Dimanche matin, l’heure est grave : ma mère m’envoie un messag
Dimanche matin, l’heure est grave : ma mère m’envoie un message texte pour me dire que si je souhaite voir Popo une dernière fois, c’est aujourd’hui. Sans hésitation, je prends la route! Mon grand-papa vient de prendre la plus grande décision de sa vie…
Popo, c’est son surnom depuis toujours. Pour nous, sa famille, ce n’est pas papy, grand-papa ou même grand-père, c’est Popo. Tout le monde l’appelle Popo! Il aurait eu 92 ans en février prochain, mais son corps en a décidé autrement. Je dis « son corps » parce que cet homme avait la tête dure et il n’était pas prêt à ce que ça se termine… Par contre, il en avait fait du millage et ses pépins de santé avaient finalement eu raison de son courage, de sa détermination et de sa ténacité.
Épuisé, mais surtout conscient que la médecine ne pouvait plus rien pour lui, il a baissé pavillon et a dû s’avouer vaincu. Après une bonne discussion avec l’équipe médicale, il acceptait, avec toute sa tête et sa lucidité, de cesser tous les traitements qui ne servaient plus à rien. Quelle décision immense il a prise après avoir posé toutes ses questions et bien compris ce qui l’attendait. Comme il le disait lui-même, la voix pleine d’émotion : « C’est dommage de perdre un cerveau comme le mien » parce que le corps ne suit plus. Mon grand-père, de par son choix, nous a donné cette journée-là le temps d’apprécier le temps qu’il lui restait. Popo m’a toujours inspiré par sa force et sa grande ouverture d’esprit. Ce jour-là, il a décidé qu’il quitterait lorsqu’il le déciderait et comme il le souhaiterait.
En famille, au cœur de cette après-midi qu’on aurait voulue éternelle, Popo se racontait en parcourant sa longue vie avec nostalgie. Sa plus grande fierté? Avoir toujours fait ce qu’il voulait au moment souhaité. « J’étais têtu hein?! J’ai toujours fait ce que j’ai voulu! » Il a même réussi à nous faire rire aux larmes en racontant son bain du matin avec le personnel de soins. « J’étais accroché au plafond, flambant nu, trois femmes, et elles me lavaient. » Un fou rire qui a fait du bien dans les circonstances. Il était de nature timide et pudique. Imaginez la situation : quelques jours plus tôt, il vivait seul de façon autonome dans sa résidence. Il leur a dit : « Je ne dois pas être si sale, je viens d’arriver! » D’ailleurs, Popo ne portait pas la jaquette d’hôpital, pas question! C’était son pyjama. Il était aussi très fier!
À force de réfléchir à sa vie à mes côtés comme grand-papa, je réalise le privilège que j’ai eu d’être aussi proche de lui. Tout d’abord, il habitait à quelques minutes de la maison. Ma grand-mère Mado était souvent là pour nous garder et lui, il était là pour les travaux plus manuels. Mon père travaillait très fort au commerce, donc Popo était là pour avancer les tâches de la liste « faut qu’on » que ma mère planifiait. Patrick Huard disait dans un monologue : « Veux-tu que j’appelle mon père? » et ma maman ne se gênait pas pour le rappeler, en blague, à mon papa. Elle se trouvait tellement drôle! Mais elle l’utilisait surtout parce que ça gardait notre Popo actif et tout près de nous. Il travaillait bien qu’elle disait!
Des souvenirs magnifiques me viennent en tête lorsque je pense à Popo. Parmi les plus beaux et les plus marquants, il y a les séjours en Floride chez eux lors de notre traditionnel voyage familial. Il était avec Mado d’une générosité incroyable. Nous avons fait toutes les activités imaginables. Des vacances de rêves pour notre famille et des souvenirs pour la vie.
C’est aussi lors de ces voyages en Floride qu’il m’a beaucoup appris avec un seul mot. Vous savez, j’étais un enfant assez curieux et plutôt volubile. Ça venait de Mado! Je voulais tout savoir et tout apprendre. Et je pense que la patience de Popo était complètement à l’opposé de sa générosité, c’est-à-dire pas grande. À mes nombreuses questions, il ne m’expliquait qu’une seule fois. Fallait que je sois attentif parce qu’il y en avait des trucs à connaître en Floride. À ma deuxième question sur le même thème ou lorsque j’ajoutais un « pourquoi », il ne me répondait que par « Understand? ». Ça m’a pris du temps à comprendre sa technique, mais au fond, il voulait que je pratique l’anglais tout en apprenant rapidement. C’était simple. Aujourd’hui, ça m’arrive aussi d’être impatient avec ceux qui ne comprennent pas vite. Je sais maintenant d’où ça vient!
Avec Popo, j’ai aussi appris à travailler en l’accompagnant pour différentes tâches. Que ce soit pour les voyages au dépotoir, la tonte de gazon ou la peinture, j’adorais passer du temps avec lui et travailler. Je ne sais pas si ça l’aidait vraiment, mais il me ramenait « de jobine en jobine.
Autour de l’âge de dix ans, je me suis mis à pratiquer le golf et c’est ma tante Liz qui m’a pratiquement tout appris. Liz est la première fille de Popo. Elle m’amenait jouer avec elle, Danielle et Popo. Je complétais le quatuor. Quelle fierté! J’étais passager de la voiturette avec Popo et on partageait cette passion tous ensemble. Un de mes moments préférés lors d’une journée de golf, c’était celui où Popo sortait les collations que Mado lui avait préparées. Ça goûtait le bonheur tout ça, surtout les beignes! Popo était le seul joueur de golf que j’ai connu qui repartait avec plus de balles qu’à son arrivée. Il était habile de la puise! Il y a des trous où je pense qu’il ressentait plus de satisfaction à récupérer des balles à l’eau qu’à jouer le trou.
Tout en écrivant ce petit hommage à Popo, je réalise que certaines anecdotes me font sourire, alors que d’autres me remplissent d’émotions et de tristesse. Je sais par contre que c’est un immense privilège que j’ai eu de pouvoir partager autant de moments avec lui.
Je me souviendrai de lui comme un homme droit, respectueux et curieux. Tout au cours de sa vie, il a su évoluer, grandir et se battre pour ses convictions et ses valeurs.
Je me souviendrai de lui comme un grand-papa moderne avec son ordinateur, son compte Facebook, ses voitures neuves et son ouverture à comprendre toutes les nouveautés du monde actuel. Il était à l’affût de tout, pouvait parler de tout et s’intéressait à tout. Popo était âgé, mais il n’était pas vieux!
Une de mes plus grandes peines avec son départ est de ne pas pouvoir lui présenter ma troisième fille qui naîtra en janvier prochain. Je sais qu’il était heureux pour ma famille et moi de cette arrivée prochaine. En fait, Popo était heureux et fier de l’ensemble de sa famille.
L’après-midi a passé rapidement, l’occasion d’un dernier “au revoir” les yeux dans les yeux, lui serrant la main et le remerciant pour tout. À son image, avec peu de mots, juste les émotions qui parlaient… Ses dernières paroles pour moi auront été : “C’est beau, c’est beau Marc!”. Sa façon à lui de dire qu’il m’aimait.
Il nous a quittés quelques jours plus tard, tout doucement comme il l’avait prévu.
Marc-Antoine Lavallée