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« Vous êtes une bonne maman! », qu’on me disait parfois quand j’allais au parc ou au restaurant avec mon enfant. Je répondais alors gentiment « Merci », avec un sourire rempli de fierté, parce que je me trouvais bonne aussi. Je n’avais d’yeux que pour mon bébé, mon premier. Je découvrais l’instinct maternel, aussi fascinant que puissant. Quand je parlais à ma fille, chaque mot contenait une telle tendresse, un débordement d’amour. J’étais certes fatiguée, mais comblée par ce petit être qui venait, quelques mois auparavant, quelques années à peine, d’arriver dans ma vie. J’étais pleine d’énergie, débordante d’un bonheur nouveau et inespéré. Je me sentais pleinement compétente et à la hauteur, j’étais fière d’être la maman que j’étais.
Quand je croisais des mamans impatientes, dépassées, surmenées, je ne comprenais pas. Je ne pouvais pas comprendre. Je les jugeais et je me lançais des fleurs en me disant que moi, je l’avais donc l’affaire. Je regardais mon enfant, fière de lui offrir mieux, et j’étais triste pour ces petits qui se retrouvaient coincés dans l’impatience d’une maman de moindre qualité, qui criait pour un rien, qui ne jouait pas au parc, qui finissait par écouter son enfant au bout d’une dizaine de « Écoute-moi maman! »
Les années ont passé, d’autres enfants sont venus, les petits ont grandi. Les congés de maternité se sont prolongés, les « Mamans! » ont débordé, les crises et les disputes se sont multipliées, le bruit s’est intensifié, les mauvaises nuits et les mauvaises journées se sont succédé. Les cernes ont grossi sous mes yeux, de nouvelles rides sont apparues, quelques cheveux gris également et avec eux, les moments de solitude ont disparu.
Un jour, j’ai réalisé que j’étais devenue cette mère que je trouvais si mauvaise. J’étais celle qui, fatiguée et impatiente, criait après ses enfants pour se faire entendre. Celle qui, lors d’une sortie au cinéma avec ses petits, avait du mal à sourire parce que ce jour-là, c’était une mauvaise journée, une de plus. J’étais devenue cette maman à la tolérance malmenée parce qu’usée par toutes les heures de sommeil en retard, les chicanes à gérer, les comportements à analyser et les tâches à accomplir.
Ce jour-là, j’ai pleuré. J’ai pleuré parce que je refusais d’être cette maman-là. Moi, j’étais pourtant une bonne maman : tendre, aimante, qui trouvait les bons mots, qui savait réagir simplement par instinct. J’ai pleuré parce que je connaissais pourtant mes enfants par cœur et je savais faire toutes sortes de folies pour les faire rigoler, pour désamorcer. J’avais été la maman que j’admirais et je ne voulais pas être l’autre; celle qui se met en colère pour un rien, qui a du mal à écouter les histoires remplies d’imagination de ses enfants parce qu’elle a la tête saturée et qu’elle voudrait juste cinq minutes pour ne penser à rien.
Soudain, j’ai repensé à cette mère impatiente du parc et je l’ai vue d’une tout autre façon. Bien qu’épuisée de tout donner à ses enfants, je sais maintenant qu’elle était remplie d’un amour inexprimable et inébranlable pour eux. Cette maman était usée par les années, par le manque de sommeil, le manque de solitude et peut-être même par le manque de soutien. Ce jour-là, elle serait volontiers restée à la maison, mais elle était au parc parce qu’elle savait que cela rendrait ses petits heureux. Puis, je me suis rappelé ce moment où elle était accourue à une vitesse folle vers son enfant lorsqu’il avait failli tomber en courant, poussée par l’inquiétude et la culpabilité à l’idée qu’il ait pu se blesser avant qu’elle ne puisse intervenir.
Je sais maintenant qu’une fois de retour à la maison après la sortie au parc, cette maman avait préparé un dîner au goût de ses enfants, pour leur faire plaisir. Elle avait mis plus de fromage dans l’assiette de son garçon parce qu’elle savait que cela le ferait sourire. Elle s’était assurée de choisir les plus petites carottes pour sa fille puisque c’est comme ça qu’elle les aimait. Et bien sûr, elle avait versé leur lait dans leurs verres préférés. Quand ses plus jeunes s’étaient couchés pour la sieste, elle avait laissé de côté ses tâches quelques instants pour jouer un peu avec sa grande qui, depuis quelque temps, avait un grand besoin de son attention.
Quand son fils était redescendu, elle l’avait bercé, parce qu’elle savait comme il avait du mal à se réveiller. Puis, la sieste de son bébé s’était terminée. Elle était allée le chercher, en souriant tendrement. Le calme était resté jusqu’à la prochaine dispute, jusqu’à la crise suivante, jusqu’à l’incontournable avalanche de demandes. L’impatience était alors revenue rapidement, les cris probablement aussi. Cette tension de plus l’avait laissée de mauvaise humeur. Tout le reste de la journée, elle n’avait pas pu sourire, elle n’avait pas pu être douce et attentionnée. Il y en avait juste eu trop… trop souvent.
Comment vous dire, mes enfants, que maman est fatiguée, que ma tête et mon corps sont usés, mais que je vous aime un peu plus chaque jour?
Eva Staire