Saute, saute, saute !
J’ai tendance à personnaliser l’éducation de mes enfants. Peut-être
J’ai tendance à personnaliser l’éducation de mes enfants. Peut-être à outrance, mais certainement pas avec de malhonnêtes intentions. Je crois en la différence, en l’humanité, au potentiel de chacun. Ce n’est pas que le moule n’est pas fait pour tous, c’est surtout qu’il y a plusieurs moules, et plusieurs façons de rentrer dedans.
Le système scolaire est un moule. Tout comme le système social, la famille, le gouvernement, l’économie, name it. Les rebelles entrent dans un moule. Les manifestants aussi. Les criminels, les non-conventionnels, tout le monde. Mais. Mais le moule peut être adapté, modifié, élargi, cassé, ramolli. Et l’humain peut aussi s’adapter au moule, jusqu’à un certain point.
Long préambule pour en venir à mes petites grenouilles. Ils sont nés différents, tout autant que tous les autres enfants. Une de leurs différences, c’est leur façon de penser et de comprendre le monde, de le ressentir et d’y réagir. Ils ont le défi (oui, oui, je ne parle pas de chance, même si c’est un coup de pouce génétique) de comprendre vite et autrement. Ils ont appris à lire, à écrire, à compter par eux-mêmes. Ils divisaient des milliers à trois ans ou lisaient des briques à sept ans. Certains ont une mémoire phénoménale, d’autres ont une intuition qui dépasse toute logique. Une est autodidacte chronique, l’autre pourrait jaser de sciences avec Einstein. Si au moins j’exagérais…
Donc, mes petites grenouilles ont tendance à se sentir coincées dans le moule scolaire. Il y a tant à apprendre… et le cadre se veut restrictif, veux, veux pas ! La force et la faiblesse du groupe. Que fait une grenouille qui se sent à l’étroit dans son étang ? Elle essaie d’aller voir ailleurs, elle fait des vagues, elle saute sur les nénuphars et énerve tout le monde… ça la tient occupée. Ça lui donne l’espoir que quelqu’un la remarque et lui dise : « Eille, p’tite grenouille, me semble que tu serais mieux dans un étang plus grand. » Si elle n’est pas entendue, elle déprime, elle détruit les autres ou elle-même.
L’étang plus grand, ça peut être un endroit où il y a une plus grande diversité écologique. Ou un espace plus élevé d’où on voit mieux l’horizon. Ou un étang qui permet de sauter dans une rivière et sur un rivage et sur une plage. Ça peut être le même étang, mais avec des possibilités de jouer aux touristes une fois de temps en temps pour faire l’école buissonnière. Certaines grenouilles sont même très heureuses dans leur étang, sans plus, sans moins. Ça peut être un étang qui n’a même pas l’air d’un étang. La beauté de la chose, c’est que les petites grenouilles n’ont pas toutes besoin du même genre d’étang. Sinon, ce serait plate, hein ! Tout le monde pareil, arkeuh !
Alors mes petites grenouilles ont vécu dans différents étangs scolaires, en y faisant souvent beaucoup (trop) de vagues. Ça énerve, les batraciens qui font des vagues. Pour les parents, c’est tout un art de choisir le bon étang pour la bonne grenouille au bon moment. Sans compter les contraintes, les programmes offerts ou non, la surpopulation, les déménagements, les politiques des institutions, les croyances de tout un chacun, la désinformation. Et chaque année, c’est à recommencer.
En septembre, deux de nos grenouilles sauteront une année et vivront leur année scolaire avec des élèves plus vieux. Les nombreuses évaluations, les nombreuses opinions de spécialistes, les nombreuses rencontres avec l’équipe-étang suggèrent que c’est une bonne idée. Que ça correspond à leurs besoins. Que pour eux, ça semble faire partie de la solution. Ça ne résout pas tout, mais ça pourrait les aider à moins s’ennuyer, à se sentir moins différents, à se sentir stimulés, à avoir le goût de trouver leur place dans un moule. Ça semble être une façon de casser le moule sans tout casser. Ils sont prêts à rencontrer de nouveaux défis et de nouveaux amis, même si l’inconnu fait des « coucou ».
Et comme le disaient savamment Passe-Montagne et son nœud papillon : Saute, saute, saute, petite grenouille… tu n’as pas peur de l’eau…
Nathalie Courcy