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L’intruse

Je suis femme, donc je sais qu’une boule qui apparaît dans un sei

Je suis femme, donc je sais qu’une boule qui apparaît dans un sein, c’est un signal d’alerte. Un drapeau rouge. Pâle, mettons, jusqu’à nouvel ordre. Parce que la grande majorité de ces masses sont bénignes, de passage ou peu envahissantes.

Mais quand même. Tu te dis depuis des années que la palpation des seins, c’est pour les soirées olé olé en couple. Que tu te vois mal en train de te tripouiller les boules à la recherche d’une boule qui ne serait pas la bienvenue.

Tu finis par le faire quand même, parce que. Parce que c’est conseillé, parce qu’à un certain âge, ça se pourrait, parce que c’est rassurant de savoir que tout est beau sous le bonnet. Jusqu’à ce soir-là.

Tu barbotes sous les bulles d’un bain trop chaud (il faut ce qu’il faut après une longue journée d’automne !) Tu essaies de te convaincre de lire le roman qui t’attendra finalement à côté de la baignoire jusqu’au lendemain. Tu flattes le chat toujours en quête d’une flatouille ou d’un mot d’amour (« gros bébé poilu », c’est celui que je préfère…) Et là, tu te dis que c’est ce soir que ça se passe. Tu oses.

Tu tâtes. Tu lèves un bras, tu tâtes encore. Tu fais le tour. Tu as vu des vidéos, tu as une vague idée de la façon de faire. Tu appuies dans tous les recoins. Pas qu’un sein ait vraiment des coins… et tu trouves.

Tu mets le doigt dessus : une boule bien cachée, dissimulée sous le gras de sein que tes enfants trouvaient si confortable pendant l’allaitement ou les câlins du soir.

Tu palpes l’autre sein : tout d’un coup que ce serait fait comme ça, ces affaires-là ! Mais non. Rien. Tu as beau explorer, pas de collines dans le sein gauche. Rien de dur qui choque les doigts. Un sein comme tu l’as toujours connu. Souple. Normal. En santé.

Tu refais l’exercice. Tu déplaces ton bras dans tous les sens, baisses, lèves, à gauche, à droite. Et tu constates que la boule que tu sens dans ton sein, elle se déplace dans ton ventre, dans ta gorge. Un stress qui descend dans tes entrailles et qui te serre la voix.

Tu te souviens soudainement de l’article d’Isabelle Racicot que tu as lu sur Picoum. Tu te rappelles t’être dit qu’au moins, ce cancer-là, tu ne l’as pas dans ta génétique. Tu te souviens des femmes autour de toi qui se sont fait surprendre par la bête, et qui l’ont vaincue. Pour la plupart.

Et tu te mets en mode solution, comme tu le fais toujours. Tu t’auto-envoies un rappel pour le lendemain matin : prendre rendez-vous avec ton médecin. C’est la chose à faire. Tu évites Google, le meilleur ami des hypocondriaques. La théorie, tu la connais : consulter tôt en cas de doute.

Tu as quand même une petite peur. Et si le médecin ne la sentait pas, la fameuse bosse ? Si tu ressortais de la clinique avec l’impression d’avoir souffert d’une crise paranoïde ? Si tu te faisais accuser de chercher de l’attention ? Tu te ressaisis, tu sais que tu fais le bon choix. Tu espères que tu te déplaceras pour rien, mais ça aura valu la peine. Entre ça et stresser pendant des mois… et regretter…

Et si, au bout de la série de tests que tu passeras, le médecin disait : « Madame, c’est cancéreux… » ?

Au moins, tu le saurais. Très, très probablement, ce sera une intruse qui se sera invitée pour… rien. Elle sera enlevée ou tu vivras avec. Mais ce sera une boule qui ne fait pas mal, qui ne te rendra pas malade ni en danger. Et si ce n’est pas le cas, tu sauras. Et tu agiras.

Si tu es une femme (ou un homme ! La gent féminine n’a pas l’exclusivité de cette bibitte-là !) et que tu passes par là, je pense à toi. Je t’envoie une grosse, grosse boule d’amour.

 

Nathalie Courcy

Quand le tableau de bord s’allume

Dès ses premiers cris, un système dont tu ignorais l’existence s

Dès ses premiers cris, un système dont tu ignorais l’existence s’active en toi. Ce système est d’une puissance incomparable, tu le sens dans tout ton être et il s’appelle l’instinct parental.

Ton mini humain grandit. Que ce soit lors des premiers jours, mois ou années, il se pourrait que sur ton tableau de bord, des pitons dont tu ignorais l’existence jusqu’à présent se mettent à clignoter.

Quand une lumière allume dans le tableau de bord de ta voiture, hors de question de mettre ça entre les mains de n’importe qui. Tu vas en jaser ici et là et tu vas même avoir droit à la théorie de monsieur et madame Tout-le-Monde. Le starter, la batterie, le moteur ou encore la transmission, tout va y passer. C’est bien gentil tout ça là, sauf que tu sais qu’il n’y a rien de mieux qu’un bon mécano pour trouver le problème et le réparer.

Tu me vois venir?

Quand ton tableau de bord commence à s’énerver, peu importe à quel niveau, tu devrais faire la même démarche que pour ta voiture. Juste pas avec un mécano, ça, ça pourrait être bizarre!

Quand tu en parles, monsieur et madame Tout-le-monde qui s’improvisaient mécaniciens tantôt, s’improvisent désormais spécialistes en petite enfance :

« Ben non, c’est juste un enfant. »

« Hey, c’est un gars, un gars, ça bouge. »

« Hey, c’est une fille pis les filles sont chialeuses. »

« C’est la faute de son cousin/sa cousine/son frère/sa sœur/un voisin. »

« Vous autres de vos jours, vous appuyez sur le piton panique ben vite! »

Toutes ces réponses calment tes craintes l’espace de quelques secondes, mais elles n’éteignent aucune lumière. Pis là, ça sonne encore et c’est fatigant.

C’est tabou de dire qu’on consulte autre chose qu’un médecin en 2018, alors tu ne t’imagines pas combien c’est tabou de consulter des spécialistes pour un enfant. Tu dis que ton enfant a mal au bras depuis quelque temps, monsieur et madame Tout-le-Monde te demandent avec une pointe d’inquiétude si tu as consulté un médecin. Tu parles des difficultés de ton enfant, monsieur et madame Tout-le-Monde te regardent d’un air incertain avec le bruit de criquet en arrière-fond, en te disant que c’est dans ta tête pis que c’est juste un enfant. Pourtant, une douleur physique n’est pas plus visible qu’un trouble psychologique/neurologique/alouette.

Tu devrais tout simplement discuter avec l’éducatrice de ton enfant. Elles ont l’air de rien ces petites bêtes‑là, mais elles ont de solides skills* dans le domaine des mini-humains. Ensuite, il y a le pédiatre ou le médecin de famille qui demeurent ta porte d’entrée pour les références vers d’autres spécialistes. Même si tu as dans ton entourage des gens que tu aimes bien et qu’ils connaissent ça, les enfants, c’est toujours mieux de prendre en compte l’avis de plusieurs personnes, y compris des gens extérieurs puisqu’ils sont plus neutres face à la situation. Qu’on se le dise, l’environnement de l’enfant influe sur ses comportements. Ce qui se passe avec toi, dans son milieu de garde, chez papi et mamie, ce n’est pas la même histoire.

À travers tout ça, ce que je veux te dire aujourd’hui, c’est de faire confiance à ton tableau de bord. Personne ne connaît mieux ton enfant que toi‑même, pis si tu penses que vous avez besoin d’un petit coup de main, va chercher de l’aide. Les spécialistes ne sont pas là que pour donner des diagnostics et des pilules. Je sais, c’est ce que monsieur et madame Tout-le-Monde ont tendance à croire, mais au contraire ils sont une source inépuisable de solutions.

Pis t’sais, dans le pire des cas, tu vas juste être allée au garage pour faire une mise à jour et ça va éteindre la lumière. Toi pis ton petit, vous allez pouvoir ensuite reprendre la route en toute tranquillité d’esprit.

Skills: Expression utilisée pour désigner les forces, les compétences et le travail colossal de nos éducatrices en petite enfance. Ou terme utilisé dans le but de me sentir plus jeune et à jour dans les expressions.

 

 

Marilyne Lepage

Suivre son instinct de parent lorsque l’on croit que tout bascule

Cette histoire, je l’ai vécue. Je n’en garde, toutefois, aucun

Cette histoire, je l’ai vécue. Je n’en garde, toutefois, aucun souvenir. Aucun souvenir dans ma tête. Seule une cicatrice fait foi de son passage sur mon corps.

J’ai reçu le sacrement des malades. Celui que l’on donne lorsque l’on ignore si la personne devant nous va parvenir à passer au travers d’une grave situation. J’ai reçu ce sacrement, celui qui donne la force et le courage de supporter l’épreuve. Celui qui m’a soutenue pour poursuivre ma vie et guider les chirurgiens qui ignoraient ce qui se tramait sous leurs doigts, dans mon tout petit corps de nourrisson.

Cinq semaines auparavant, je suis née, un matin de début de printemps. Quelques jours avant le long congé de Pâques. Un matin ensoleillé de l’an 1974. Deuxième dans le rang de la fratrie, j’étais attendue par mon papa, ma maman et mon grand frère. J’avais tardé à me pointer le bout du nez. Profitant du confort utérin que ma maman m’avait offert.

Les premiers jours, j’étais un bon bébé. Une bonne toute petite. Je suivais ma courbe de croissance à la lettre. Puis… la dégringolade à la vitesse grand VV pour vomissements. V pour veiller un bébé et finir par le nourrir à la cuillère. Et finalement, V pour visites répétitives.

Mon mal s’était installé tout doucement. Petits rejets de lait. Toujours affamée, mais de moins en moins capable de garder en moi ce que ma mère m’offrait pour me nourrir. Puis des vomissements en jets. Propulsés sans aucun effort de mon petit être qui désirait pourtant boire. Plus les jours avançaient, moins j’avais de force pour combattre ce qui m’empêchait de boire.

Malgré ces instances répétitives chez les médecins, ma mère retournait toujours bredouille à la maison, avec moi comme petit poupon sous le bras. Les intolérances et les erreurs métaboliques avaient été soulevées. Les vomissements auraient pu être d’origine infectieuse ou d’ordre neurologique… Rien de précis, rien de concluant. Les médecins ne trouvant rien retournaient ma mère en la sommant de me nourrir de façon plus régulière, de ne pas se plier à mes « caprices », de changer de sorte de lait… et cela a été de mal en pis. Plus je buvais, plus je vomissais. Plus je vomissais, plus je me déshydratais. Plus je m’enfonçais et plus ma mère était à bout de ressources, plus le sentiment d’abandon s’emparait de nous deux.

Retour à la case départ… Ma mère accompagnée de ma marraine m’a amenée à l’hôpital où j’avais vu le jour. Les médecins, pour calmer la peur de ma mère, lui ont proposé de me prendre en observation et de me refaire une alimentation. J’étais totalement déshydratée et ma mère épuisée. Il ne fallut que peu de temps aux médecins pour constater qu’il y avait quelque chose qui clochait. Ma mère avait eu raison de s’inquiéter et tellement bien fait de m’y amener. J’ai donc été transférée en urgence à l’Hôpital Ste-Justine. L’endroit même où j’ai reçu le sacrement des malades me donnant du coup les forces nécessaires pour passer devant ce qui arrivait.

Mais qu’est-ce qui arrivait? Tous l’ignoraient. On devait m’ouvrir pour voir le problème. Ne sachant ce qui les attendait, les médecins ont procédé à ma libération. Mon pylore* était fermé. Ne permettant pas aux aliments de passer. D’où les vomissements explosifs.

À cette époque, la fréquence de cette malformation chez les garçons, premiers de familles étaient, était mieux connue (trois à quatre fois plus chez les garçons que chez les filles). J’étais une fille, seconde de famille. Je déjouais en quelque sorte les diagnostics de l’époque.

Le lendemain de l’intervention, ma mère a retrouvé un bébé bien joufflu. Cachant du coup les inquiétudes, l’amaigrissement, la malformation. Je suis revenue à la maison et la vie a repris son cours normal. J’ai eu une chance incroyable. Le temps qui avait passé entre les débuts des symptômes et le moment de l’intervention me laissait le moins de chances possible. J’étais à moins de vingt-quatre heures de trépasser. Trop déshydratée.

Maintenant, je mords dans la vie. J’ai toujours mené une vie normale. La seule trace, je la vois sur mon ventre, près de celle qui signifie que j’ai donné la vie par césarienne. Deux petites cicatrices qui symbolisent que la vie se côtoie sur mon bedon.

Votre nouveau-né de quelques petites semaines vous manifeste des inquiétudes de l’ordre de vomissements qui surviennent après chaque repas avec un délai plus ou moins long? Ils sont faits facilement, brusquement, en jets? Ils sont abondants, parfois plus importants que la quantité d’aliments ingérés? S’ensuivent une déshydratation et une constipation synonymes de la sous-alimentation? Malgré la perte de poids et les vomissements, le nourrisson reste affamé et vorace? Il importe de consulter. Nous ne sommes plus en 1974; les ressources sont devenues innombrables en matière de santé. L’intervention est somme toute facile et la récupération totale.

Mille mercis à toi, maman, d’avoir écouté ton instinct et d’avoir poursuivi ta quête pour me garder. Je sais que ces moments ont dû être fort inquiétants. Merci pour tout.

Mylène Groleau

*Le pylore fait partie du système digestif. Ce muscle a pour fonction de faire passer les aliments digérés par l’estomac vers le duodénum. Dans le cas présent, il y avait rétrécissement du sphincter empêchant les aliments de passer.

Je ne sais plus comment être une bonne mère

« Nerveuse » est le mot que j’utiliserais pour expliquer ce qu

« Nerveuse » est le mot que j’utiliserais pour expliquer ce que je ressens en ce moment. Je suis assise sur une chaise dans la salle d’attente de mon médecin. Je m’y suis assise tellement souvent, mais jamais avec une telle nervosité. Naturellement, il y a du retard et je sens ma nervosité atteindre le niveau maximal. Je songe même à partir ou à inventer un mal d’oreilles.

Je ne sais vraiment pas comment lui dire ce qui m’amène. J’ai peur d’être jugée, mal comprise ou encore pire, incomprise.

Je ne sais pas exactement comment tout cela est arrivé. Je ne sais pas exactement à quel moment le rire de mes enfants a commencé à me taper sur les nerfs. Pourtant, avant, il était si mélodieux à mon oreille ! Maintenant, il est comme des ongles que l’on fait grincer sur une ardoise.

Je ne sais pas non plus à quel moment je me suis mise à angoisser lors de mon retour à la maison. Mon nid familial si douillet s’est transformé en véritable maison de la torture. Mon travail est devenu mon oasis de paix, ma maison, un désert intraitable.

Mon cœur se remplissait d’amour lorsque j’entendais le mot « maman ». Maintenant, il se remplit d’agacement et de culpabilité.

Moi qui étais tellement fière d’être une maman, je veux maintenant quitter mes enfants, partir loin, pour me retrouver.

Tout ce qui se passe à la maison m’énerve. Le poids de la culpabilité me fait couler, malgré tous mes efforts pour rester à flots.

Je ne me reconnais plus. J’adorais être mère. Ma famille était ce qui comptait le plus pour moi. Maintenant, je me sens perdue, angoissée, coupable de ne plus être cette mère.

J’étouffe sous cette culpabilité chaque fois que je m’impatiente (maintenant beaucoup trop souvent). Je crie, j’exige.

La nuit, je pleure. Je suis devenue une maman monstre. Une maman que mes enfants ne reconnaissent plus. Une maman qu’ils en sont venus à craindre.

J’entends mon nom. C’est mon tour. Je panique. Je m’assois face à mon médecin. Dans un souffle rempli de culpabilité et de crainte, je lui dis :

« Aide‑moi, je ne sais plus comment être une bonne mère ! » Il m’écoute, sans jugement. Je me sens comprise. Avec beaucoup de compassion, il me dit :

« Tu es en burnout parental ! On va t’aider. Tu es toujours une maman merveilleuse mais fatiguée, et je ne te laisserai pas tomber. »

Un mois s’est écoulé depuis ce jour-là. Je vais mieux. Je suis une psychothérapie et je prends une médication qui m’aide. Je me retrouve. Je redeviens cette mère que j’aimais tant être.

Ce jour-là, le jour où j’ai décidé de consulter, a été le premier pas sur le chemin de la construction. Eva Staire

 

Toi, ce héros qui donne la vie

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Tu approches à mon chevet, le regard encore un peu endormi. Les marques de ton oreiller sur ta joue trahissent ton réveil hâtif. Pourtant, tu es souriant et alerte.
Tu poses ta main sur mon épaule :
– Alors… c’est pour ce soir?
Il est 2 heures du matin. Les contractions se sont rapprochées, puis tout ce liquide est sorti de moi et la douleur a envahi mon corps tout entier.
– Je crois que oui…
– On va regarder tout ça. Respirez bien. Je vais vous examiner et décider de la suite des choses. Ne vous en faites pas. Tout ira bien.

Toi, ton travail, c’est de mettre des bébés au monde. Chaque jour. Avec ton grand sourire réconfortant. Tu arrives avec ton savoir et ta magie, puis tu donnes la vie.
Comme ça.

Quand la situation se complique, tu agis rapidement malgré le fait que tu sors à peine de ton petit lit en salle de garde. Combien de bébés sont nés depuis que tu travailles aujourd’hui? Combien de fois as-tu été réveillé? Combien de mains as-tu posées sur combien d’épaules? As-tu des enfants toi aussi? Que fais-tu ici en ce soir de congé férié, loin des tiens? Où trouves-tu la force de penser, de décider, de déléguer, d’agir?

Je veux te demander tout cela, mais les mots se cognent dans ma tête. Toi, tu as déjà ta main en moi. Tu fais ta job. Tu donnes la vie.

Soudainement, tout s’embrouille, j’entends mon chum qui crie, je distingue des silhouettes fourmiller autour de moi, les bruits des alarmes résonnent trop fort… Je m’accroche à ta voix si paisible et directive. Tu es comme le chef d’orchestre d’une symphonie bien rodée. Les événements s’enchainent si vite… Toi, ce héros qui fait naître des enfants, tu restes calme.

Comment fais-tu? N’as-tu pas peur? Je suis si terrorisée. J’ai si mal. Vais-je mourir? Sauve mon bébé, je t’en supplie!

Enfin, j’entends ce pleur, ce premier bruit que fait un nouvel être… et je vois ton immense sourire. Tu es fier. Le temps s’arrête… Tu viens de donner la vie et de sauver la mienne… Tu es un héros qu’on réveille en pleine nuit et qui fait des miracles! Tu as la job la plus impressionnante du monde!

Je te regarde quitter la pièce avec gratitude. Que vas-tu faire maintenant? Manger? Dormir? Blaguer avec tes collègues? Boire un bon café? Te recoucher? Courir dans une autre salle et donner la vie à nouveau? Annoncer une mauvaise nouvelle? Finir tes notes? Appeler ta famille?

Chaque jour, chaque heure, tu es un héros qui fait naître des enfants…

Gwnedoline Duchaine

Les lettres de ta vie (TDAH/I)

Les lettres de ta vie ( TDAH/I) partie 1</a

Les lettres de ta vie ( TDAH/I) partie 1

 

La médication : la suite

 

Il y a une suite à ce matin-là. Tu as avalé la pilule comme une grande, d’un seul coup. Tu étais tellement fière de toi. Moi, j’angoissais, j’avais peur. Deviendrais-tu un zombie? Deviendrais-tu l’ombre de toi-même? Est-ce que je venais de tuer ta spontanéité, ta créativité? J’ai attendu, avec toi. Il y avait de l’école ce jour-là, mais je t’ai gardée avec moi.

 

Ça faisait maintenant une heure que tu avais cette pilule dans le ventre et que moi, j’avais une enclume d’inquiétudes dans le mien. Je te trouvais différente, encore plus impulsive, plus agressive. Je me suis dit que ce n’était peut-être qu’une mauvaise journée. Si seulement ça n’avait été qu’une dure journée…

 

Ce soir-là, je me suis couchée. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Je ne savais plus trop quoi faire. La médication devait t’aider, pas tout empirer! Le lendemain, matin, je t’ai donné la pilule avec une certaine appréhension. Et c’est là que trente minutes plus tard, tu as explosé.

 

Une crise d’une telle intensité que je ne savais plus quoi faire. Moi, éducatrice spécialisée de formation, j’ai figé. Tu me frappais fort, trop fort. Je suis sortie de ma torpeur. J’essayais de te calmer avec des paroles. Rien n’y faisait. Tout, tout, alimentait ta colère. J’ai eu peur pour tes sœurs, j’ai demandé à ton grand frère de les amener au sous-sol avec lui. Et j’ai fait ce que je ne croyais jamais faire avec mes enfants, de la contention. Je n’avais plus le choix, tu lançais tout ce qu’il y avait à ta portée. Tu te frappais. Je n’en pouvais plus. Je t’ai tenue contre moi… Et j’ai attendu que la crise passe. Tu me vomissais des injures, des insultes, en te débattant férocement. J’encaissais à grands coups de bleus sur le cœur. Je pleurais. Tu étais devenue Mr. Hyde. Une fois calmée, je t’ai conduite à l’école; nous étions aussi épuisées une que l’autre.

 

Je suis revenue à la maison. Je n’arrivais plus à contenir mes larmes. Je peinais à respirer, je paniquais. Je ne sais pas comment, mais j’ai réussi à appeler la pharmacie. Ils m’ont dit : « Tu arrêtes maintenant et tu appelles ton médecin ». C’est ce que j’ai fait. J’ai raconté notre histoire de façon maladroite à sa secrétaire, mais elle a senti l’urgence. Elle m’a fait patienter quelques minutes au bout de la ligne. Elle m’est revenue en me disant : « Est-ce que tu peux venir maintenant? Le médecin t’attend. » J’ai cette chance-là, d’avoir un médecin super.

 

Il m’a expliqué que nous n’avions pas la bonne molécule, qu’il fallait en essayer une autre. Il m’a dit que malheureusement, avec le TDAH, c’est de cette façon qu’on fonctionne, avec des essais et des erreurs. On a changé la molécule…

 

Cette fois-ci fut la bonne. Je reçois des billets de bons comportements de l’école. Tu es même l’élève du mois. Tu as retrouvé ton sourire. Tu recommences à croire que tu peux y arriver. Tu ne parles plus de vouloir mourir. Tu apprends à être fière de toi.

 

Est-ce que tout est parfait… non. La médication nous aide, mais elle ne règle pas tout. On continue de travailler fort avec toi. On poursuit le suivi en psychoéducation.

 

Et ce matin, en prenant ta pilule, tu m’as dit : « Maman merci! Le monstre dans mon ventre est calme. J’arrive à me concentrer, tout est plus calme dans ma tête. Il n’y a plus de tempêtes. Je t’aime maman! »

 

Mélanie Paradis

 

Naufragés du système de santé

 

Ça s’est passé un vend

 

Ça s’est passé un vendredi soir. On est rentrés du cinéma et ma fille de seize ans a commencé à se sentir mal. Vraiment mal. Elle se tordait de douleur. Elle s’est mise à vomir. La douleur devenait de plus en plus forte. Elle avait le souffle coupé, la cage thoracique comprimée, des nausées, une barre dans le dos et des vomissements. Puis cette douleur aigüe dans le ventre…
– Je t’en prie, fais quelque chose, je vais mourir…

Alors, on a appelé le 9-1-1…
Les quinze minutes les plus longues de notre vie…
L’ambulance est enfin arrivée et avec elle, le soulagement d’être pris en charge. Les ambulanciers sont comme des anges apaisants, rassurants dans cette angoisse pesante…

Que se passe-t-il? Ma fille va-t-elle mourir? On a besoin d’un chirurgien? Pourquoi souffre-t-elle tant? Pouvez-vous nous aider? Est-ce son cœur? Son ventre? Son appendice? Son utérus?

Je vous assure que tous les scénarios sont passés dans nos têtes de parents apeurés…

L’ambulance arrive à l’hôpital…
On va nous aider maintenant…
L’infirmière… le triage…
Son cœur est ok, ouf...

P4-Civière… douleur 5/10…
Ça, c’est ce qui était écrit dans son dossier…

Dans les faits, notre adolescente pleurait de douleur, elle était si pâle, les nausées étaient si fortes. Elle n’allait vraiment pas bien et nous l’avons signalé plusieurs fois.

Mais t’sais, notre système de santé…
Des professionnels débordés et sollicités par tous, pour tout et rien…
Dans la salle d’attente, pleine de « bobologie », certains patients simulaient des malaises afin d’être réévalués… d’autres perdaient patience et haussaient la voix devant l’infirmière… un gardien de sécurité les forçait à revenir au calme…

Pendant ce temps, ma fille me suppliait…

P4-Civière
Dans les faits, elle n’a jamais eu de civière, car il n’y en avait plus de disponibles. Dans les faits, elle a seulement eu du Paracétamol pour sa douleur…

Savez-vous comment elle s’est sentie?
– Maman, l’infirmière ne me croit pas. J’ai mal. J’ai si mal.
Alors, on a insisté…

Notre fille a fini par recevoir un anti-inflammatoire et un anti-nausée.
Notre fille a attendu 12 heures et 34 minutes sur un fauteuil roulant en salle d’attente avant de voir un médecin…
Il a prescrit un bilan sanguin et une échographie.

Pendant que nous allions à l’écho, j’ai lu le dossier médical de mon enfant. L’infirmière a écrit plusieurs fois que ma fille dormait « paisiblement », avec son papa, en salle d’attente… sauf que son papa dormait à la maison avec nos deux autres enfants. C’est moi qui avais pris le relai. Son visage crispé de douleur n’avait rien de paisible. L’infirmière n’est jamais venue réévaluer notre fille… pendant douze longues heures…

Dans les faits, nous avons passé la nuit toutes les deux, sur des chaises, dans la salle d’attente. Par chance, j’ai toujours des sacs de couchage dans mon auto, ils nous ont permis de fermer un peu les yeux… Entre les allers-retours des patients, les appels des soignants dans l’interphone… je me suis sentie si seule… démunie face à la souffrance de mon enfant… sans filet dans ce système de santé… je me suis sentie oubliée… incomprise…

C’est quand les résultats de la prise de sang ont été connus que tout s’est accéléré…

Et quand le médecin est entré dans la salle d’auscultation… il a posé son regard sur ma fille, il a regardé le sol, a pris une grande respiration et m’a annoncé la nouvelle sans jamais me regarder dans les yeux. Les murs se sont mis à tanguer. Mon souffle s’est arrêté. J’ai senti le sang dans mes veines cesser de couler. Mon ciel bleu s’est couvert. Je me suis accrochée au visage blême de mon enfant…

J’ai posé toutes les questions qui me venaient là… sur le coup… sans me douter que j’allais en avoir des centaines d’autres quand nous serions parties…

D’autres prises de sang… quatorze tubes de sang… dans sa jaquette bleue, ma fille était malade… L’infirmière m’a disputée, car ce n’était pas la bonne carte d’assurance maladie sur les documents. Elle m’a renvoyée à l’accueil… J’étais une automate… les secrétaires me faisaient encore des reproches… Je ne comprenais rien. J’étais sous le choc et je me foutais pas mal de la paperasse…

Je n’ai ressenti aucune compassion. Je me suis sentie seule. Triste, paniquée et seule.

– Son foie est malade.
– Pourquoi?
– Ils ont fait plein d’analyses, il faut attendre…
– C’est grave?
– Oui.

Le médecin nous a alors relâchées, nous donnant rendez-vous dans trois semaines pour interpréter les résultats.

Trois semaines! C’est le bout du monde!
Trois semaines sans savoir… sans filet… naufragés de ce système de santé… nous sommes rentrées à la maison…

Les questions ont commencé à fuser dans nos têtes… et depuis, l’angoisse, chaque jour qui passe… l’angoisse de retourner dans cette ambulance et dans ce système de santé qui laisse un enfant souffrir pendant plus de douze heures sans soins… ce système qui nous laisse sans aucune réponse…

Naufragés… c’est ainsi que nous nous sentons… comme ces centaines de personnes qui traversent les portes des urgences des hôpitaux du Québec…

 

Gwendoline Duchaine

Les hommes et le médecin

Laz
Lazare*, 42 ans, un arrêt cardiaque, dix minutes de massage, une semaine de coma artificiel et plusieurs allers-retours à l’hôpital… Est-ce que tout cela aurait pu être évité? Personne ne le sait, personne ne le saura jamais. Mais des conclusions peuvent en être tirées. Et cet événement m’a amenée à me poser la question suivante : pourquoi les hommes ne vont pas chez le médecin?  

 

Bien sûr, je ne parle pas d’aller consulter pour un rhume, une gastro ou autres « petits » maux courants de la vie quotidienne. De toute manière, soyons honnêtes, dans ces moments-là, notre homme ne peut s’empêcher de bien manifester, de démontrer et de faire savoir à la terre entière qu’il est MALADE! Vous serez d’accord avec moi, un homme malade, c’est donc malade. Veuillez m’excuser à l’avance, messieurs.

 

Non, je parle plutôt des petits vices cachés, des signes palpables et innocents du temps. Les symptômes et malaises qui peuvent sévir à tout moment dans la vie, sans crier gare. Et surtout dépassé un certain âge. Vous en conviendrez, après quarante ans, il est essentiel de veiller encore plus sur sa santé. Alors, pourquoi les hommes ne sont pas aussi à l’écoute de leur corps que les femmes? Moins préoccupés par leur santé, comme si c’était une affaire de « bonne femme ». Pourquoi ne pas prendre ça au sérieux? Parce que ça arrive toujours aux autres! Eh bien non, c’est faux.

 

Pourquoi ne pas vouloir entendre et prendre au sérieux les alarmes et avertissements de son corps? Par orgueil, par peur, par virilité et masculinité? Pourquoi vouloir cacher ou taire une douleur à la poitrine, une bosse un peu inquiétante, un souffle coupé après deux minutes d’effort, une insomnie récurrente, une vue qui s’embrouille…? Tant de maux qui peuvent être des indices d’un mal plus profond.

 

Voyez-vous une marque de faiblesse dans l’action d’aller consulter? Être conscient de son corps et de ses capacités, ce n’est pas être faible. Car, malheureusement c’est un fait, tout le monde vieillit et notre corps subit les conséquences de notre mode de vie. Trop de stress, trop de sel, pas assez d’exercices… Ce ne pas agréable d’aller chez le médecin, ni pour votre femme, ni pour vos enfants, et pourtant ils vont. Ophtalmologiste, dentiste, vaccins… Alors pourquoi pas vous?

 

C’est comme une carrosserie de char : avec le temps, ça se magane! Votre char, vous l’apportez chez garagiste, alors pourquoi pas vous?!

 

Un petit bilan de santé, une fois par année. Une analyse de sang, quelques tests supplémentaires, une petite granule, une pilule, des vitamines… Pensez au dépistage des risques cardiovasculaires, au dépistage du cancer…

 

Ce n’est pas pour vous faire peur, mais comme le dit si bien le dicton : vaut mieux prévenir que guérir (ou pire mourir…)

 

*(Jean 11.1-57)

 

Gabie Demers

 

Google, ce serveur qui te rend hypocondriaque

Nos enfants sont la prunelle de nos yeux. Jamais je n’ai eu peur d

Nos enfants sont la prunelle de nos yeux. Jamais je n’ai eu peur des maladies, jamais je n’ai eu peur de la mort. Jamais, jusqu’à ce que je donne la vie. Cette petite vie si fragile et si frêle. Notre deuxième souffle. Celle qui donne un sens différent à notre vie.

Des petits maux surviennent chez nos enfants, à tout âge. Leur première fièvre, leurs premiers petits boutons. Écrit comme ça ici, tout semble banal, mais je sais que toi, en tant que parent, tu ne trouvais rien de banal dans ces symptômes. Tu paniques vite, tu essaies de chercher ce que ton enfant peut bien avoir avant d’aller consulter. Tu penses souvent aux petites maladies infantiles, sans danger. Mais les jours passent et ton enfant ne va toujours pas mieux. C’est à ce moment que tu décides de googler tes premiers mots : petits boutons rouges chez l’enfant accompagné de fièvre. Puis tu commences à lire un article, puis un autre. Tu décides d’aller dans l’onglet Images, au cas où tu trouverais la même photo de boutons que ceux de ton enfant. Ce n’est pas très long avant d’être rendue à la fiche de la rougeole et que tu te mettes à paniquer. Il faut aller à l’urgence là. Pas demain. LÀ. Google le dit.

Arrivé à l’urgence, ton enfant n’est pas un cas prioritaire malgré la grande priorité que toi, tu lui attribues. Tu berces ton enfant dans tes bras, lui redonnes un analgésique pour sa douleur et sa fièvre. Les heures passent et tu entends enfin le nom de ton enfant à l’interphone. Ton cœur de parent bat à tout rompre, malgré ton soulagement d’être enfin appelé. Tu ne veux pas de piqûres sur ton mini, tu ne veux pas d’hospitalisation. Tu te dis que ça va bien aller, mais tu revois les caractères gras de la fiche santé que tu as lue quelques heures auparavant sur les Internet. Le médecin examine ton enfant en deux temps, trois mouvements pour te dire que ce n’est rien de grave, que ça va partir tout seul d’ici quelques jours. Dans le pire des cas, si dans quarante-huit heures, il n’y a aucune amélioration, il faudra revenir. Intérieurement, tu ne le sais plus si tu es content, soulagé, ou en beau fusil d’avoir eu cette réponse en deux minutes et demie dans la cabine.

Tu doutes. Qui a raison? Google ou le médecin? Finalement, il n’a pas trop ausculté ton enfant et tu as oublié de lui mentionner un ou deux trucs importants. Les plus hypocondriaques vont retourner voir la fiche et vont soit relativiser la chose ou l’accentuer. « Le médecin ne devait pas être bon. Après tout, il a seulement un doctorat cumulant cinq années de résidence. »

Laisse-moi te dire que Google est ton pire ennemi. Que ce soit toi ou tes enfants qui sont malades, il vous trouvera toujours un bobo plus grave. Je te le dis. Google m’a diagnostiqué au moins quatre cancers, une thrombose veineuse avec laquelle je risquais de faire une embolie pulmonaire si le caillot se détachait, un accident potentiellement fatal. J’étais prête pour mes préarrangements funéraires.

Sois prudent. Très prudent. Je me suis tellement inquiétée pour des riens! Juge à l’aide de ta bonne conscience. Mes enfants ont tous les trois eu des problèmes de santé, des plus graves et des moins graves. J’ai commencé à être hypocondriaque après la méningite bactérienne de mon deuxième garçon. Nous avons côtoyé la bête plusieurs semaines à l’hôpital avec un bébé à peine naissant. Lorsque nous côtoyons la mort de notre propre enfant de si près, nous pouvons évidemment virer de l’autre côté au moindre symptôme.

L’hypocondrie m’a rendue anxieuse. Très anxieuse. J’ai travaillé fort sur moi-même et j’y travaille toujours. Les médecins sont compétents. Google l’est moins. Il n’a pas fait des années d’études et ses textes généralistes et souvent dramatiques le rendent encore moins fiable. C’est bien de demander des conseils à d’autres parents sur des forums, des blogues, mais personne ne peut diagnostiquer la maladie d’un enfant avec une simple photo. Une alternative intéressante en cas de doute est de consulter ton pharmacien. Il peut très bien te guider dans tes démarches selon l’état de santé de tes enfants.

La ligne Info-Santé 811 est également disponible 24 h/24, et ce, 7 jours sur 7.

Maggy Dupuis

C’est « juste » une infirmière…

C’est elle qui t’accueille quand tu arrives à l

C’est elle qui t’accueille quand tu arrives à la clinique ou à l’hôpital, c’est ton premier contact avec le réseau de la santé. Ce n’est pas le médecin, non : c’est « juste » l’infirmière… et pourtant…

Même quand elle est fatiguée, quand elle a faim, quand elle vient de se faire hurler dessus par un patient, quand elle a tenu la main d’un mourant, quand les cris d’un enfant résonnent encore dans son cœur… malgré tout, elle a toujours un sourire pour t’accueillir.
Un beau sourire rassurant, réconfortant et encourageant. Un sourire qui te dit que tout va bien se passer.

Elle est en première ligne. C’est elle qui absorbe la tonne d’informations que tu lui donnes trop vite, parce que tu es si angoissé. Elle prend note, résume et synthétise. Telle un détective, elle décortique ton discours afin que le médecin puisse donner un diagnostic. Ce diagnostic que tu attends avec inquiétude et impatience… elle, c’est « juste » l’infirmière… alors elle ne te le donnera pas. Elle est pourtant le premier maillon de cette chaîne qui te porte vers la guérison.

Elle est toujours là. Sept jours sur sept, le jour et la nuit. Le dimanche et les jours fériés, elle laisse sa famille pour t’accueillir, toujours avec ce sourire. Pourtant, elle culpabilise de ne pas être présente auprès de ses enfants. Le soir, elle rentre chez elle, épuisée, vidée. Elle a toujours une pensée pour ses patients et se remet en question indéfiniment.

Elle a une capacité vésicale immense, une grande prédisposition au jeun, une patience infinie, une dextérité à toute épreuve, des jambes capables de la tenir debout des heures durant et de parcourir un grand nombre de kilomètres.

Elle joue dans tes urines, te prélève du sang, nettoie tes plaies, te pique les fesses, t’administre de l’oxygène, te réanime, te donne les médicaments et les soins dont tu as besoin. Grâce à elle, tu vas te sentir bien mieux. Elle écoute et réconforte. Elle enregistre tes signes vitaux et se tient prête à bondir s’ils flanchent. Elle accompagne, et ce, jusqu’à la fin.

Alors, peut-être penses-tu que c’est « juste » une infirmière à ton chevet. Elle est les yeux, les oreilles et les mains du médecin, comme une passerelle, une équipe bien rodée qui œuvre pour améliorer ta santé.

Ce matin, une petite fille à mon travail jouait à écouter le cœur de son ourson avec un stéthoscope. Sa maman lui a demandé :
– Tu joues au docteur?
– Non, maman, je joue à l’infirmière!

Merci fillette, de montrer qu’être infirmière, c’est le plus beau métier du monde!

 

 

Gwendoline Duchaine

 

Dans la salle d’attente du médecin : j’observe

Assise dans la salle d’attente, enfouie dans mon gros chandail de

Assise dans la salle d’attente, enfouie dans mon gros chandail de laine doux, j’observe. Il y a toute sorte de gens ici. Certains semblent inquiets, d’autres, insouciants, se promènent et jouent avec leurs enfants. Il y en a qui portent un masque, alors les sièges autour d’eux restent vides malgré le nombre grandissant de personnes qui se présentent au comptoir.

J’observe.

Je n’ai rien d’autre à faire de toute façon. Observer et attendre.

Je me suis installée au bord de la fenêtre, près du radiateur, comme un mauvais élève dans une salle de cours ennuyante. Je peux ainsi admirer les petits flocons qui virevoltent au vent, prémices d’un long hiver qui s’installe. Je suis à mon poste et j’observe tout le monde.

De temps en temps, la petite sonnerie fait lever un patient. Il se dirige alors vers son diagnostic. La plupart se précipitent, comme si leur vie en dépendait. D’autres marchent tranquillement, le pas léger, satisfaits de voir enfin cette attente s’arrêter.

Il y a ce monsieur en face de moi, collé contre sa conjointe, les yeux d’un bleu étincelant qui flottent dans la brume. Son visage est recouvert d’un masque et quand il tousse, tout son corps se contracte, ses traits se durcissent et sa main serre un peu plus fort celle de sa voisine. Ils ont une cinquantaine d’années tous les deux, peut-être un peu moins. Ont-ils des enfants? Un travail? Il grelotte. Ça ressemble à la grippe, mais je m’amuse à imaginer d’autres maladies. L’enquête commencera bientôt avec le médecin…

Nous sommes tous là pour ça. Nous attendons pour savoir.

Il y a ce jeune père qui tient sa petite fille contre son cœur. Il porte encore son manteau, sa tuque et ses mitaines alors qu’il est arrivé avant moi. Endormie, la fillette ne se doute pas que son papa, le regard dans le vague, évite tout mouvement afin de la laisser reprendre des forces paisiblement.

Il y a cet homme accoté contre le mur, les cheveux tout ébouriffés. Il bâille sans arrêt et ressemble à un petit animal perdu. Quand on vient ici, on ne prend pas le temps d’aller à la douche, de se coiffer ou de se raser… Nous sommes malades, alors nous pouvons rester mollement vêtus.

D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi, dès que nous entrons dans une salle d’attente de médecin, nous nous sentons malades. Je me sens fatiguée et vidée alors que je suis en pleine forme! Mais on ne sait jamais : le médecin va peut-être me trouver quelque chose! Ils sont forts pour découvrir des maladies qu’on ne voulait pas avoir.

Il y a ce vieux monsieur, avec sa canne qui est coincée dans la chaise. Il se débat pour la libérer sous le regard éberlué d’un garçonnet. Quand il arrive enfin à se dégager, il se lève péniblement. Ses pantalons, beaucoup trop grands ne fermant plus sur son ventre beaucoup trop gros, glissent vers ses genoux. D’un geste rapide, l’homme les attrape au vol, nous évitant ainsi de voir ses dessous crasseux. Chaque pas pesant lui arrache un souffle rauque mais, contre toute attente, il avance doucement, un pas après l’autre, vers le bureau du médecin.

Il y a cette femme, seule, qui semble si triste. Quel âge peut-elle avoir? Parfois, elle essuie quelques larmes, le visage vide et pâle… Que s’est-il passé? Pourquoi est-elle là? Quelle nouvelle?

Certains lisent un livre, d’autres pitonnent sur leur tablette. Les enfants jouent, rient et parlent. Les adultes restent muets.

Et moi, j’observe.

Chacun a sa petite histoire, chacun vient ici pour une raison particulière, cassant sa tranquille routine de vie, pour se retrouver quelques heures auprès d’étrangers qui partagent le même sort : nous attendons le verdict. Nous nous regardons peu, mais lorsque nos yeux se croisent, la compassion se lit dans les visages, tout simplement.

On dirait qu’ici le temps s’est arrêté. Quand est-ce que, dans notre folle course de vie, nous prenons le temps de nous arrêter? Dans la salle d’attente du médecin. C’est ironique, non?

Nous subissons cette attente, sans lutter, dans la résilience.

J’observe.

Tous ces gens ont les yeux rivés sur l’écran au fond de la salle, guettant leur numéro. Parfois, l’infirmière appelle un patient. Fausse alerte. Elle ne saura pas nous dire ce que nous voulons savoir. Mais elle est attentionnée et gentille. Réconfortante. Son sourire est là pour nous dire que tout ira bien. Enfin, espérons.

La sonnerie me sort brusquement de mes pensées. Sur le tableau s’affiche : Numéro 16 — Porte 4.

Les regards se tournent vers moi lorsque je me lève. Ils observent. Que peuvent-ils faire d’autre?