« Congé de lecture »

Mes deux plus grandes filles vont maintenant à l’école primaire. Nous avons vu passer près d’une dizaine d’enseignantes dans leurs vies scolaires depuis le tout début. Nous avons rencontré des femmes passionnées qui leur ont donné envie de lire, d’écrire et d’apprendre… Et personnellement, c’est ce que je trouvais le plus important. Moi aussi, j’enseigne. Moi aussi, j’essaie d’user de pédagogie pour transmettre des savoirs. Mais ce n’est pas l’enseignante ici qui vous écrit. C’est la maman.

Parce qu’en tant que maman, je vais peut-être vous choquer, mais je m’en fou un peu de ce que mes filles apprennent à l’école. Ce qui m’importe, c’est bien plus « comment » ça leur est transmis. Je pense qu’elles ont encore beaucoup de temps devant elles pour apprendre des notions de mathématiques ou des accords de français. Mais il y a une chose qui doit leur être transmise tous les jours : L’envie d’apprendre. Cette soif d’apprendre, de découvrir, d’être curieuses et de remettre les choses en question, ça, c’est le plus important. Les amener à réfléchir, à penser par elles-mêmes, à philosopher… À avoir envie d’en apprendre encore plus tous les jours. Pour moi, c’est ça le plus important à l’école. Parce que quand on apprend dans le plaisir, tout est mémorisé beaucoup plus rapidement et efficacement.

J’ai une grande fille de 9 ans qui lit à une vitesse impressionnante et qui a un vocabulaire vraiment riche. Mais par-dessus tout, elle aime lire. Que dis-je? Elle adore lire. Elle lit tous les jours en arrivant de l’école, pas parce que je lui demande, mais juste parce que ça l’aide à se détendre. Ça calme son anxiété. Ça l’aide à gérer ses émotions. La lecture lui permet de s’évader le temps d’un roman. Et des romans, elle en lit des tonnes ! Cet amour de la lecture évidemment est encouragé chez nous et transmis également aux plus jeunes. Parce qu’en tant que maman, je pense que la lecture ouvre tout un monde d’apprentissages et de réflexions.

Mais cette année, les méthodes utilisées par l’enseignante de ma fille viennent heurter mes valeurs… Elle a une enseignante qui a beaucoup d’expérience. Elle utilise ses bonnes vieilles méthodes depuis des décennies. Mais ce n’est pas parce qu’on a l’habitude de faire quelque chose que c’est forcément la bonne chose à faire… Pour la première fois depuis cinq ans, ma fille doit s’asseoir pour faire plus de trente minutes de devoirs tous les soirs. Il y a 20 minutes de lecture obligatoire tous les soirs. Sauf le vendredi, où c’est écrit dans son agenda : « Congé de lecture. »

Ma fille adorait faire des exercices en devoirs. Parce qu’il n’y avait aucune obligation. L’été, elle me suppliait d’aller lui acheter des cahiers d’exercices et de lui imprimer des mots croisés sur Internet. Elle lisait aussi tous les soirs parce qu’elle adorait ça. Ça ne fait qu’un mois que ma fille est avec sa nouvelle enseignante et ça fait déjà des ravages sur son envie d’apprendre… Elle a bien retenue ce que son enseignante lui enseigne : La lecture est un devoir, une corvée. Maintenant, elle fait ses devoirs en pleurant et en rageant de fatigue. Elle refuse de lire du vendredi au lundi, parce que tsé, c’est pas obligatoire. La lecture qui était pour elle une grande passion est devenue une corvée.

« Congé de lecture. » Ces petits mots ont marqué son esprit. Parce qu’un congé, c’est forcément une pause de quelque chose de désagréable. Congé de travail. Congé de devoirs. Congé de tâches ménagères… Pourquoi ne pas écrire « Lecture pour le plaisir » ? Ces petits mots ont tellement de pouvoir…

La semaine dernière, ma fille a fait une dictée sans faute. Qu’elle était fière d’elle ! Parce qu’elle adore écrire. Parce qu’elle sait qu’elle est bonne là-dedans et que ça lui fait du bien. Et bien vous savez ce que son enseignante lui a donné comme récompense ? Oui, vous l’aurez deviné… « Congé de dictée. » La dictée que ma fille aimait tant. La dictée, qui pour elle, n’avait jamais représenté un examen où il faut se stresser. Ce n’était pour elle qu’un autre exercice pour le plaisir. Ma fille m’a demandé pourquoi elle était punie d’avoir eu 100% à sa dictée… Pourquoi elle n’avait pas le droit de faire la dictée la semaine prochaine… Et elle avait vraiment de la peine. Encore une fois, ce simple « congé de dictée » lui apprend que la dictée doit être vue comme une tâche, un devoir, un fardeau.

Mon cœur de maman trouve le début de l’année bien difficile… Parce que ma fille ne se plaindra pas à l’école. Elle va encaisser sans rien dire et continuer de sourire à son enseignante parce qu’elle veut lui plaire. Mais moi tout ce que je vois, c’est la petite graine que cette enseignante a planté dans son esprit fertile… Cette petite graine qui germera trop vite… Et dans quelques années, quand ma fille aura une boule d’anxiété dans le ventre devant chaque examen, quand elle lira à reculons les livres obligatoires en français et que je devrai tenter de la soudoyer pour qu’elle accepte de faire ses devoirs, et bien je saurai où tout ça a commencé. Parce que quand on plante des petites graines dans les esprits de demain, il faut savoir qu’on a énormément de pouvoir sur leurs avenirs. Et les petits mots sont si puissants…

Je veux être optimiste. Je continue de dire à ma fille qu’elle passera une belle année avec son enseignante. Je lui parle des projets qui s’en viennent dans sa classe. Je mets l’accent sur le positif. Parce que j’essaie à mon tour de planter quelques graines… Je sais qu’être enseignante est exigeant et que ces femmes ne comptent plus leurs heures depuis des années. Je sais qu’elles sont sous-payées et qu’elles méritent tellement plus de reconnaissance. Je sais que c’est une profession vraiment difficile et que plus les années avancent, plus le système scolaire est fragile. Mais ma fille ne vivra cette année qu’une seule fois dans sa vie… Et les idées qu’on lui transmet resteront à jamais… Je fais le choix de faire confiance à son enseignante. Ce n’est peut-être qu’un début d’année difficile… Ses méthodes vont peut-être changer… J’espère seulement qu’elle réalise tout le pouvoir qu’elle a entre les mains, chaque jour. Et avec des grands pouvoirs, viennent de grandes responsabilités…

Eva Staire



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