Quand la fertilité devient un cauchemar sans fin… et qu’on t’enlève ta liberté de choix – Texte : Marie-Élisabeth Ménard

En juillet 2019, tout juste avant mes 25 ans, j’ai mis au monde mon quatrième enfant. Belle, pleine de vie, de santé, de curiosité. Avec un papa si attentionné, si aimant ! Le bonheur !

L’accouchement a été parfait. Facile, sans problème ni blessure. La maman va bien et le bébé aussi. Tout va pour le mieux. Mon conjoint et moi avions décidé depuis longtemps que ce serait la petite dernière, que plus jamais je ne porterais d’enfant dans mon ventre. C’était notre décision pour la famille, MA décision pour moi-même. Je n’en pouvais plus. La grossesse avait été pénible physiquement, et surtout mentalement.

Je venais de terminer ma première année de technique et je commençais mes stages en août, lorsque mon bébé allait avoir tout juste deux mois. Le gynécologue m’a demandé quelle contraception je voulais pour la suite. Je lui ai répondu (dossier à l’appui) que les contraceptifs ne fonctionnaient pas. Je suis tombée enceinte deux fois sous contraception, après plusieurs rejets violents de toutes sortes avec ou sans hormones. Sans faire de détour, j’ai demandé la ligature des trompes, qui me semblait adéquate. Il m’a dit non, sans me laisser m’expliquer sur mes motivations. Il m’a dit non, sans connaître ma vie ni mes sentiments dans la situation. Il m’a simplement dit non. Voici ses arguments, et les réponses que j’ai eues à lui donner :

Tu es trop jeune : WHAT?!? Quatre enfants à 25 ans, et je suis aux études, ce n’est pas assez pour toi ? Il m’en faut combien, ou quel âge devrai-je avoir pour arrêter d’être enceinte ? … Je suis tombée enceinte à 17 ans, et on me disait déjà trop jeune pour AVOIR un enfant ; 8 ans plus tard, je suis trop jeune pour arrêter d’en faire… Humm.

Si jamais tu regrettes et que tu en veux d’autres : JA-MAIS. Je suis épileptique, c’est risqué chaque fois que je tombe enceinte, chaque fois que je ne fais pas mes nuits (et Dieu sait à quel point on ne dort pas avec des enfants…). Les grossesses sont de plus en plus difficiles et épuisantes, en plus de l’école, des autres enfants, de la vie et des imprévus… JA-MAIS.

Et ton chum lui, s’il en veut d’autres : On peut adopter, devenir famille d’accueil, avoir une mère porteuse, peu importe… Je ne veux plus en avoir en moi. Mon corps doit me revenir et m’appartenir un moment donné… C’est aujourd’hui ce moment. Je n’en veux simplement plus. À la limite, il ira voir ailleurs, JE M’EN FOUS. Ce n’est pas sa décision, plus après quatre…

Le médecin m’a même gentiment proposé l’abstinence. (J’ai bien failli lui sauter à la gorge !)

Vous auriez dû me voir à cet instant. Déconfite, déconstruite, en pleurs, inconsolable. De mes 17 ans à mes 25 ans, je n’ai connu que ça, les grossesses, les accouchements et les nuits blanches. J’ai quatre enfants ; imaginez les maladies, les nuits à l’urgence, les imprévus de garderie, d’école, de rendez-vous, de blessures, et j’en passe. Le coût de la vie qui ne fait qu’augmenter, les cours de sport, le parascolaire, les fêtes et autres… Je ne pouvais pas imaginer qu’une personne ne se fie QU’À mon âge pour déterminer si j’étais prête ou non à mettre fin à ma fertilité incontrôlable. Moi qui me suis battue pour ma liberté et mon indépendance jusque-là, c’est toi, l’homme gynécologue de 60 ans, qui vas décider de l’avenir de mon corps ? Je ne pouvais y croire. Je suis sortie du bureau hors de moi et en pleurs. Mon chum ne savait pas quoi me dire ni quoi faire pour apaiser ma souffrance. Parce que oui, c’était une souffrance terrible, que je ressens encore aujourd’hui. J’avais envie de crier à l’injustice. Mais je suis sortie, la tête basse et le cœur en miettes.

Quatre mois plus tard, en novembre ou en décembre, j’ai un drôle de feeling, que je ne connais que trop bien. Le test est positif. Je suis de nouveau enceinte. Lorsque j’appelle mon conjoint pour le lui dire, ma voix est bloquée dans ma gorge. Rien ne sort. Je suis paralysée par la colère, la rancune, l’amertume, la peur. J’ai peur. On n’en veut pas, de cette grossesse-là. On suit donc la procédure pour une IVG. Je ne suis ni pour ni contre l’avortement. Je pense que ça doit exister, pour le choix de la femme qui s’inflige cette opération. Parce que ce n’est pas qu’un sujet ni un jeu. C’est une opération où on nous enlève la vie du ventre. C’est un choix que l’on s’impose pour diverses raisons, mais la première et la plus importante, c’est quand c’est pour soi-même que l’on prend cette décision. Dans tous les cas, ça fait mal. Mal au corps, mal au cœur et mal à l’âme. (Encore en écrivant ces lignes, je pleure, parce que le mal est encore là malgré le soulagement.)

Dans le processus, j’apprends que j’attends des jumeaux cette fois. Je ris jaune, parce que c’est du délire. Le destin est parfois chiant, mais là, je le trouve incompréhensible. Je redemande aussitôt la ligature. La gynécologue, une femme cette fois, n’argumente pas et fait tout en son pouvoir pour me l’obtenir. Et elle réussit. C’est un soulagement de me faire soutenir, entendre, comprendre par quelqu’un. Enfin.

Lorsque je rencontre les professionnels dans le cadre du processus, je largue ma colère envers le système et envers celui qui m’a causé tout ce que je vis juste parce qu’il me trouvait « trop jeune » ou qu’il a pensé à mon chum avant moi. Les personnes présentes me comprennent, m’écoutent patiemment et soulagent comme elles le peuvent ma douleur à l’âme. Elles sont extraordinaires. L’opération a lieu. J’en sors, soulagée, mais vide. J’ai un deuil à faire. Celui de mon IVG, mais aussi celui de ma fertilité. Un deuil officiel de grossesse, de recommencement, de renouveau. Et ça me va. J’étais prête pour ce deuil depuis longtemps, et il me convient.

Neuf mois plus tard, je me sens toujours mal. Depuis mon opération, j’ai des douleurs au bas-ventre. Je me sens bizarre, je sais que quelque chose ne va pas. Après les prises de sang, une nouvelle grossesse est confirmée. Oui, oui, neuf mois après ma ligature, je suis de nouveau enceinte. (Moins de 1 % de chances, qu’ils disent… fallait que ça me tombe dessus !) Et elle est viable, donc pas ectopique. Quelle chance ou quel malheur ? … J’en ris. J’en pleure. Je fais tout ce que je peux pour ne pas devenir folle. Je ne comprends plus rien. Je n’en peux plus. Je veux disparaître. Je veux démolir quelque chose, plusieurs choses. Je ne sais plus. À quel point la vie voulait que je sois enceinte pour me faire ça ? Devais-je le garder ? Parce que rendu là, croyez-moi, c’est un miracle. De mauvais goût, mais tout de même un miracle.

Je me suis questionnée à ne plus savoir comment réfléchir. Si vous saviez comment j’ai pleuré ! Je n’avais plus de larmes, et à la fin, je riais comme une personne qui a perdu l’esprit. Je n’étais plus personne. Je me sentais simplement comme une machine à bébés. Avec ou sans mon consentement, la vie et la médecine s’en foutaient, tant que je faisais des bébés. Je me suis fait opérer à nouveau. Deuxième IVG et deuxième ligature en neuf mois en plus d’un accouchement, tout ça dans la même année.

Tout ça parce que le gynécologue a dit non à MON choix, qu’il a eu cette emprise sur MON corps et sur MA vie.

Tout ça parce que le système de santé, SUR CETTE QUESTION, ne prend pas en compte la vie de la femme ni son avis.

Tout ça parce que, finalement, je n’ai jamais eu le pouvoir sur moi-même.

Tout ça parce que c’est injuste.

Tout ça parce que j’avais envie de vivre ma vie et qu’on ne m’a jamais donné le choix de le faire comme je le voulais et QUAND je le voulais.

Tout ça parce qu’on ne m’a pas écoutée au départ, lorsque j’ai dit non.

N’est-ce pas une des premières bases du consentement ? Sur le plan médical, n’ai-je pas le droit de profiter de mon corps comme bon me semble ? N’est-ce pas mon droit fondamental de décider si, oui ou non, je veux porter des enfants ? Peu importe mon âge, que j’aie ou non des enfants, que je fasse quoi que ce soit de la vie… n’est-ce pas mon droit fondamental de femme, d’humain de décider de ce que je fais de mon corps ?

Le système doit changer. Le système doit écouter ses patients, et non les détruire. J’ai vécu l’enfer, je ne suis pas la seule ni la pire.

Je veux que ça change, pour les autres qui vivent encore ou qui vivront un cauchemar comme le mien, par manque de choix, par manque d’écoute et par manque d’humanité.

Je veux que le droit des femmes et le consentement soient pris en compte dans le système de santé. Ce n’est pas normal qu’on se batte de tous les côtés pour ces aspects et que, lorsqu’on demande d’avoir le pouvoir sur notre corps, un médecin, un système, décident à notre place.

C’est injuste.

Soyez fortes. Soyez confiantes. Battez-vous pour la liberté de votre propre corps.

 

Marie-Élisabeth



Commentaires