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Chaque mois, tu voudrais être un gars

Chaque mois depuis que tu as douze ans, c’est la même rengaine. Tu

Chaque mois depuis que tu as douze ans, c’est la même rengaine. Tu commences par être fatiguée, mais vraiment ÉPUISÉE. Puis tout t’énerve! TOUT et tout le monde te tapent sur le système. Ceux qui vivent avec toi savent… Le fichu SPM est de retour…

Ton chéri et tes enfants ne stressent pas quand tu te mets à pleurer pour un oui pour un non. Tu es si émotive! Ils comprennent… Ils parlent doucement et essaient d’être gentils et ça t’énerve encore plus! Tu ne m’endures plus toi-même. Tu as envie de frapper le cave d’en avant qui ne roule pas assez vite, d’insulter l’enfant qui crie si fort dans les rayons de l’épicerie ou de chialer après l’animateur radio qui n’est pas capable de parler sans bafouiller!

Une asthénie envahit ton corps, tu travailles sans concentration et tu es épuisée juste à te tenir debout. Tu as envie de pleurer parce que tu aimes ton chéri, parce que tes enfants grandissent si vite, parce que tes parents te manquent, parce que tes amis sont merveilleux, parce qu’il fait beau, parce que la lune est belle, parce que le chien est mignon quand il dort et que le patient de Grey’s Anatomy était trop attachant…

Puis. Tranquillement mais sûrement… la douleur s’installe…

Chaque mois, la même douleur… Elle commence sur les côtés en bas du ventre, lancinante… Tes ovaires se tordent et brûlent tes entrailles. Cette douleur sourde qui se propage jusque dans tes cuisses, dans tes jambes… Ton utérus se contracte et ton souffle se coupe…

Chaque mois, tu subis cette douleur pendant deux jours.

Et tu commences à te vider. Ton corps rejette le petit nid qui aurait pu accueillir un bébé. Sauf que ça n’a rien de cute. Ça pue, c’est moche et ça fait mal. Pendant une journée, tu saignes tant que ton visage se décolore, les caillots font souffrir ton col et ton ventre n’est qu’un gouffre de souffrance. Tu es étourdie. Tu es vidée.

Tu n’as plus d’émotions, tu n’as plus de colère, tu es seulement vide. Les flots volent ton énergie…

Tu te sens grosse et laide. Tu te trouves poilue, trop vieille. Tu mets du linge mou et tu manges des chips.

Chaque mois, la même rengaine. Douze fois par année… et tu seras prise avec ça jusqu’à ta ménopause, que tu n’as pas hâte de voir arriver tellement ça a l’air d’être l’enfer.

Chaque mois, c’est plate être une femme. On doit souffrir toute notre vie pour avoir l’honneur et le privilège de donner la vie. Ça reste une belle compensation! Mais chaque mois, tu voudrais quand même être un gars! Juste une fois par mois.

Mon suicide raté

Mon frère s’est enlevé la vie. Je ne suis pas la seule à avoir un membre de sa famille qui s

Mon frère s’est enlevé la vie.

Je ne suis pas la seule à avoir un membre de sa famille qui s’est suicidé. C’était fin février que mon frère a « réussi » son suicide et que moi, j’ai glissé vers le mien. Oh! Rassurez-vous, j’étais bien vivante, en chair et en os. Mon âme, ma lumière humaine, par contre, avait foutu le camp au pays de la noirceur totale.
Pendant cette période, j’avais besoin d’en parler, pas de moi, mais du geste qu’il avait posé. Je nourrissais inconsciemment cette douleur. Malsainement, les gens avaient aussi besoin d’assouvir leur curiosité, de savoir COMMENT il s’était enlevé la vie plutôt que de s’informer comment MOI, sa sœur, je vivais ça. Donc, de fil en aiguille, je me suis fait un speech où je racontais la scène marquante du film noir de mon frère. Oui, car comme si ce n’était pas assez de vivre son suicide, je suis celle qui l’a trouvé. J’ai bien tenté de le réanimer mais malgré quelques heures de sursis, où ma mère a pu lui dire au revoir, il était trop tard. Ensuite, les gens se taisaient, envahit par le malaise car peut-être que maintenant, ils en savaient trop ! Donc du coup, on changeait de sujet pour parler météo !
Dans le bureau du médecin, on m’a dit que j’avais un pourcentage élevé de tenter de me suicider, moi aussi. Oui, en plus de vivre le suicide d’un être cher, les proches d’un suicidé ont plus de chance statistiquement parlant d’y recourir.
Je devais donc me conscientiser à reconnaître les signes avant-coureurs d’une dépression… Allô ? Je suis en plein dedans !!! Mais la fille fière (ou inconsciente et pleine d’égo) n’était pas pour admettre ça! Voyons, je ne pouvais pas vivre l’échec.
À la place, j’ai travaillé l’automédication, c’est à dire: alcool en masse et vie de fou. Si bien qu’à un moment donné, mon corps ne voulait juste plus participer à mon autodestruction. Je suis tombée encore plus bas dans ma noirceur. Tu sais, celle-là où tu ne vois juste plus où tu vas, et en même temps, tu ne veux plus aller nulle part !?
Les gens ne se doutent pas parfois de ce qui se passe dans la tête des autres. Pendant ces temps sombres, les autres me percevaient comme une fille forte. Je n’ai jamais arrêté de travailler, je sortais, je voyais des gens… J’étais active. Pour plusieurs, ma noirceur ne paraissait pas et c’est là où le bât blesse.

Je ne me serais pas tuée… pour ma mère. Juste pour ne pas voir dans ses yeux que son âme mourrait davantage. Mais si je n’avais pas vécu le suicide de mon frère, est-ce que j’aurais fait l’acte ? Je ne peux qu’être pleine de gratitude pour mon frère qui m’aura permis… de choisir une autre destination que la sienne.
Ce que j’ai retenu de cette noirceur, c’est que souvent, ceux qui choisissent le suicide ont fait pendant longtemps comme moi. Que dans leur habileté à cacher leur voyage vers la noirceur, ils se sont malheureusement perdus en chemin… C’est alors que la destination ultime, la mort, est devenue à leurs yeux, le tout-inclus désiré.

Un voyage vers la fin de la souffrance, mais où celui de leurs proches commence…

Si vous pensez au suicide ou craignez qu’un de vos proches y pense, sachez qu’il y a des ressources, dont l’Association québécoise de prévention du suicide.

L’absence

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 Je t’attendais. J’ai compté les jours et les nuits et je t’ai cherché partout, comme pleurait Cabrel. Je t’aurais décroché la lune et les étoiles. C’est ce qu’on dit quand on aime. C’est ce qu’on dit quand on souffre.

 

Tu étais de moins en moins là. Dans ta vie. Avec moi. Tu faisais preuve de présence, mais tu ne t’habitais plus. Tes yeux souriaient rarement. Ton visage ne s’éclairait plus comme le soleil. Comme avant. Avant quoi? Je ne sais pas. C’était différent. Tu survivais. Tu ne vivais plus. La mort t’avait trouvé à quelques reprises. Des humains t’avaient sauvé. T’en souviens-tu?

 

Tu t’es mis à travailler. Beaucoup. À t’étourdir. À ne plus penser. À ne plus souffrir. Je souffrais pour nous deux, car toi tu n’en avais pas envie. Moi non plus d’ailleurs. Mais ça me prenait au corps. Ma peau se flétrissait d’anxiété; l’urticaire m’envahissait tout comme de la mauvaise herbe. J’en avais perdu la voix. Je cherchais mon souffle. À bien y penser, je te ressemblais. J’essayais de survivre à la douleur. Au manque de toi. Je me suis faite belle. Et douce. Et rieuse. Puis après, j’ai crié et j’ai pleuré. J’ai même supplié pour que tu restes.

 

Ça n’a pas marché. Tu es parti.

 

Ce trou béant que tu laisses. Non pas derrière, mais en moi. Ce vide que je devrai apprendre à combler. Par moi. Par ce qu’il me reste. J’y arriverai. Mais pas tout de suite. Je me sens trahie et abandonnée. Des blessures de fin du monde. Des blessures de petite fille pas réglées. Elles me font mal à l’âme. Je me sens vulnérable et trop petite. Je me roulerai en boule, je me saoulerai dans mon salon et je te crierai toutes les bêtises du monde. Je rencontrerai peut-être d’autres hommes qui me rassureront un court moment dans la nuit. Je m’étourdirai.

 

Au final, je ferai comme toi.

 

Je t’ai tant aimé. Je t’aime encore. Je t’aime au corps. Je voulais que tu me choisisses. Être la première et la dernière de ta vie. Ce que j’étais, ce que je suis n’aura pas suffi. Je n’ai jamais été une bonne deuxième. Toujours une bonne première, mais pas pour toi. Je t’ai donc laissé partir. J’ai agité le drapeau blanc. J’ai signé la reddition.

 

L’amour fait du bien. L’amour transcende tout. L’amour fait vivre. Un jour, j’y croirai encore.

 

Isabelle Bessette

                                                                           

 

 

 

 

 

Papa même s’il est trop tard

Je ne t’ai pas connu, pas comme j’aurais dû. Pourtant, tu as contribué à me fabriquer, à faire que j’existe. J’ai quelques souvenirs éparpillés, mais le lien d’attachement ne s’est jamais formé. Plus de seize années ont passé depuis que je t’ai dit adieu sur ton lit d’hôpital. Affaibli par la maladie, tu m’avais demandée à ton chevet. J’ai hésité. Le ciel m’est témoin que j’ai longtemps réfléchi au pourquoi j’irais te voir avant ton départ. J’avais à ce moment beaucoup plus de raisons de ne pas m’y présenter que d’y être. Mais ton ainée, ma sœur, qui te pleurait déjà tellement, espérait que j’y sois. Elle, elle t’a aimé, elle t’aime toujours. J’en étais jalouse à en crever! J’avais dans le cœur ce manque de paternité.

Bien entendu, un autre homme a pris ce rôle que tu aurais dû avoir. Il a bien fait les choses, ne t’inquiète pas. Aujourd’hui encore, il est présent dans ma vie et je l’aime. Il a tenu ce rôle qui t’était destiné. Je t’en ai voulu dans le passé. Je ne comprenais pas pourquoi on ne se voyait pas. Pourquoi ne m’aimais-tu pas suffisamment pour venir me voir? Du moins, c’est ce que je croyais. Il est arrivé que cette sœur, que j’idolâtrais en secret, parte avec toi, alors que je restais derrière. Je ne l’enviais que davantage, en silence. Je découvrais ma première souffrance.

J’ai dit haut et fort à qui voulait m’entendre que je te détestais, que je t’avais en répugnance et que je ne voulais rien avoir à faire avec toi. Si tu savais comme je mentais! À un moment, nous avons eu la chance de faire connaissance. Dans mes révoltes de jeune femme en devenir, je n’ai pas su la saisir et tu étais, toi aussi, bien démuni. Je le sais aujourd’hui.

Je suis mère à mon tour, tu n’auras jamais connu mon époux ni mes enfants. Oui, tu es grand-père trois fois maintenant. Tu serais si fier d’eux, j’en suis sûre! Depuis environ deux ans, je parle de toi. J’ai entendu ces histoires que j’ai enfin écoutées. Des histoires provenant d’une famille que je découvre petit à petit. De ma sœur avec qui la distance s’est finalement effacée. De ma mère, qui naguère préférait se taire à ton sujet.

J’aurais aimé connaître cet homme, ce frère, cet oncle, ce père. MON père. Je suis heureuse d’être allée te voir ce jour-là. Ça m’a atteinte plus que je ne l’ai jamais avoué, surtout à moi-même. Je m’accroche depuis toute petite à ces moments si limités que l’on a partagés.

J’écris ce texte aujourd’hui, les joues inondées. La gorge nouée et un tremblement au corps. Je mets le doigt, à trente-six ans, sur ce grand vide qui ne sera jamais comblé. Je réalise d’où est né ce mal de vivre que j’ai toujours porté. Malgré mon bonheur et mes joies, depuis quelque temps, mes pensées ne reviennent que vers toi. J’aurais voulu me souvenir de tes bras autour de moi, de ta voix me réconfortant. J’aurais voulu connaître tes joies, tes souvenirs d’enfance. Ta fratrie si grande.

Je me rappelle de si peu de choses. Mais lorsque je ferme les yeux, il y a un détail qui jamais ne me quitte. Ton propre regard. Celui que je te surprenais parfois à poser sur moi. Aujourd’hui, je le comprends. Tu as souffert aussi de l’absence de ton enfant. Aujourd’hui, j’en suis consciente et ma peine n’en est que plus grande.

Depuis toujours, je me suis battue pour ne jamais dire cette phrase. J’ai vécu pour ne jamais avoir ce regret. Mais force est d’admettre, ce soir, que j’ai échoué. Chaque cellule de ma personne hurle autant que cette voix dans ma tête qui fredonne ses mots assommants et qui ne changent rien à l’histoire, sauf de me faire broyer du noir : j’aurais dû.

J’aurais dû en profiter durant ces quelques mois partagés.

J’aurais dû cette porte ne pas la fermer.

J’aurais dû comprendre.

 

La mère en moi répète à cette fillette que j’étais : ce n’est pas ta faute. Il t’aimait.

Mais la fillette en pleurs et contrite ne peut que répondre : Oui je sais, mais moi je n’ai pas su l’aimer.

Papa, depuis toujours et à jamais, tu es l’être qui aura le plus manqué à ma vie.

 

Simplement, Ghislaine.