Promets-toi de t’aimer en premier… Texte : Sophie Barnabé

Ma fille, t’as l’droit d’avoir peur quand t’écoutes les nouvelles… parce que c’est vrai que c’est souvent épeurant. On frissonne chaque fois qu’on entend des mots définissant trop de maux qui n’ont malheureusement rien de nouveau. Les mots marquants prononcés trop souvent : abus, violence, féminicide… Des amours qui ont mal viré, des souffrances jamais avouées, une détresse insoupçonnée. J’aimerais savoir exactement quoi t’dire pour t’éviter de tomber dans les bras d’un homme qui aime mal. J’me sens parfois dépassée et maladroite pour t’en jaser… Je remercie le ciel. Ça ne m’est jamais arrivé.

J’imagine que pour en arriver là, c’est souvent sournois… Tranquillement, il y a des rires jaunes, des petites insultes ici et là, puis un « pardonne-moi »… Du mépris écrasant, des cris à 2 pouces du nez, une main trop serrée sur un bras menacé, puis un « je t’aime tellement ». T’sais ma fille, l’amour qui t’rabaisse, l’amour qui t’fait mal, l’amour qui te draine, l’amour qui t’culpabilise, c’est pas d’l’amour ça, ma fille. J’te jure, c’est pas ça l’amour.

On manque de doigts pour compter les féminicides des quatre derniers mois. Dix, crisse ! Le même nombre qu’on compte normalement trop de fois en une année. Ça me serre en dedans en pensant à tout ce qui peut se passer derrière les portes closes et qu’on n’entend pas aux nouvelles.

Mais quand on aime, c’est tellement fort ! Quand il décide qu’il t’emprisonne, il est tellement fort… On te sensibilise, on te crie tes droits, mais au-delà des paroles, on l’sait toutes que l’amour enivre, l’amour rend aveugle. J’ai envie de t’dire : « Ouvre les yeux avant qu’ils n’aient le réflexe de se fermer devant le poing que tu penseras mérité ».

Je regarde ce qui te valorise, les modèles que tu admires, ce qui te fait rire, les rêves auxquels tu aspires… Entre ma coolitude et ma bienveillance, je ne sais parfois plus quoi penser. Entre ce qu’on te dit et ce qu’on te montre, il y a un monde… J’ai peur que la pression sociale et les messages que ta génération t’envoie t’aspirent comme une vague de fond. Quand on parle d’amour, de couple et de respect, c’est censé être beau, c’est censé te gonfler le cœur et te décrocher un sourire. Pourtant, on te dit quelque chose, mais on t’en présente une autre. J’te comprendrais si t’étais mélangée…

T’es de cette génération où les meilleures danseuses sur TikTok sont celles qui se penchent par en avant, les fesses dans les airs et qui zignent comme le fait ton chien. Quand ce sont elles, tu trouves ça bien, mais quand c’est ton chien, tu interviens. T’es de cette génération où le bestial semble normal et où la pudeur est synonyme d’ennui. Rappelle-toi qu’une relation saine est consentante. Ma fille, promets-toi de dire non quand t’as envie de te fermer les yeux parce que ce que tu fais juste pour lui plaire ne te rend pas fière…

T’es de cette génération qui envoie des photos explicites à des gars qui les montrent allègrement à leurs chums qui s’excitent. Comme si la notion d’intimité s’était évaporée. C’est pourtant tellement beau cette complicité… T’es de cette génération exposée à tant de vulgarités qu’elles en deviennent des banalités. Ces « c’est pas grave » et ces « y’a rien là » imprégnés comme l’encre d’un tatouage dans ton cerveau se traduiront comment dans ta maison une fois la porte fermée ? Rappelle-toi qu’une relation saine est riche de moments complices. Ma fille, promets-toi de ne pas tout partager ce qui est normalement réservé à l’amoureuse intimité !

Tu es de cette génération qui absorbe des infos et des images à la chaîne, sans rien remettre en question. Ta vie défile à vitesse grand V, un rythme qui t’empêche de te déposer. Tu suis la parade parce qu’elle te dicte ce que tu crois être la normalité. T’as beau te faire répéter combien l’amour c’est fort, combien les caresses sont douces, combien le respect est primordial, mais j’avoue que quand tu m’entends rire avec mes copines en disant qu’on rêve toutes d’un Christian Grey, ça s’peut que, faute de discernement, tu penses que c’est le modèle de relation convoité… Mea Culpa… Rappelle-toi qu’une relation saine est stimulante. Jamais contrôlante. Ma fille, promets-toi de te questionner quand tu sentiras ta liberté emprisonnée !

Tu es de cette génération pour qui l’image parfaite est plus importante que la souffrance que tu pourrais garder secrète. Quand je regarde les réseaux sociaux, tout le monde y met de belles photos… Y’a pas une femme qui s’affichera avec des doigts tracés sur ses bras. La fille qui s’est fait crier qu’elle était une ostie d’conne ou une salope par son chum n’en parlera pas sur le bord d’la machine à café. Elle passera pourtant ses moments de silence à se demander ce qu’elle a fait pour le provoquer… Ma fille, promets-toi de te confier quand t’auras envie de mentir pour embellir ta vie par peur que ça empire.

Ma fille, t’es à l’âge où tu rêves d’avoir un chum comme si sans ça, t’étais rien… T’es à l’âge où t’es prête à tout pour te faire aimer, où t’es prête à tout pour ne pas être rejetée… T’es à l’âge où tu passes des heures devant le miroir pour plaire plus aux autres qu’à toi… Rappelle-toi qu’une relation saine, ma fille, ça part de l’amour que tu as en premier pour toi.

Sophie Barnabé



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