Dans le silence de ta mémoire ; prisonnière de la maladie — Texte : Maude Pilon-Gauthier

La vérité c’est que j’ai peur. J’ai peur parce que tu t’éloignes de plus en plus. Tu es aspirée dans ce tourbillon sans le vouloir qui crée des trous dans ta mémoire. Personne n’est préparé à ça : la maladie. Ici, dans ton cas, c’est l’Alzheimer.

Je te regarde, avec tes yeux tristes et se vidant de plus en plus de souvenirs. Plusieurs sentiments s’entremêlent en moi : tristesse, colère et incompréhension. Pourquoi toi ? Pourquoi cette maladie ? Terriblement impuissante, parce qu’à mon grand désarroi, rien ne peut changer.

Je te regarde te raconter des histoires, sûrement des bouts de souvenirs en tourbillonnés que tu t’efforces à rapiécer ensemble. Je te regarde impuissante supplier ta mère de venir te chercher dans tes moments de mélancolie. Tu es si triste, si triste et en colère ! Tu te répètes en boucle que tu en as eu de la marde dans ta vie. Tu te souviens sans doute des moments moins glorieux, mais sache que je t’en fais la promesse, tu as eu une « belle vie ». Si seulement tu pouvais te souvenir de tous les moments que nous avons partagés, de nos petites réussites, des étapes importantes de notre vie, de tous nos fous rires échangés et de nos petits sourires complices, de nos soirées pyjama chez toi.

Il t’arrive encore de rire, dans des moments de lucidité où, pour un court moment, nous avons l’impression de te retrouver doucement au travers de ces yeux tristes. Avant, ton regard n’était jamais triste. D’aussi loin que je me souvienne, tu ne te laissais pas abattre facilement et c’est une des choses qui me brise le plus.

Grand-maman, toute ta vie durant, tu t’es occupée de ton mari qui souffrait de cette même maladie. Tu te faisais une mission d’aller le voir quotidiennement. Même quand tu étais fatiguée, même quand il ne se souvenait plus vraiment de toi, tu étais là. Le plus triste dans tout ça, c’est que, lorsque tu étais enfin délivrée de cette charge, c’est toi qui as sombré dans cette triste maladie qui, selon moi, ne devrait pas exister.

La vérité c’est que je ne suis pas prête. Je sais qu’inévitablement, ce moment va arriver : tu ne te souviendras plus de moi, de tes autres petits-enfants, de tes propres enfants. Ce qui me brise le plus le cœur, c’est que sans doute, tu oublieras tes arrière-petits-enfants que tu surnommes « tes petits bébés ». Je ne sais pas comment je ferai pour l’affronter, mais je te promets d’y arriver. Je te promets d’être présente autant que toi tu l’as été pour nous. Je continuerai à te raconter tous nos souvenirs même si tu ne t’en souviendras plus (au fond de moi, j’espère qu’à force de te les raconter, ils reviendront dans ta mémoire). Je me fais la promesse de continuer à te faire rire, à te faire chanter, danser autant que la vie me le permettra. Je te fais la promesse de te tenir la main quand tu en auras besoin et de te soutenir quand tes pauvres jambes prises de ce fardeau auront peine à avancer.

Je t’aime de tout mon cœur,

Ta petite fille

Maude Pilon-Gauthier



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