L’odeur des draps du lit des invités, fraîchement lavés. Ils avaient
L’odeur des draps du lit des invités, fraîchement lavés. Ils avaient séché sur sa corde à linge. Ils sentaient sa peau, sa maison, son amour. Ma grand-maman Noëlla. Un être d’une bonté infinie, d’une générosité grande comme la terre. Une femme de tête, de cœur, comme plusieurs femmes de notre beau coin de pays.
Ma mémoire ne se souvient pas, mais les photos en témoignent. J’habitais le logement juste au‑dessus du sien. Elle me cajolait, me chatouillait, me faisait rire. Je descendais chercher mon concombre à son jardin tous les matins. Je l’attendais sur le bord de la petite clôture pour qu’elle me donne mon légume favori. Je grandissais à ses côtés, dans ses bras aimants. Mon destin toujours près du sien. Quelques déménagements n’ont pas altéré le lien qui nous unissait. Au primaire, je me revois aller dîner chez elle. La vinaigrette qui a toujours le même goût, les biscuits gaufrettes au chocolat, à la fraise et à la vanille. Ceux qui finissent par ramollir, oui ceux-là , comme ceux de toutes les grands-mamans.
Les soupers de Noël, les dîners du jour de l’An, dans sa maison, on jouait à des jeux en famille. C’était le bonheur. Avec ma douce grand-maman, je partageais des moments d’éternité. Elle m’a appris à jouer au Scrabble, au Boggle, sans oublier le Rummy. Une femme vive d’esprit qui, malgré une scolarité limitée, avait plusieurs connaissances. Elle m’impressionnait toujours.
L’hiver, j’avais toujours des mitaines tricotées par ses mains habiles. Les mitaines avec un motif de losange. Ma sœur en portait des identiques, mais d’une autre couleur… Comme plusieurs enfants de ma génération, je me souviendrai toujours des fins de soirée à me rouler dans les manteaux de fourrure de toute la parenté, déposés sur son lit. Sa chambre où j’entrais toujours à pas de souris, un lieu sacré où ses colliers et son unique bracelet de valeur trônaient sur sa commode. Tout dans cette maison respirait la paix, la santé, la joie et la simplicité. Sa machine à coudre a toujours piqué ma curiosité, un bout de tissus en permanence dans l’attente de son talent. Combien de couvertures, de catalognes avions‑nous à la maison ? Un héritage qui n’a pas de prix, seulement celui du cœur.
Les piqueniques familiaux, au bord du lac, avec la glacière en métal avec le typique motif carreauté de cette époque, les sandwichs avec de la mayonnaise, des tomates tranchées. Tout cela avait un goût, le sien, reconnaissable entre tous.
Je la revois arriver, avec son foulard orangé sur la tête (son fichu comme elle l’appelait), noué sous le menton, bien en selle sur sa bicyclette, arborant un magnifique panier de plastique fixé sur le devant. Elle n’était plus toute jeune, mais se gardait active. Mon grand‑papa restait à la maison, mais elle se donnait le droit de venir nous visiter. Parfois, même, elle revêtait son maillot de bain pour faire trempette avec nous dans notre piscine.
Grand-maman Noëlla n’oubliait jamais de nous apporter des framboises, tout juste cueillies. Je me revois, la serrant très fort, mes bras essayant de faire le tour de sa taille potelée, avec ses gros bourrelets d’amour. Ceux que j’aimais tant : les siens. Si rassurants, si parfaits. Votre grand-maman avait-elle un rire particulier ? Celui qui résonne encore à vos oreilles ? Elle pouffait de rire et pleurait souvent aux larmes tellement elle riait !
Ses appels téléphoniques quotidiens avaient le don de me taper sur les nerfs ! Elle devait absolument dire à ma mère que le bœuf haché était en spécial au Métro ou que la belle‑sœur de Gérard était décédée. Chaque journée de la semaine était synonyme d’une action bien précise. Le samedi à 16 h, elle chantait à la messe. Le dimanche matin, elle s’y rendait encore, à pied. Le lundi, c’était jour de lavage, chez Noëlla. Et il y avait la journée des bigoudis et du casque de plastique pour protéger sa coiffure… Les journées s’écoulaient au rythme d’une routine sécurisante.
J’étais à l’aube de l’âge adulte lorsqu’elle m’a donné un petit ensemble pour mon futur nourrisson. Celui qui comprend un bonnet minuscule, un chandail et des chaussons. Il était vert menthe, tricoté avec une laine fine, soyeuse, douce. Préparé par elle, pour moi. Son amour était infini.
Vers la fin de sa vie, habitant dans une résidence, le dos courbé, une maladie du sang l’empêchant de bien fonctionner, elle courait dans les corridors, perdue, confuse. Arrivée à la fin de la route. Le parcours d’une femme simple, ordinaire, naturelle, battante, forte. Ma grand-maman Noëlla. Je l’aimerai toujours…
Solène Dussault