La promesse

J’aimerais vous dire que cette histoire est une histoire. Mais non. C’est mon histoire vraie. 

 

Tu fais quoi quand le désespoir te frappe et que tu réalises que même avec un enfant d’à peine un mois, son comportement ne changera pas et que tu sors en catastrophe de la maison avec ton enfant contre toi, te retrouvant dans la rue à marcher de long en large, le corps et la tête en panique parce que tu réalises que tu veux fuir, mais qu’à force de céder à l’abus financier, tu es sans le sou, que tu n’as plus de travail, pas de voiture, que tu es isolée et complètement coupée du monde extérieur et que tu gardes en secret la réalité dans laquelle tu vis bien enfouie au fond de toi et que tu t’es habituée à rester dans le silence…

Eh bien, tu commences par regarder cette enfant qui vient de naître et tu constates toute la vulnérabilité de ce petit être complètement à la merci de son monde extérieur. Tu en fais ton levier, tu te rappelles ce privilège et tu prends l’engagement : «Jamais tu ne vivras ce que j’ai vécu. Tant que je serai ta mère, jamais je ne te laisserai vivre dans la violence. Je te promets de tout mon être de t’offrir un milieu sain et sécuritaire dans lequel tu pourras t’épanouir et apprendre à briller de tous tes feux.»  Tu ne sais pas comment faire, mais tu lui promets et tu ne perds pas de vue cette promesse…

Mais tu fais quoi quand, malgré la promesse, graduellement, insidieusement, le sentiment d’impuissance prend toute la place à cause de ses manipulations perverses, de son harcèlement en continu, de ses «Crisse de pas bonne» quotidiens et de ses menaces de «Crisse ton camp et je te fais la peau»… et tout ce que tu sembles savoir faire est de garder le silence parce que tu sais que c’est la seule façon de contrôler les crises, et que tu t’étends sur le lit et le laisses faire ce qu’il a à faire… Quand ton estime part en fumée, mais qu’heureusement, après ces sacrifices de toi-même vient un moment de répit… alors tu t’en sers et tu te souviens de la promesse que tu as faite à cette enfant. Tu choisis donc de faire un petit «grand» pas…

Tu commences à en parler… Mais pas à n’importe qui, tu veux te protéger et tu veux agir avec délicatesse. Tu en parles donc spontanément à l’infirmière du CLSC qui est venue te rendre visite un lendemain de crise. Tu craques, tu baisses les armes et la peur dans les yeux, tu lui dis : «J’ai besoin d’aide.»

Avec courage, tu suis les directions qui te sont proposées, mais le cœur serré parce que la DPJ intervient et tu as peur de perdre ton enfant. Tu es déstabilisée et tu n’es pas convaincue à cause du lavage de cerveau que tu as reçu pendant des années qui t’a fait normaliser la violence et t’a coupée de ton senti. Tu collabores quand même, alors tu sors de la maison avec ton bébé naissant, tu écoutes les intervenants t’éduquer sur la violence conjugale, tu vas aux rencontres hebdomadaires qui te sont imposées et, malgré ces efforts, il réussit avec son charisme légendaire à te convaincre et à te faire entendre ses promesses à travers ses menaces que tu n’entends plus. Tu retournes à la maison parce que cette fois-ci, tu as une impression d’être en pleine possession de tes moyens et tu te crois capable de transformer tout cela en un portrait de famille harmonieux. Tu as l’impression de remplir ta promesse…

Mais tu fais quoi quand tu réalises que ses promesses à lui n’étaient qu’un feu de paille et que tu réalises que rien n’a changé à part son comportement qui est devenu de plus en plus insidieux, jusqu’à te faire douter de ta santé mentale, et que tu fais le constat amer que tu n’es plus que l’ombre de toi-même… Quand tu te tapes dessus, tu as honte, tu veux te cacher, tu vois ton existence s’effriter et tu veux disparaître, mais tu entends ton enfant pleurer au loin et tu te souviens de ta promesse…

Alors tu choisis la vie, sauf que maintenant, tu te sens mourir et tu as peur de mourir en quittant cette relation. Mourir en dedans, mourir en dehors… Eh bien, tu te dis que tant qu’à mourir, aussi bien tenter ta chance de partir. Alors tu décides, intérieurement, secrètement, de quitter coûte que coûte cette relation. Tu tiens à remplir cette promesse, tu te prépares et tu uses de stratagèmes.

Sauf que dans ce nouveau choix, tu es confuse; la peur est omniprésente, c’est le néant total, tu te sens épuisée et impuissante, mais tu es responsable de cette enfant. C’est donc non négociable, tu te rappelles ta promesse.

Alors, sans trop savoir comment, tu cesses de te battre, tu te regardes en pleine face et tu acceptes le constat de ta vie. Tu entreprends donc le plus grand voyage que tu aies connu : tu sautes dans ce vide en toi et tu réalises tout ce manque d’amour présent en toi, pour toi. Tu rencontres tes regrets, tes déceptions, tes culpabilités. Tu pleures, tu piques tes crises, ça fait mal, mais au moins, tu t’entends et ça, ça te fait le plus grand bien.

Petit à petit, cet espace se comble avec l’amour que tu commences à te donner. Un sentiment de confiance s’installe et tu arrives à choisir la foi au-delà du doute qui persiste. Tu continues à plonger en toi, à écouter et considérer ce que tu ressens en toi, et tu commences à agir en fonction de ce qui se passe en toi uniquement. Tu apprends, discrètement, à prendre soin de toi. Tu décides enfin de te montrer loyale envers ce qui est important pour toi et graduellement, tu agis en conséquence et la vie te montre le chemin, fluidement, jusqu’au jour «J».

Ce jour-là, à force de te choisir et sans rien forcer, le courage arrive et tu lui annonces que tu pars. Tu ne le quittes pas, tu pars parce que tu te choisis et tu sens que c’est ce que tu as à faire. Mais ça, lui, il ne le comprend pas. Ses réponses donnent froid dans le dos et son comportement te foudroie et te traumatise, mais tu gardes le focus parce que maintenant, tu sais qu’en maintenant le cap sur ce qui se passe en toi, l’erreur est impossible. Parce que tu t’es rapprochée de ton senti, tu es capable de ressentir l’épée de Damoclès au-dessus de ta tête qui ne permet aucune «erreur émotionnelle» et tu ressens le danger. Alors tu agis en conséquence.

Tu tends donc la main pour que l’on t’aide. L’artillerie au complet se présente : policiers, intervenants, DPJ, travailleuses sociales, avocat, maison d’hébergement, CAVAC, IVAC, psychologue, psychiatre, inconnues, amis et nouveaux amis, tout se fait intensément, rapidement, mais fluidement, avec une synchronicité déconcertante. Tu t’es choisie, tu apprends donc que lorsque l’on se choisit, la vie répond à ton appel.  

Deux ans après ta séparation, après t’être retrouvée dans la rue avec ta fille, ton chien et quelques bagages, sans travail et en état de stress post-traumatique, tu fais les merveilleux constats que ce chemin à travers la violence t’a apportés comme apprentissage : tu as appris que tu as aussi droit au bonheur, que tu as le droit de réaliser tes rêves et que c’est possible. Tu as maintenant en toi une foi si grande que le Tout Possible est à ta porte, attendant que tu lui demandes tout ce que tu veux…

Tu touches maintenant à ta liberté d’être et ça, personne ne pourra te l’enlever parce que tu as découvert l’antidote à la violence : l’amour de soi. Plus jamais tu ne te soumettras ou ne te rendras victime de la violence, parce que par amour pour toi, tu sauras prendre soin de toi et faire les choix appropriés. Dans un contexte que tu croyais hermétique à l’amour et où tu te croyais indigne d’être aimée, eh bien, l’amour a toujours été présent et il a réussi à percer les murs de la peur et du doute comme le soleil qui brille derrière les nuages et qui finit toujours par réapparaitre. Mais t’en souviens-tu maintenant? Regarde ta fille et vois : tu as tenu promesse…

B<3

 



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