L’armoire en coin
Vous savez, celle qui sert de fourre-tout…
Dans sa partie au-dessus du comptoir. Trois étages de pur fouillis. Ici, le royaume du pêle-mêle. Les plats de plastique, les couvercles – avec le temps, pas nécessairement des couples bien assortis – et, pour la tablette du haut, les trucs rarement utilisés. Utilisés? Il faut dire que l’organisatrice responsable avait les limites de son 1,58 m.
Au moins, elle savait me rendre utile en cuisine.
Je vide le lave-vaisselle. J’ouvre la porte… Ça me tombe dessus en cascade. Des couvercles, surtout. Tôt le matin, un véritable défi pour le Dalaï en moi. J’ai le goût de pester. Pire, de la réveiller. Après tout, c’est bien de partager avec la maisonnée ses états d’âme. Non?
Je sais que c’est elle. Je l’ai vue, hier, se préparer des lunchs. Des pâtes, avec une sauce qu’elle n’aurait jamais aimée si j’avais osé. Résolue. Avec toute l’assurance de sa génération de branchés. Y compris pour utiliser un rond mal adapté au chaudron. Les ados, un conseil… il doit, idéalement, avoir le même diamètre que le chaudron utilisé. Je me doute qu’ils ne doivent pas en parler sur YouTube.
L’évier est rempli de bonnes intentions.
Ses premiers lunchs de travail. Pour son premier vrai travail. Un horaire à respecter, un uniforme à laver. Souvent. Je la trouve si belle en uniforme, elle me rappelle les agents de bord d’Air France. Ses premières payes rapidement flambées. Surtout pour des souliers. Lorsqu’elle a réalisé que la mode ne résiste pas à la douleur de travailler de longues heures debout.
Elle me raconte son quotidien. Comment les clients la félicitent pour son sourire. Un sourire qu’on voit de plus en plus, nous aussi. Qu’elle est appréciée de ses collègues. T’sais, même celles de ton âge, papa. Ouch! Bien sûr, quelques gaffes. Manipuler rapidement des trucs toute la journée, des fois… Dans ce nouveau monde, elle se sent valorisée.
Je reviens à l’armoire.
Ma fille fait des démarches d’autonomie. Pour se prendre en charge, de son mieux. Ça me fait réfléchir à mon rôle de parent. Le temps passe si vite. Je m’entends encore lui chanter « Mon Joe », pour l’endormir. Une dépendance totale. La mienne. Je dois alors accueillir tout aussi tendrement ses essais… et ses erreurs.
Je souris.
Elle me donne l’occasion rêvée de faire un grand ménage. Il est plus que temps. Surtout que, pour ma part, je n’ai rien à craindre. Personne ne me dira quoi faire. Ni ne tentera de m’expliquer la logique de base/armoire 101. Ça me manque, cette complicité imposée. J’apprécie alors davantage la chance de voir ma fille évoluer, sous mes yeux.
Je reste tellement fier de toi, ma fille…
michel