Le jour où ma belle-mère est devenue un ange

Notre vie était folle. Entre la fin de session universitaire de mon homme, notre travail à temps plein, moi qui était enfin travailleuse autonome, les deux enfants, le troisième en route et les rénovations incessantes; il y avait aussi ta maladie. Notre vie était folle, mais la tienne s’éteignait tranquillement.

Deux jours avant, je changeais ta couche.

Tu faisais ta toilette avant d’aller te reposer pour la nuit. Tu avais besoin de quelqu’un pour t’aider, comme tu avais de la difficulté à te tenir debout. Ta fille venait de partir. Ton fils, mon mari, l’aurait fait, sûrement en pleurant par en dedans, mais il l’aurait fait. Je le sais, il me l’a dit. Mais je me suis proposée et tu as accepté. C’était normal, banal, mais tellement dur de te voir aussi vulnérable. Toi, ma belle-mère, cette femme si forte et obstinée.

Les enfants attendaient de l’autre côté de la porte de la salle de bain, de ta « nouvelle maison ».  Ton fils changeait la couche de Sam, pour se changer les idées. Ton Samuel, ton p’tit loulou, le dernier de tes petits-enfants que tu as bercé. Pendant ce temps, moi avec ma bedaine, je m’occupais de toi dans le plus naturel et le plus grand des respects. Toi, la mère de mon mari, que je connaissais depuis mes seize ans, qui m’intimidais tellement à cette époque. Toi qui justement, n’étais pas d’accord à ce qu’il y ait un troisième bébé qui pousse dans mon ventre. Quatre mois plus tôt, tu disais que c’était trop vite, qu’on devrait attendre. Ça me fâchait. Plus tard, j’ai compris pourquoi. Tu savais que tu ne le verrais jamais. Ça, ça te fâchait encore plus.

On t’a ensuite laissée te reposer.

Est arrivé CE jour-là. Tu reconnaissais notre Éloïse qui avait trois ans, mais pas Samuel qui allait fêter ses 2 ans dans deux mois. Et là, j’ai compris que ma belle-mère, celle qui m’avait souvent parfois fait rager tout au long de ces treize dernières années, était déjà un peu partie. Plus les longues minutes de cette journée passaient, plus moi, du haut de mes 29 ans, bientôt maman de trois enfants, je te voyais quitter ton corps, ou plutôt, quitter ta tête. Parce que c’est ta tête et ton cœur qui t’ont menée aussi loin dans ce combat contre ce foutu cancer. Ta tête de cochon et ton cœur rempli d’amour pour tes enfants et tes petits-enfants. Toi, une femme que je voyais tellement entêtée, tu étais avant tout une maman qui s’est dévouée pour tout donner à ses trois enfants, après avoir perdu son mari, décédé beaucoup trop tôt. D’ailleurs, je me suis toujours demandé quel genre de femme tu aurais été si la vie te l’avait laissé. Enfin bref…

Quand j’ai vu mon homme, ton bébé, désemparé à essayer de te faire manger ton spaghetti, je lui ai donné congé. Je t’ai fait manger doucement, j’ai guidé ta main quand ta tête reprenait du service et voulait tout contrôler. Parce que ça, on va se le dire, tu as toujours été contrôlante! Mais ton corps lui, il n’en pouvait plus. La cuillère était trop lourde pour tes bras. Ces mêmes bras qui ont tellement bercé d’enfants et qui les endormaient tous comme par magie. « C’est pas grave Sue, on n’est pas pressées, prends ton temps », que je t’ai dit. Tu m’as regardée, tellement reconnaissante, et tu as juste répondu : « Ah non? Ok, merci! »

Alors on a attendu, on a regardé les fleurs que tu trouvais si belles, qu’on voyait de la fenêtre de ta chambre, de la maison d’Adhémar Dion et on a jasé un peu. Tu m’as reconnue jusqu’à la fin, tu te remémorais des souvenirs qu’on avait partagés ensemble toi et moi, ta belle-fille. Ça me touchait de voir que j’avais une belle place dans ton cœur, même si tu ne me l’avais jamais vraiment dit avant cette longue et effrayante semaine-là. Puis, je t’ai laissée t’assoupir.

J’ai pris soin de toi pareil comme je prenais soin de mes enfants. Comme ma mère et toi m’avez appris à le faire. C’était naturel, difficile, perturbant, triste et beau à la fois. Tu n’as plus jamais remangé suite à ce fameux spaghetti.

C’était une dure et longue journée dans notre vie de fou. De savoir que tu ne verrais jamais ce bébé qui grandissait dans moi, que tu manquerais toutes les futures « premières » de nos enfants; ça faisait mal. Je suis restée avec toi jusqu’à l’heure du souper. C’est tard ce soir-là que tu es partie rejoindre ton homme, en haut sur son nuage. Avec mon amour, ton fils, ton bébé à tes côtés, pendant qu’il bûchait sur son travail de fin session. Malgré toute ta volonté, tu es partie. En laissant un grand vide autour de toi.

Je te reparle de ces moments-là, parce que moi aussi, comme toi, j’ai deux garçons et une fille. Comme toi, je serai une belle-mère un jour. Pis tu sais quoi? Je réalise que moi aussi je suis obstinée et chialeuse. Moi aussi je ferais tout pour mes enfants, comme tu le faisais. Moi aussi, j’ai l’air bête des fois. Alors, moi aussi, je ferai sûrement rager mes futures belles-filles et/ou futurs gendres. Mais si un jour je vis avec eux des moments comme ceux que nous avons partagés, je me dirai que j’aurai réussi. Que comme toi, j’aurai été une bonne belle-mère ! Tant pis si je les fais sacrer, ça leur fera plus d’anecdotes à raconter!

T’as été une maman en or, une mamie exceptionnelle et une belle-mère chialeuse admirable.

Tout ça pour te dire que ce jour-là, en me laissant prendre soin de toi, j’ai compris que souvent, une belle-maman, ça aime autant qu’une maman. Et que je n’oublierai jamais la tendresse de ce difficile moment.



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