Le temps de s’en remettre

J’ai hésité longtemps. Je voulais essayer par moi-même, jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quoi au juste? De moi-même? De ma santé? De ma force de femme pas plus invincible que n’importe qui d’autre?

Quand mon (pas encore ex) mari est parti en mission militaire, j’ai essayé jusqu’au bout de garder mon emploi à temps plein, mon engagement communautaire à temps plein, mon entreprise qui me demandait tout ce qui restait en dehors de mon temps plein. J’ai demandé de l’aide avec mes enfants, je me suis fait violence pour ne pas entreprendre d’autres formations, pour repousser mes projets d’écriture. Je faisais des choix, mais pas assez. Quand j’ai vu que je coulais, j’ai demandé la permission de faire du télétravail deux jours par semaine. Histoire de continuer à travailler à temps plein.

Quand je me suis séparée, je suis retournée au travail le lendemain, comme si de rien n’était. Puis, pour le déménagement, je me suis octroyé un très généreux deux jours de congé. Le lundi, j’étais à mon bureau, comme une scoute. Pas super concentrée, avec des muscles endoloris et le cœur en bouilli, mais j’étais assise devant mon ordi. Je frisais le présentéisme. Mais j’y étais.

Puis, quand les choses ont dérapé, j’ai fait mes heures, du mieux que je pouvais. Quand l’école appelait, je partais en panique. « S’cuse boss, je dois partir là-maintenant-tout-de-suite. Je t’explique par texto. » Quand je prenais des rendez-vous pour prendre soin de moi, je rentrais tôt au bureau et je revenais dès la fin du rendez-vous. Un massage ou une séance d’art-thérapie squeezés entre une réunion et une conférence téléphonique, ça limite l’effet bénéfique.

Tout ça parce que ça me donnait l’impression, je crois bien, de gérer la situation. De survivre. Peut-être, aussi, parce que je n’avais pas le goût d’entendre un médecin prononcer le mot « dépression ». Been there, done, that, je n’avais pas envie de refaire le même parcours.

Quand je suis allée voir mon médecin pour des maux de tête chroniques (ah! ce que le stress peut faire!), de l’insomnie chronique (ah! ce que le stress…), des pensées suicidaires pas loin de chroniques (ah!…), elle m’a arrêtée. Pas au complet. Juste assez. Me garder dans la réalité, éviter le choc du retour au travail, se donner du temps. Elle m’a prescrit un congé maladie une journée par semaine, le temps de m’en remettre. Et un peu plus, pour être certaine d’être vraiment remise. Pas juste en surface. Régler l’épuisement que je traînais depuis des années.

Ça fait quelques semaines de ça. Au début, je m’écrasais sur mon divan toute la journée, juste à côté de ma culpabilité qui me tirait du jus comme un enfant qui gosse son frère. J’avais tellement besoin de ne rien faire! De réapprendre à ne rien faire.

J’avais déjà fait le tri dans mes engagements. Je répondais déjà moins rapidement aux demandes qui m’arrivaient de toutes parts. Je ne me donnais plus le rôle de maintenir les amitiés : les vraies résisteraient d’elles-mêmes et seraient au rendez-vous quand je reviendrais dans mes souliers.

Puis, j’ai commencé à me réorganiser. J’ai déterminé ce qui me causait le plus de stress. Ce que je pouvais régler rapidement et pour de bon. Ce qui était urgent. Ce pour quoi je pouvais demander de l’aide. Ce pour quoi j’avais besoin d’outils supplémentaires (couper le gazon à la mitaine, ça se fait, mais ça va plus vite avec une tondeuse…) Et j’ai agi.

Pour la première fois depuis des années, je sens mes épaules plus légères. Je sens moins l’étau autour de mes poumons. J’ai recommencé à dormir et à me sentir énergisée le matin. J’ai appris à être. Comme dans « être assise au parc avec les enfants sans penser à mon budget » ou « être dans ma voiture et respirer, sans rager parce que je ne suis pas en train d’écrire le roman du siècle ».

Je ne sais pas si cet état va persister. Ce que je sais, c’est que je construis sur ce temps que je me donne pour créer des habitudes saines et durables. Je me re-rencontre et j’aime ce que je vois : une femme qui reprend espoir, qui vit au lieu de survivre. Parce qu’il faut l’admettre, quand on sur‑vit, on sous‑vit.

Nathalie Courcy



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