À ma jeune moi — Texte : Ghislaine Bernard
Pourquoi tu pleures ? En fait, pourquoi ne pleurerais-tu pas ? Tu es une enfant, les enfants, ça vit leurs sentiments spontanément. Pourquoi pas toi ? Tu sais, les grands aussi ça pleure. Beaucoup plus que tu ne le crois. Les larmes, c’est comme la pluie dans la nature, ça nettoie. Tu te rappelles ce gros chaudron que ta maman avait qui avait un bouchon qui vibrait et sifflait en laissant échapper la vapeur pour pas que ça explose ? Eh bien, pleurer c’est la même chose, c’est le bouchon qui laisse passer le trop-plein ; tes paupières laissent passer ton trop-plein à toi pour pas que tu exploses par en dedans. Oh ne t’inquiète pas : tu n’exploseras pas pour vrai ! Au lieu de ça, tu vas voir, ton cœur va aller plus vite, tu vas avoir mal au ventre, à la tête et tu auras peut-être envie d’être en colère pour des petits détails. Ton explosion, ça va être de ne plus avoir envie de rire ni de sourire. Ne plus jouer avec tes jouets. Te priver des plaisirs que tu aimes vraiment.
Je sais bien que parfois, les grands ils comprennent pas qu’un détail peut te faire de la peine. Ils te disent souvent « Y’a rien là  ». Ta maman, elle entend souvent sans écouter ce dont tu voudrais lui parler, alors tu te tais de plus en plus. Tu deviens moins bruyante, plus agressive lorsque tu joues au ballon. Même si pour toi, tes peines sont énormes, tu te fais dire qu’il y a pire. Puis, tu écoutes ses histoires qui effectivement sont bien pires que d’avoir brisé un jouet, que ton amie te boude ou que ce garçon qui te plaît ne s’intéresse pas à toi. Il y a effectivement pire que les moqueries qu’on te dit à l’école et dans le parc. Mais je t’en prie, il faut que tu saches que tes peines, elles existent pour vrai dans ton cœur à toi. Puisqu’elles existent, elles sont aussi importantes que la faim dans le monde !
D’ailleurs c’est justement un de tes besoins ça, hein ? Ta faim et ta soif. Tu es avide que ta maman te regarde, te félicite, soit fière de toi et te le dise… qu’elle ne prenne que deux secondes pour te dire qu’elle t’aime. Tu as toujours voulu lui montrer que tu étais là , que tu étais importante. Mais c’est pas à toi de lui prouver, tu sais. C’est à elle de s’en apercevoir. Elle le fait pas, alors tu as envie de pleurer. Alors pleure. Surtout, n’aie pas honte, sois pas gênée de pleurer. Tu laves tes yeux qui ont vu des choses qui t’ont fait de la peine.
Puis, l’amoureux de ta maman, ben il fait de son mieux. Il t’aime comme sa propre fille, mais c’est pas pareil comme l’amour que tu aurais voulu avoir de ton vrai papa. Cet amour te manque, même si tu refuses de même te l’avouer à toi-même.
J’aurais voulu être là pour te prendre dans mes bras, comme je prends mes enfants aujourd’hui. Pour leurs petites et grosses peines. T’aider à comprendre la douleur qui pince ton cœur quand tu vois qu’à toi, certains ne s’intéressent pas. Alors tu crois que tu en vaux pas la peine, tu fonctionnes comme une automate. Tu grandis. Quand tu étais plus jeune, tu arrivais à faire semblant que ça te touchait pas, tu t’occupais et tu te disais que tôt ou tard, ça marcherait. Mais au fil du temps, tes émotions grandissent autant que ton corps.
Tu as bien vu les regards changer quand ils glissent sur toi. Tu as aimé cette nouvelle attention que ça t’a procurée. Même si au fond de toi, tu sais bien que certains sont malsains. Tu as accepté des caresses en te disant que c’est tout ce à quoi tu avais droit. Que c’est tout ce que tu méritais. Tu as souri, tu en as redemandé, tu les as eues. Mais en même temps, la colère grondait en toi. La haine prenait la place que l’absence d’amour avait laissée vide. Ce dédain de l’humain, mais surtout de toi-même. Tu as vu des choses que certaines personnes pensent que ça existe juste dans les films. Tu as subi, non pas le pire dans le monde, mais le pire dans TON monde. Dans TA bulle. Mais tu as toujours nié la souffrance qui pesait toujours plus lourd en toi.
Au fil des ans, tu as cumulé ces souffrances à oublier qu’elles existent. Comme l’hiver lorsque tes doigts gèlent au froid… vient un moment où, dépassant l’engourdissement, tu ne les sens plus. Les peines, les colères, les douleurs ont continué à te marteler, mais tu ne les sentais juste plus. Tu t’es dit que si au minimum, tu pouvais aider d’autres personnes à ne pas devenir comme toi, peut-être que ça t’apporterait une satisfaction. Un sentiment d’avoir une raison d’être là … d’avoir survécu. Alors depuis ce moment fatidique où tu as retiré le couteau de ta chair, tu t’es donnée à fond pour y arriver. Tu t’es trompée bien des fois depuis.
Tu sais, si je pouvais aller te parler cette journée-là où tu refusais de jouer avec ta poupée parce que tu avais pleuré, je ne sais pas réellement ce que je te dirais. Pour être franche, j’aurais peur. J’aurais peur d’intervenir, car ça t’a bâtie. Je ne sais pas ce que tu serais, qui tu serais aujourd’hui si j’avais pu t’aider à vivre tes émotions. Aujourd’hui, à fleur de peau, fatiguée, épuisée d’avoir tant combattu des démons en chair et en sang que ceux de tes souvenirs… que ceux que tu aurais pu éviter, ou qui t’auraient pas approchée si j’avais pu intervenir. Est-ce que tu serais celle que tu es aujourd’hui ? Est-ce que tu saurais aimer de toute ton âme et te battre pour eux ? Est-ce que tu serais cette maman que tu es ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Nous ne le saurons jamais, car même si aujourd’hui tu es saturée et déboussolée, tes « je t’aime » n’ont jamais été aussi profonds et sincères. Ceux que tu reçois valent tous tes combats… mille fois !
Je pense que la seule chose que j’aurais changée, c’est que je t’aurais prise cœur contre cœur, pour qu’ils battent à l’unisson. Je t’aurais dit de pleurer, car parfois, je t’assure, sans te changer, ces pleurs t’auraient quelque peu soulagée. La lourdeur en toi serait moindre. Mais encore là … qui sait ?
Je crois que la vie nous envoie les obstacles selon ce que l’ont peut combattre. Mais il est certain que gravir une montagne rocheuse est toujours plus facile bien chaussé. Alors, je t’aurais assurément aidée à apprendre à faire des boucles bien solides, pour avoir les pieds bien ancrés.
Simplement Ghislaine