Deuil périnatal : Mon bébé-lune-de-miel
J’ai rencontré l’homme de ma vie très jeune. Nous avons eu deux merveilleuses petites filles. Nous nous sommes mariés la journée exacte de nos 10 ans d’amour. Que c’était romantique ! Comble de bonheur, et de chance, je suis tombée enceinte le soir de ma lune de miel.
Les mois ont passé. J’étais comblée et je regardais mon ventre grossir de façon impressionnante, troisième grossesse oblige… J’ai entendu son petit cœur battre, et mon propre cœur se remplissait d’une émotion plus forte que descriptible.
Je n’arrivais pas à expliquer concrètement ce qui ne collait pas avec mes deux autres grossesses, mais je savais qu’étrangement, cette fois-ci, je n’avais ni nausée, ni rage de faim, ni saute d’humeur… Doc-Bédaine m’annonce qu’à 25 ans, c’est conseillé d’aller faire le fameux « triple test ». Je n’ai pas cru bon payer pour ces tests lors de mes précédentes grossesses. De toute façon, il n’arrivera rien… De toute façon, on n’a aucun antécédent génétique… De toute façon, on est si jeunes !
Mais puisque j’ai 25 ans, les tests sont gratuits ! J’y voyais une belle opportunité de voir mon bébé sur un écran, une fois de plus, tout simplement. Je suis jeune, j’ai plus de trois mois de grossesse, je sais que son petit cœur bat bien et je sens mon bébé bouger en moi. Que peut-il arriver de mal ? Peut-être même qu’ils vont pouvoir nous prédire le sexe de notre bébé…
Le jour de l’échographie, notre chance a tourné et notre monde s’est écroulé. À peine la sonde posée sur mon ventre rebondi, nous savions que rien n’irait plus. Dès que l’écran a montré les images de notre bébé, la technicienne a demandé au médecin responsable de venir nous voir. Il a revérifié ses mesures, avant de nous annoncer une terrible nouvelle. Notre bébé-lune-de-miel n’était pas normal…
Je n’ai pas tout écouté… Mais j’ai compris une chose… Peu importe ce qui clochait, il n’y avait absolument aucune chance que notre enfant soit normal, ni conscient. Le médecin voulait qu’on pousse des tests plus loin… plus longtemps… Après le décompte des handicaps certains, nous lui avons demandé de tout arrêter. Il nous a expliqué nos options…
Notre bébé restait « viable ». Il pouvait vivre… Nous allions finir par l’enterrer, ça c’était certain, mais c’était à nous de décider jusqu’à quand nous voulions l’accompagner… Mon choix fût rapide, décidé et assumé. J’ai demandé au médecin d’interrompre la grossesse. Il a refusé. Il insistait pour faire des tests plus poussés. Il parlait de faire avancer la science et de participer aux statistiques. Mais je n’en avais rien à faire… J’ai refusé de donner mon corps et mon propre enfant à la science.
Il m’a référée à une clinique externe, spécialisée dans les cas d’interruption de grossesse… Nous y sommes allés directement, les papiers de l’échographie en main. Là-bas, une infirmière nous a expliqué que c’était impossible de pratiquer l’intervention, pour plusieurs raisons. Ils n’avaient pas le temps. La chirurgienne refuserait. La décision était beaucoup trop précipitée. Il y avait des chances que je devienne stérile.
J’ai pleuré, crié, insisté. Nous savions tous que si j’attendais deux jours… Deux petits jours seulement… Je ne pourrais plus avoir recours à l’avortement vu l’état avancé de ma grossesse. J’ai insisté pour rencontrer la chirurgienne en personne. Elle a écouté. Elle a compris. Elle avait justement un trou dans son horaire… Maintenant.
Elle était humaine, douce et compréhensive. Elle avait peur pour moi, si peur que je regrette ma décision. Elle, elle savait mieux que quiconque le caractère indélébile et irréversible de l’acte que j’allais commettre. Moi, je savais que j’étais décidée. Décidée à vouloir offrir une vie remplie d’aventures, de voyages et de joies à mes deux filles déjà bien vivantes. Décidée à ne pas donner une vie de souffrances à un enfant, si je pouvais le lui éviter. Décidée à ne pas le garder, pour seule raison que je le voulais dans ma vie.
Je ne jugerai jamais les parents qui ont fait le choix de mettre leurs enfants au monde, aussi différents soient-ils. Moi, je n’avais pas cette force. Je l’ai vu à l’échographie… et je sentais à quel point il souffrait déjà. Je n’avais pas la force de lui en imposer davantage. Je n’avais pas la force de le prendre dans mes bras, sachant que je serais forcée de bientôt l’enterrer… Je savais que ma décision était la bonne.
Dans la salle, la chirurgienne a fait une dernière échographie, pour se situer et s’aider dans l’intervention. Elle a pris une pause, a pris ma main dans la sienne et m’a dit qu’elle comprenait maintenant. Après avoir vu l’état de mon bébé, elle comprenait l’urgence de ma décision et se sentait en paix avec ce qu’elle allait faire. Elle n’était pas obligée de me dire cela. Mais elle l’a fait. Et je lui en serai toujours reconnaissante.
Je suis revenue à la maison, le ventre vide et le cœur gros. Nous nous sommes assis avec nos filles pour leur expliquer que notre petit bébé n’était plus. Ma plus vieille, âgée de quatre ans, a compris et a pleuré. Nous avons fait incinérer ce minuscule petit ange et avons fait une cérémonie, près d’une rivière, pour lui dire Adieu une dernière fois.
Le 15 octobre est la journée de la sensibilisation au deuil périnatal. C’est aussi la date à laquelle je devais accoucher…