La fatigue du soir

La fatigue du soir, vous connaissez? Oui, vous la connaissez. Celle qui vous rampe dessus le soir (parce que trop crevée pour sauter sur vous), celle qui vous vide de vos émotions, de vos réflexions. Celle qui vous fait mal d’être réveillée. Celle qui vous traîne dans la maison comme un zombie qui répète en boucle dans sa tête la liste des choses qu’il reste à faire avant de vous effondrer sur votre lit. Celle qui démarre votre coach privé interne qui vous soutient, comme si vous alliez atteindre le fil d’arrivée: «Lâche pas ma belle, tu es à deux tâches d’y arriver!» Et de l’autre côté, votre petite voix d’athlète crevée qui se bat et s’obstine avec le coach: «Non! Ce soir, je n’y arrive pas. Je m’écroule avant.» Et il y a celle qui cherche un compromis: «D’la marde! Je fais ça demain matin!» Mais qui sait très bien que c’est impossible dans votre horaire. Si elle l’a dit, c’est simplement pour vous encourager. D’ailleurs, ça a fonctionné, puisque les deux secondes où vous y avez cru vous ont fait du bien.

Cette fatigue qui vous tombe dessus d’un coup, sans prévenir et qui vous pousse à vous demander : «Mais comment, bon Dieu, ai-je réussi à me rendre jusque-là?» Vous avez assuré pour les devoirs, le souper, le bébé, la vaisselle, le bébé, les bains, le bébé, les chicanes, les dodos, les verres d’eau, les pipis, les «mamans!», sans même vous en rendre compte. Mais soudainement, en fermant la porte de leur chambre, votre corps vous a dit: «Woow la grande! Je veux ben mais là, pose ton tit derrière parce je te back pu

Vous êtes passée devant un miroir et pendant quelques secondes, vous vous êtes demandé: «Ouf! Est-ce que j’avais l’air de ça aujourd’hui?» Mais finalement, vous n’en n’avez rien à cirer, vous êtes vidée. D’ailleurs, cette expression prend tout son sens maintenant; vous avez mal au dos, aux pieds, vous avez les yeux secs, la bouche molle, les paupières lourdes.

En montant vous coucher, à la deuxième marche, vous vous rappelez le biberon que vous avez oublié de préparer pour la nuit, alors vous redescendez. Bon, c’est fait. Vous remontez de peine et de misère vers votre chambre. En déposant une fesse sur votre matelas, vous entendez votre enfant tousser et renifler dans sa chambre. «Ouch!» Ça vous revient; vous vouliez lui installer l’humidificateur pour la nuit. Vous vous consolez en vous disant qu’au moins, vous ferez cette tâche en pyjama. Votre coach est de retour: «Lâche pas ma grande, t’es à deux enjambées près!» Vous y allez. Chaque pas vous fait mal aux jambes. Voilà qui est fait.

Plus vous approchez de votre chambre, plus vous sentez la paix vous envahir. Vous vous laissez tomber sur le lit. Vous fermez les yeux. «Aah!» Ça y est, vous y êtes enfin. Tout à coup, vous entendez des miaulements en bas: «Ah! shit!» Le chat n’a plus de bouffe. Vous refermez les yeux, en tentant de vous convaincre que ça peut attendre à demain. Il miaule une autre fois, puis une autre. «Câ#!!#!!» Vous êtes tentée de crier à votre conjoint, en bas, pour lui demander de s’en charger (parce qu’évidemment, sans vous, le chat serait mort de faim depuis longtemps), mais vous savez très bien que crier réveillera les enfants qui de toute façon, se feront réveiller par le chat si vous n’y allez pas (il ne manquerait plus que ça). Alors vous faites ce que vous avez à faire.

Évidemment, le bol du chat est au sous-sol, alors vous descendez ce qui vous semble être des milliards de marches pour vous y rendre. Au passage, vous croisez les trois paniers de vêtements à plier et les six piles à ranger, vous apercevez du coin de l’œil ce qui pourrait être le salon, mais vous n’en êtes pas certaine vu son état. En passant devant la salle de jeux, vous constatez qu’avant d’aller dormir, votre enfant avait échappé des tonnes de billes à colliers sur le plancher et qu’elles y sont toujours. Vous fermez les yeux et vous soupirez.

En remontant vous coucher la quatrième fois, vous faites un détour vers la chambre des enfants. Non pas parce que c’est sur votre liste, mais parce que vous en avez envie. En entrant dans la chambre, vous vous sentez tout à coup juste… bien. Vous réalisez que finalement, de ces tâches et de ces piles, il ne vous restera rien du tout. Mais ce petit bruit que fera votre garçon lorsque vous déposerez un baiser sur son front, cette caresse que vous ferez sur la joue si douce de votre bébé endormi, ce doux parfum que vous respirerez en embrassant les cheveux de votre fille, vous ne les oublierez jamais. La fatigue disparaîtra, mais ces petits moments de bonheur, vous les porterez toujours.

Karine Delorme

 



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