La vie de parents d’un enfant anxieux est faite de beaucoup de pau
La vie de parents d’un enfant anxieux est faite de beaucoup de pauses. Oui, oui : des millions de pauses ! Pas qu’on a plus de temps pour relaxer que les autres parents. Mais chaque fois que le service de garde, l’école, le camp de jour, la petite gardienne appellent, on entend : « PAUSE ! On arrête tout ! Vous devez venir chercher votre fille, elle est verte, a la nausée, mal au ventre, est étourdie, ne sent plus ses pieds. »
Bien sûr, devant la menace du vomissement tant redouté ou de l’évanouissement, j’accours ! C’est mon rôle de parent, n’est‑ce pas, de protéger mon enfant (et les autres de l’école en cas de gastro en devenir) ? C’est normal, hein, de quitter mon travail en trombe pour aller chercher mon enfant malade ? Ça fait partie de la définition de tâches de tout parent qui se respecte. Ma mère l’a fait pour moi (bon, j’avais la moitié du visage en sang et je vomissais partout…), je le fais pour mes enfants, ils le feront pour les leurs s’ils en ont. On s’entend, c’est juste normal.
Mais le bogue de l’histoire apparaît quand les maux de ventre, de cœur, etc. reviennent chaque semaine, parfois plusieurs fois par semaine. Quand ils se pointent le nez après ou avant une situation stressante (qui peut varier d’un exposé oral à un examen mal étudié jusqu’à l’idée de voir des gens ou de devoir prendre l’autobus), un petit drapeau rouge se profile à l’horizon.
Rapidement, l’équation s’est faite dans mon esprit. Une fois que la santé physique de mon enfant eut été vérifiée (bedon souple, bonne alimentation, aucun manque de nutriment), j’ai su que c’était le côté émotif qui était touché. Sans pointer du doigt une anxiété généralisée dès ce moment, je savais quand même que la gestion du stress était déficiente. Mais comment sécuriser mon enfant (alors que je pensais déjà le faire) et détecter les « vrais » et les « faux » maux de ventre ? Évidemment, les « faux » sont tout aussi vrais que les vrais, mais leur cause ne met pas en danger ma fille ni la santé communautaire. Ils sont un signe qu’on doit gérer une cause plus subtile qu’un morceau de kiwi mal digéré ou qu’un virus.
Une travailleuse sociale avait établi un plan d’action avec l’école. Quand ma fille demandait à partir à cause des mêmes symptômes typiques, la secrétaire devait la garder pendant vingt minutes dans un endroit tranquille, lui proposer de boire de l’eau, de parler avec un intervenant, de se reposer, de faire ses exercices de respiration. La secrétaire pouvait m’appeler pour m’avertir, mais on devait tous donner du temps à ma fille. Il fallait casser le pattern :
L’apprentissage a été souffrant autant pour ma fille qui se sentait délaissée que pour moi qui m’inquiétais (et si cette fois‑ci, c’était un vrai bobo ?), qui me sentais mauvaise mère (qu’est-ce que le personnel de l’école va dire ?), qui avais l’impression que ses agissements étaient ma faute (j’aurais dû dire non bien avant !)
Toutefois, le plan d’action a donné des résultats positifs. Les appels sont passés d’un par semaine à un par mois. Ils ont continué à se faire de plus en plus rares, permettant à ma fille de reprendre confiance en sa propre capacité de gérer son stress, à l’école d’élaborer des stratégies aidantes et à moi de passer un temps plus normal au travail (physiquement et mentalement).
Par bout, ça revient, ça repart. Tout changement apporte son lot de stress. Chaque minute de la vie de ma fille est une source potentielle d’anxiété multipliée par mille. Chaque stress est aussi une occasion d’apprentissage (ça, c’est l’optimiste en moi qui le dit).
Mais quand je dois tout mettre sur pause, tout arrêter, quitter ce que je faisais et les personnes avec qui j’étais pour voler au secours de mon adolescente de presque quinze ans alors que je sais très, très bien que c’est son stress qui s’exprime, une petite partie de moi est fâchée et inquiète. Je voudrais qu’elle apprenne plus vite à naviguer à travers ses émotions, surtout que les mêmes reviennent souvent ! Je me demande si un jour (mettons, avant ses cinquante ans), elle y arrivera. Je me demande ce qu’elle fera quand elle n’habitera plus chez moi. Je me demande si je fais le mauvais choix en allant la chercher, et si je ferais le mauvais choix si je n’y allais pas. Il n’y a pas de bonne réponse, apparemment.
Dans ce temps‑là, j’applique la stratégie de la travailleuse sociale : je me mets en time‑out pendant vingt minutes, je respire, je bois de l’eau, j’essaie de voir quelles sont mes sources de stress dans cette situation, et je dédramatise. Ben oui, elle apprend de tout ça, et moi aussi. Ben oui, elle pourra gérer son stress quand elle partira de la maison, sinon, elle partira un peu plus tard. Et ben oui, je fais les meilleurs choix parentaux que je peux faire, avec ce que je suis, avec ce qu’elle est.
Nathalie Courcy