Je ne sais pas comment je fais, mais je le fais – Texte : Kim Boisvert
La réceptionniste de ma chiro me racontait que son chien avait le cancer et qu’elle était inquiète tous les jours quand elle partait travailler puisqu’elle ne sait pas combien de temps il lui reste. Ce matin-là, elle était émue. Il lui avait paru fatigué, qu’elle m’avait dit.
J’étais là, le dos barré, les cernes au talon, et je l’écoutais avec bienveillance parler de la mort imminente de son « bébé » de onze ans. Elle racontait qu’elle devait cacher son traitement de chimiothérapie dans ses croquettes pour qu’il le mange. Un monologue émouvant rempli d’inquiétude. Je le sentais dans sa voix. Je le voyais dans ses yeux ; elle était morte d’inquiétude.
Je ne sais pas comment elle en est venue à me parler de sa bête poilue qui a le cancer du rectum. J’étais peut-être trop occupée à tenter de respirer sans bouger afin d’éviter la douleur de mon tour de rein. Puis elle a dit :
« Je sais pas comment les parents d’enfants malades font. »
Et je me suis entendue lui répondre : « On le sait pas non plus. »
Silence.
J’ai alors vu ses yeux plissés passer au-dessus de son paravent en Plexiglas COVID-proof. Des yeux saisis par des mots lourds, un brin coupables.
« Ma fille a la leucémie », que je lui dis.
Elle s’est excusée de me parler du cancer de son chien. Je l’ai rassurée. Elle a de la peine. Elle est inquiète. Son chien, c’est comme son bébé. Je suis humaine, je peux facilement faire preuve de compassion. On s’attache à nos bébés à poils !
Je comprends. Très bien.
Devant le manque de mots évident, elle a changé de sujet. Je l’ai laissée parler de la pluie et du beau temps, mais ma tête était ailleurs. Pourquoi changer de sujet ?
Pourquoi ne pas justement en parler. Ma fille a la leucémie. Comment je fais ? Aucune idée. Mais je le fais. J’avance, je dors sur les chaises d’hôpital et je pleure dans la salle de bain de l’unité d’oncologie. Quand elle a des ponctions lombaires, chaque fois, je maudis le ciel que ça ne soit pas arrivé à moi au lieu d’elle. Avoir un enfant malade, c’est vivre avec le sentiment continuel que la mort te guette. Même si ça va bien, même si c’est de bon augure. Parce qu’on sait jamais quand ça peut virer de bord. Elle n’avait pas le cancer et BANG, le lendemain elle l’avait. Alors on avance, on crie, on pleure, on rit et on célèbre. On apprend nos limites et on les dépasse. Pas par choix. Le choix, on l’a pas.
Je fais le tour de mes choix de vie et le compte est facile à faire. Elle a quatre ans, j’en ai trente-cinq. Mes choix douteux dépassent les siens, on va se le dire. Quand je vois ses petits yeux fatigués me demander quand on rentre à la maison, devoir lui dire que le traitement n’est pas encore fini, à cet instant, je ne sais pas comment je fais.
Mais je le fais.
Kim Boisvert