je me demande toujours pourquoi on ne le lui avait jamais dit avant. Quand je joue avec un bambin de deux ans et sa petite ferme, qu’on fait des meuh! meuh! et des bêêê! bêêê! je lui explique avec délicatesse pourquoi le fermier s’occupe de toutes ces bêtes. Ça ne fait pas des enfants traumatisés, ça fait des enfants conscients.
Bref, vous avez compris que (avec mes beaux gants blancs quand même) je suis de nature assez directe. Et si je ne mentionne pas quelque chose, c’est rarement pour protéger mon jardin secret, c’est plutôt pour protéger mes enfants.
Malheureusement, depuis notre départ pour l’Italie, j’omets volontairement, je mens, beaucoup plus que je le voudrais. Je veux épargner à mes enfants des inquiétudes face à des situations hors de leur contrôle. Par exemple, même s’ils savaient déjà que la conduite était périlleuse à Naples, je leur ai caché que nous avions eu un accident de voiture lorsque nous sommes venus choisir notre maison. Et même s’ils avaient entendu parler du Vésuve et de son éruption qui a détruit Pompéi, je ne leur ai pas dit que nous allions habiter dans une zone volcanique bien moins connue, mais bien plus dangereuse (ils l’ont découvert eux-mêmes assez rapidement de toute façon). J’évite aussi le sujet du paratonnerre depuis qu’on m’a informée que ma maison perchée au sommet d’une montagne n’en possédait sûrement pas.
Pour le moment, je refuse de leur partager mon sentiment d’impuissance devant chaque tempête qui se lève; ma peur, quand la foudre tombe près de nous dans sa fracassante explosion blanche; mes soucis, face aux routes qui s’inondent et aux sols instables… Ils en ont déjà bien assez à gérer avec la criminalité et la saleté qui les entoure. Ces deux petits bonshommes n’ont peut-être pas de paratonnerre, mais ils ont une maman qui se transforme parfois en bouclier pour déposer un voile de magie sur la réalité.
Elizabeth Gobeil Tremblay