Mes enfants sans visage — Texte : Stéphanie Dumas

Il s’agit ici d’un sujet délicat qui peut mettre certaines personnes mal à l’aise. Toutefois, pour ceux ayant vécu la difficile épreuve de la fausse couche ou d’un arrêt de grossesse, une fois ou plusieurs, ces bébés font désormais partie intégrante de leur propre personne. On peut comparer cette situation à un voile qui reste dans notre mémoire et qui refait parfois surface l’espace d’un instant. Un souvenir qui revient en mémoire sans crier gare à tout moment.

J’ai vécu cette difficile épreuve à six reprises. C’est un peu comme avoir six enfants sans visage. Parfois, j’imagine ce à quoi ils auraient pu ressembler. Je pense aussi à des moments que j’aurais pu vivre avec eux. Comment auraient été les repas à table avec nos six enfants ? J’imagine que tous les parents vivent aussi cela. Peut-être même qu’une petite boîte rangée quelque part renferme des objets qui étaient destinés à un bébé parti avant même de naître. C’est un sentiment étrange d’aimer un être qu’on n’a pas connu. Une chose est certaine, ils sont gravés en nous à jamais.

Il nous arrive d’en parler aux gens autour de nous. Cela crée parfois un silence ou un malaise chez nos interlocuteurs. Bien des gens ne savent pas comment parler d’un sujet délicat comme celui-là. Nous en sommes bien conscients. Néanmoins, nous avons parfois besoin de faire vivre nos bébés à travers nos paroles.

Tous ces enfants sans visage ont été réels l’espace d’un court instant dans notre monde. Leur maman les a sentis en elle et leur papa les a attendus. Ils les ont peut-être vus durant une échographie. Ils ont vu battre leur petit cœur. Leurs proches attendaient aussi leur arrivée dans la famille. Ces bébés ont laissé une trace qui ne partira jamais complètement du cœur des parents. Ils ont pris une partie de ces cœurs et se sont envolés avec eux à tout jamais.

Stéphanie Dumas



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