Quelle période intense de débats et de réflexion sur l’éducati
Quelle période intense de débats et de réflexion sur l’éducation ces temps-ci! Tout y passe : le ministère et son ministre, les commissions scolaires, les enseignants, les matières enseignées, l’école à domicile, tout!
J’aime le débat, civilisé, on s’entend. J’aime qu’on contribue démocratiquement à faire évoluer la société, à mettre à jour les institutions tout autant que nos visions.
Ce que je n’aime pas, par contre, c’est la victimisation et l’accusation. C’est la faute du ministre, la faute du bâillon, la faute des écrans et du cannabis, et quoi encore? N’oublions pas les parents, surtout, ces êtres ignobles qui ont formé des enfants-rois et des peureux chroniques! Et pourquoi pas Charlemagne! C’est quand même lui qui a inventé l’école…
Ce matin, j’ai lu une opinion qui m’a horrifiée. Chacun a droit à son opinion, bien sûr, alors je me permets d’exprimer la mienne, en tout respect. À la suite du suicide d’un étudiant d’université, un internaute a exprimé tout de go : « C’est de la faute des profs! ». Oui, apparemment, les profs en demandent trop aux étudiants. Ils exigent trop de travaux, trop d’excellence, trop de ponctualité, trop de réflexion et de recherche, trop de tout. La cause première de l’anxiété généralisée qui attaque nos jeunes (et leurs parents, soit dit en passant) n’a qu’un nom : ENSEIGNANTS. Voilà, tout est dit.
Hey, les profs! Vous avez le dos large, hein! Portez sur vos épaules la mort d’un de vos protégés. Sérieux?
J’ai déjà enseigné à l’université et au cégep. J’étais exigeante. J’étais pointilleuse autant sur la date de remise que sur la qualité du français. Les références à Wikipédia n’avaient pas leur place. Les résultats étaient proportionnels à la profondeur de la réflexion. Et pourtant, mes étudiants (la plupart, du moins… je ne prétends pas avoir été appréciée de tous) étaient heureux en classe, ils apprenaient, ils progressaient et savaient que je pouvais me montrer compréhensive. Ils savaient que j’étais toujours là pour eux, sauf peut-être entre 2 h et 4 h du matin. Ils savaient qu’ils pouvaient me confier que leur grand-mère était malade ou qu’ils avaient de la misère à payer leur loyer. Ils savaient qu’ils avaient droit à l’erreur et aussi le droit de me demander de l’aide. Ils savaient qu’en classe, ils étaient en sécurité intellectuelle et émotive. Et je suis convaincue que je n’étais pas la seule à les traiter ainsi, comme des humains en cheminement.
Donc… la détresse qu’on met sur le dos des profs? Ce que je connais des profs, peu importe le niveau et la matière qu’ils enseignent, c’est qu’ils se donnent corps et âme pour leurs étudiants. Un prof n’a pas de congé. Un prof n’a pas de fin de semaine. Un prof n’a pas le droit de laisser son sac d’école à l’école. Un prof est en mission constante, celle d’accompagner ses élèves sur le chemin de l’apprentissage, souvent malgré des ressources limitées.
Est-ce que le système exige trop des étudiants? Peut-être. Tout comme la vie en général. C’est vrai que remettre des travaux, préparer des examens, étudier et se présenter en cours en plus de travailler suffisamment pour payer un logement ou une pension, ça peut être étourdissant. Rares sont les adultes qui ont l’obligation d’étudier à temps plein ou de vivre dans un appartement ou un condo au centre-ville. Je vois souvent des étudiants voyager une ou deux fois par année, manger des sushis et boire de l’alcool plusieurs soirs par semaine, aller au gym, au spa, au cinéma.
La vie qu’on choisit a un coût. Si on choisit de dépenser, on choisit de travailler assez pour subvenir à nos besoins. Si on choisit d’étudier, on choisit aussi de travailler pour réussir. Libre à chacun d’équilibrer les sphères de sa vie. Il en sera de même sur le marché du travail : une maison à un million, ça se paye, tout comme un mois en Asie ou le dernier modèle de cellulaire.
Je ne dis pas que tous les étudiants anxieux ou déprimés ont un budget déficitaire et des goûts exorbitants. Je dis que chacun trouve son équilibre, et qu’il est mieux de le trouver plus tôt que plus tard. Je dis aussi qu’accuser les profs, ou n’importe quel facteur individuel, est réducteur. Expliquer le suicide d’une personne sans connaître cette personne, sans connaître l’ensemble du contexte et de sa vie personnelle, professionnelle, sociale, familiale, c’est mentir. C’est attribuer des intentions malveillantes à des humains bienveillants qui pataugent aussi dans une société exigeante. C’est oublier que dans d’autres coins de notre planète, la pression exercée sur les jeunes par le système scolaire et les familles est mille fois plus lourde. C’est accuser sans preuve et sans jugement.
Les profs, continuez de bien faire votre travail. Les étudiants, continuez d’apprendre et prenez du recul au besoin. La clé, c’est l’équilibre.
Nathalie Courcy