Lettre à une bonne fée marraine
Ma maman me disait que quand on se regardait, nos yeux pétillaient. Mon petit visage changeait d’expression quand tu arrivais près de moi ; nous étions connectées. Tu n’avais ni conjoint ni enfants ; le jour de ma naissance, je suis devenue ta raison de vivre, ta raison de te battre pour ce qui s’en venait, mais ça, on ne le savait pas encore. Étonnamment, je suis née deux jours avant ta fête, à croire que la vie t’offrait mon arrivée en cadeau. Tu étais la sœur de mon père, mais beaucoup plus qu’une tante. Tu étais ma marraine, mais surtout mon âme sœur ; tu le resteras à jamais d’ailleurs. Notre relation ne se s’explique pas ; elle se vivait. Tu m’offrais sans cesse la lune, sans même que j’aie à la demander.
Comme n’importe quelle famille, nous avons nos problèmes, nos discordes, nos histoires, nos héritages, nos ombres. Ce texte, je l’écris pour toi, pas pour elle. Ce texte, il te revient.
Du plus loin que je puisse me souvenir, tu as toujours été malade. Je ne ferai pas la liste des maladies qui t’ont rendu visite, ça prendrait trop de place. Du plus loin que je me souviens, j’ai compris qu’on devait te protéger, s’occuper de toi et t’aimer fort. Assez tôt, tu as dû commencer à m’expliquer que tu ne serais pas à mes côtés pour longtemps. Tu étais un ange sur ma route. Ça, je l’ai compris bien des années plus tard.
Quand je voyais trop grand, tu me ramenais gentiment à la réalité : les projets trop loin, on ne pouvait pas les planifier, au cas où. Ça me faisait de la peine, évidemment, mais c’était plus fort que moi, plus fort que ce que j’étais capable d’accepter. Je me disais que ça ne se pouvait pas, tu ne pouvais pas partir, me laisser toute seule. Bien sûr, j’avais et j’ai toujours mes parents à mes côtés qui font leur travail de façon exemplaire, mais moi, c’est comme si la vie m’avait dotée d’un troisième parent qui avait pour rôle de me protéger ou plutôt, de me surprotéger. Alors si tu partais, qui allait me protéger de la sorcière ?
Quelques mois avant nos anniversaires, tu m’as demandé comme chaque année ce que je souhaitais avoir comme cadeau. J’allais avoir seize ans. J’ai demandé un voyage dans les Bahamas, à l’hôtel Atlantis, t’sais comme dans les films ? Tu m’as regardée sans aucun étonnement, tu as ouvert l’ordinateur et tu t’es dirigée vers les sites web de voyages. De fil en aiguille, nous avions convenu que Cancún serait probablement notre prochaine destination ; tu souhaitais y retourner depuis un bout et surtout, tu souhaitais me faire découvrir ce pays. À cause de la maladie, tu m’avais aussi dit que, pour ce voyage-là, ce serait un « dernière minute ». Tu allais m’appeler quelques jours avant puis Bye, Bye papa et maman, Vicky et Guylaine s’en vont à Cancún…
Le téléphone a fini par sonner, mais tu avais changé la destination. Tu étais à l’hôpital. Ton cœur ne suivait plus la cadence. Moi, je n’étais pas au courant de ce changement de plan et je sais que ce n’était pas non plus ton idée. Cette année-là, nous avons passé nos anniversaires dans une chambre blanche, triste et froide. Je ne comprenais pas et j’étais fâchée. Je n’étais pas fâchée de ne pas aller en voyage, j’étais fâchée après la vie. Je ne comprenais pas pourquoi c’était TOI que la vie avait prise d’assaut et pas un méchant, t’sais, ceux qu’on voit à la télé… À seize ans, j’étais mature, mais si jeune, si naïve. Les semaines ont passé, les bobos se sont accumulés à la porte de ta chambre, ils n’en sont jamais ressortis. Ils se sont invités comme des voleurs.
Finalement, malgré des in and out à l’hôpital, nous avons réussi à mettre un petit baume sur nos cœurs, nous avons pu avoir un dernier Noël ensemble, dans ta maison. Tu étais tellement heureuse d’y être ! Nous avons pleuré ensemble lorsque tu as enfin pu y remettre les pieds, trop de mois plus tard. J’ai veillé sur toi pendant tous ces mois de calvaire. Après l’école, j’allais chez toi ou à l’hôpital, selon ce que ton cœur et tes reins décidaient.
Je ne sais plus à quel moment exactement nous avons échangé nos rôles. J’étais rendue l’ange et toi, la fragilité. Je t’ai accompagnée comme j’ai pu, comme je le comprenais. Puis un vendredi matin, c’est arrivé. Je me suis levée, papa m’attendait dans la cuisine. Naïvement, j’ai cru que c’était le chien qui était mort, je ne pouvais juste pas imaginer que tu partirais un jour. Ce n’était pas dans le contrat, il me semble ?
J’ai pleuré. J’ai eu mal. Je pleure encore et j’ai encore aussi mal. Rassemblant courage et honneur, j’ai demandé à accompagner papa pour te choisir un dernier lit pour le plus grand des repos. On m’a aussi demandé de te choisir des vêtements pour le dernier des voyages ; j’ai choisi le chemisier que j’aimais le plus.
Je sais que tu méritais cette délivrance, vraiment. Pourtant ça a été plus fort que moi, j’ai crié de toutes mes forces pour que tu reviennes, ça ne se pouvait pas. Papa et maman me tenaient contre eux, essayant de me calmer et de me rassurer, rien à faire. J’étais déchirée de l’intérieur, je te parlais dans ce lit rempli de fleurs, mais tu ne répondais pas. J’avais encore besoin de toi, auprès de moi. À dix-sept ans, nous sommes encore des enfants, nous jouons aux adultes, mais nous n’en sommes pas vraiment. Que connaît‑on de la vie ? À quarante‑six ans, tu t’es éteinte. Moi aussi, je me suis éteinte. Une partie de moi est partie avec toi cette journée-là. J’ai eu un double deuil à faire : le tien et le mien.
Six ans plus tard, il n’y a pas une journée où je n’y repense pas. Je trouve encore la vie injuste, je ne comprends toujours pas les raisons de ton départ. Je suis consciente que c’était pour le mieux ; tu souffrais beaucoup.
Merci pour tous les souvenirs, tous les fous rires, les occasions spéciales, les secrets échangés, et pour la place que tu m’as faite dans ta vie. Ce n’est qu’un au revoir…
À bientôt
P.S. Bientôt, je serai à Cancún, j’espère que tu y seras aussi.
Vicky Boivin