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Cette noirceur qui m’a envahi

Voilà un bon bout de temps que je n’ai pas écrit. Cet été a é

Voilà un bon bout de temps que je n’ai pas écrit. Cet été a été difficile pour moi. J’ai bien réfléchi avant de vous écrire cet article, car au tout début, je ne voulais pas vous en parler.

Pourquoi? Parce que je me croyais fort et je croyais avoir franchi cette étape…

Mais voyez-vous, 159 militaires sont décédés en Afghanistan. En 2013, 161 s’étaient enlevé la vie. Depuis 2013, le décompte des suicides a été ininterrompu et ce nombre ne cesse de grandir malheureusement. Avec le nombre de suicides toujours grandissant ces derniers temps, je devais vous en parler. Non, la plupart d’entre vous ne la savent pas. Les médias n’en parlent pas non plus. Moi je le sais, car je fais partie de plusieurs communautés sur le Web. Et le monde des vétérans et des militaires est une famille qui se soutient. Ce nombre de suicides ne cesse d’augmenter dans l’obscurité.

J’ai failli faire partie du lot pour une troisième fois cet été. Non je ne suis pas fier de moi. J’ai honte! Mais cette fois-là était encore plus forte. Tout était bien planifié dans ma tête afin de rendre ma mission à terme. Pour moi, c’était la seule solution pour arrêter de faire souffrir et de faire subir à ma famille la cause de ma blessure. Cette fois-là, j’étais vraiment déterminé! Je pouvais même me voir mourir dans mes plans sans aucune difficulté. Oui j’avais des remords, bien sûr, mais je me disais que ces remords ne seraient plus là une fois que je serais parti. Que mes enfants qui m’avaient toujours gardé en vie sauraient bien grandir sans moi. Qu’ils auraient la force de passer à travers les épreuves sans leur papa. Que ma femme que j’aime beaucoup aurait la force de passer à travers cette épreuve elle aussi.

Je n’ai même pas pensé à aller chercher de l’aide auprès de mes spécialistes. J’étais dans le noir total. Pour moi, c’était la seule solution pour mettre un terme à cette souffrance qui était revenue plus forte que jamais. J’étais prêt à passer à l’acte!

Je n’avais jamais vu une telle noirceur auparavant. Cette noirceur m’avait envahi. Tout ce que je voyais était de mettre une fin à ma vie, à ma douleur et à ma souffrance.

Même que je profitais mieux des moments avec mon fils de six ans. Tout allait mieux, j’étais davantage proche de lui. Je me disais que je devais passer de meilleurs moments de qualité avec lui, car ce seraient les derniers. Je voulais qu’il puisse avoir de bons souvenirs de son papa. J’étais prêt à le quitter malgré la déchirure, la tristesse et la douleur en moi.

Ma femme ne s’est jamais doutée de rien. Même si je pouvais passer beaucoup de journées d’affilée aux toilettes à avoir la diarrhée en raison de mon anxiété très élevée.

Vous comprendrez que je ne voulais pas la mêler à tout cela. Elle en avait déjà assez souffert selon moi.

Un de mes très bons amis a tout vu dans mon histoire. Il est venu me voir chez moi et par la suite, il m’a contacté très souvent. Si je me déplaçais, je devais lui dire où j’étais et comment je me sentais. Il ne me lâchait pas une seule minute.

Un vrai frère d’armes! Oui j’aurais fait la guerre avec cet ami, car lui, c’est un vrai frère d’armes à qui on peut faire confiance.

Un matin, il m’a amené à la clinique TSO (Trauma et Stress Opérationnel) de Longueuil pour un rendez-vous d’urgence avec une psychologue.

Lors de la séance, je me suis fait brasser, mais pas un petit peu. Durant la séance, j’ai pleuré ma vie et la psychologue a même réussi à me faire voir le visage de mes enfants qui me regardaient dans ma tombe. Et j’en passe…

Cette séance a été très difficile et je ne suis pas près de l’oublier. Ce n’est qu’à la fin que j’ai appris que si je ne voulais pas coopérer, je serais envoyé à l’Hôpital des Anciens Combattants en thérapie.

Après cette séance intense avec la psychologue, il est clair que j’ai décidé de mettre dehors le mauvais chum dans le salon. Celui dont je vous ai parlé dans deux articles auparavant. Maintenant je l’ai mis dehors pour de bon, car pour moi, l’option du suicide n’est plus une option. Lors de ma séance de psychothérapie, j’ai vu le visage de mes enfants qui me regardaient m’enfoncer dans le sol dans ma tombe. Depuis ce moment, ce n’est plus une option. Et j’ai toujours cette image de mes enfants debout sur le gazon qui me regardent m’enfoncer dans le sol dans ma tombe. Je crois que c’est ça qui me tient en vie maintenant. Cette image m’a tellement effrayé…

Maintenant, je peux vous dire que quand la noirceur nous envahit vraiment, il ne semble plus y avoir d’option pour sauver notre vie. Alors je lance ce message à tous : gardez l’œil ouvert et soyez prêts à intervenir pour ceux que vous aimez. Ils vous diront sûrement que tout va bien, mais la plupart du temps, ce ne sera pas le cas.

Soyez vigilants et attentifs!

Carl Audet

Besoin d’aide? 1-866-APPELLE

Mes amis qui pleurez – Texte: Nathalie Courcy

Mes amis qui pleurez ou qui êtes en colère contre la vie, merci de

Mes amis qui pleurez ou qui êtes en colère contre la vie, merci de vous ouvrir à moi et de me confier une partie de votre trop-plein. Je n’ai pas encore trouvé la baguette magique pour sauver le monde ou le vôtre, mais au moins, je peux écouter. Je peux comprendre. Je peux compatir. Je peux même dire ce que je pense ou ce que je ressens, si ça vous tente de l’entendre.

Mes amis qui avez l’impression de traverser un tsunami sans fin, ne lâchez pas, n’abandonnez pas. Continuez de vous accrocher pour vous, pour vos enfants, pour vos familles, pour votre travail ou votre chat. Toutes les raisons sont bonnes pour s’agripper à la vie.

Mes amis qui avez déjà entendu tous les conseils et toutes les remarques visant à vous aider à remonter la pente (ou au moins à arrêter de glisser vers le fond), ne m’en voulez pas si je vous répète que l’espoir existe même dans le pire des brouillards. Si je vous dis d’aller chercher de l’aide, que la mort ne sera jamais la solution, que les épreuves ont leur raison d’être même si on s’en passerait bien… ce n’est pas pour vous faire suer ni parce que la Ligne Parents ou le psy d’à côté le dit. C’est parce que j’y crois sincèrement. C’est parce que moi aussi, un jour, on me l’a dit, et que ça m’a peut-être sauvé la vie. C’est parce que j’ai réussi à traverser des tunnels interminables et trouver la lumière de l’autre côté. C’est parce qu’on ne sait jamais si cette parole dite ou tue changera le cours des choses. C’est parce que c’est ma façon de vous dire « Je t’aime, je tiens à toi. Vraiment. »

Mes amis, vous avez le droit de cesser de me parler pendant des semaines et des mois même si je m’inquiète. Je comprends que parfois, c’est juste trop. On a besoin de se replier sur soi ou de prendre le temps de s’organiser. Permettez-moi de continuer de vous envoyer des ondes lumineuses et enveloppantes pour vous soutenir et vous protéger. Je suis là pour vous, peu importent le jour ou l’heure. Si jamais je réponds en disant « Est-ce que je peux te rappeler? Je prépare le souper. » et que c’est urgent, vous avez le droit de me dire « Non, c’est maintenant que j’ai besoin de toi. ». Si je dis quelque chose qui vous dérange, vous avez le droit de me le dire aussi. Je peux me tromper moi aussi!

Mes amis, vous faites partie de ma famille. Je vous ai choisis, et chaque jour, je choisis de vous garder près de mon cœur et dans mes pensées. J’aimerais tellement avoir le superpouvoir de vous débarrasser de la lourdeur qui s’abat sur vous et semble ne pas vouloir vous lâcher. Mais je sais que le temps et les actions feront leur travail. Moi, je suis là pour le soutien moral, pour écouter et aussi, si vous en avez besoin, pour dire des niaiseries et vous changer les idées.

Mes amis, si jamais je trouve la baguette magique qui fait disparaître les soucis, promis, je m’en servirai avec vous! Mais d’ici là, j’ai des oreilles et une épaule, servez-vous-en autant que vous voulez.

Nathalie Courcy

 

Si vous avez besoin d’aide

Ligne québécoise de prévention du suicide

www.aqps.info

1-866-APPELLE (277-3553)

Jeunesse, J’écoute

www.jeunessejecoute.ca

1-800-668-6868

Tel-Jeunes

www.teljeunes.com

1-800-263-2266

Ta vie, c’est de la marde ?

J’ai bien de la difficulté à comprendre, car moi la vie, je l’

J’ai bien de la difficulté à comprendre, car moi la vie, je l’ai vue quitter le corps de mon frère.

Comprends‑moi, ton malaise, ton mal‑être, ta souffrance, je ne les renie pas.

Crois-moi, je sais ce que c’est de souffrir chaque seconde de chaque journée.

De ne pas savoir quand cette vie va arrêter de faire mal.

Quand je vais finir par voir un peu de soleil, car chaque jour et chaque nuit ne m’offrent que la noirceur.

Que chaque seconde m’attire encore plus dans un tourbillon négatif.

Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est comment tu peux vouloir te faire souffrir autant.

Vouloir mourir, je crois qu’on le vit tous.

Vouloir qu’enfin, ce qui nous ronge, ce qui nous détruit puisse enfin être chose du passé.

Mais c’est ça l’affaire.

Quand on souffre, c’est toujours temporaire.

Je ne te cacherai pas que très souvent, cela fait mal en cr*& ? % $ !

Mais c’est ça l’affaire.

Vouloir se donner la mort, c’est quelque chose de permanent.

Crois-moi, je l’ai vue… c’est laid, à mort.

On se fait souvent une idée préconçue de notre mort par suicide.

On va mourir comme Juliette et son Roméo.

Mais non, pardon de briser ta bulle.

Un corps sans âme, c’est laid.

Tellement laid, car tu n’y es plus.

Ta souffrance, tu vas la transmettre à quelqu’un d’autre.

Souvent, tu vas la transmettre à la personne qui va te trouver.

Parce que la souffrance ne va pas s’arrêter là où tu l’as laissée.

Plus jamais la personne qui va te trouver ne va pouvoir vivre comme elle l’a déjà fait.

Plus jamais ses yeux ne vont se fermer sans l’image de ton dernier acte de vie.

Plus jamais elle ne pourra passer une journée sans se rappeler l’image de ta dernière scène.

Cette image qui va hanter cette personne, elle va contaminer ses proches.

Elle ne sera plus jamais la même, cette personne qui va te trouver.

Elle n’arrivera plus à aimer.

Elle n’arrivera plus à s’aimer.

Les statistiques sont là, les proches d’un suicidé ont davantage de risque de recourir eux‑mêmes au suicide.

Est-ce qu’on peut appeler cela l’effet papillon, je ne le sais pas…

Une chose est certaine par contre : chaque jour où j’ai pu voir un papillon après le décès de mon frère, pas une fois cela ne m’a offert de réconfort.

Quand je regarde le visage de ma mère, je vois la souffrance qu’aucun parent ne devrait vivre.

Quand je vois ma mère sourire, je vois une mère qui sent qu’elle ne mérite pas le bonheur, car son enfant ne le trouvait pas.

Quand je vois mes enfants qui ne connaîtront pas leur oncle, je sais qu’elles voient la mère qui a été brisée par le choix de leur sang.

J’ai pardonné.

J’ai fait la paix aujourd’hui pour toute cette souffrance qui m’a été transmise.

Mais ce serait faux de nier tout le chemin, la souffrance que j’ai dû libérer pour me permettre de vivre, sans me dire que ma vie, c’est de la marde.

Si tu as vécu un moment de ce genre, sache que je t’envoie du gros (immense) love.

Viens me retrouver dans mon monde lumineux, j’ai un cadeau bonheur pour toi : http://www.martinewilky.ca/

Martine Wilky

 

La mauvaise herbe

La mauvaise herbe

« Une mauv

La mauvaise herbe

« Une mauvaise herbe est une plante dont on n’a pas encore trouvé les vertus. » Martin Luther King

Le suicide de trop. Le possible suicide de Zombie Boy a fait régurgiter tous les autres qui sont restés coincés dans ma gorge. Robin Williams, Kurt Cobain, Chester Bennington, les multiples tentatives de ma tante et de ma meilleure amie, sans oublier plusieurs autres personnes qui gravitent plus ou moins loin de mon univers. Des êtres vivants, uniques, qui cherchaient à vivre, à provoquer et surtout à flamboyer à travers la verdure, la pelouse et les (très) plates bandes de notre société.

Pourquoi tous ceux et celles chez qui je perçois une lueur dans le regard semblable à la mienne finissent‑ils par s’enlever la vie? Ils s’effacent à grand spray d’injures toxiques quotidiennes. Peut‑être par déformation professionnelle, j’aime, non, j’adore la différence, ce qui dépasse, ce qui égratigne; j’aime les diamants bruts, les passionnés. Ils m’inspirent et rendent le monde plus beau, plus intense, plus vivant. J’aime la mauvaise herbe.

Pourquoi cette beauté épineuse cherche‑t‑elle à mourir? Comme la mauvaise herbe avons‑nous peur de perdre le contrôle de cette nature fougueuse, forte, fière et si fragile paradoxalement? Aussi différentes soient-elles, n’oublions pas que ces personnes sont des nôtres. Chaque fleur, plante, arbre et herbe a sa place. Peut‑être ne  les planteriez‑vous pas dans votre jardin, mais de grâce, ne les détruisez pas. La mauvaise herbe de certains est curative pour d’autres. Écoutez‑les et laissez‑les s’épanouir. La vie et la fougue semblent avoir atteint ses limites.

Eva Staire

Faire taire les voix

Quand j’étais petite, j’adorais l’été, flâner autour de la

Quand j’étais petite, j’adorais l’été, flâner autour de la piscine, inviter des copines à la maison, manger des pop sicles jusqu’à en avoir la langue de couleur arc-en-ciel. L’été, c’est fait pour rêver, pour avoir des histoires à raconter, pour avoir des souvenirs. Quand on est enfant, l’été c’est l’insouciance, la liberté, la légèreté, comme si rien ne pouvait nous atteindre. Et pourtant…

En remontant le temps, un été m’a plus marqué que les autres ; des images se sont gravées à jamais dans ma tête, un sentiment nouveau m’a habitée, une odeur amer de tristesse et d’incompréhension est restée dans l’atmosphère et la moiteur de cet été. Un énorme nuage gris est passé sur nos vies, un nuage de colère, de douleur, d’impuissance, rempli de pourquoi et de si. C’est cet été-là que j’ai vu mon père pleurer pour la première fois, des larmes discrètes, à peine visibles, comme la rosée du matin sur les fleurs des champs. Cet homme si fort, si sûr de lui, impassible, presque froid parfois. En une fraction de seconde, tout avait basculé. Il voulait nous expliquer, mais ne trouvait pas les mots. Il était sans voix. Aucune explication ne pouvait justifier ce geste. Il venait de perdre son petit frère.

Mon oncle dormait à la maison. Mon père était allé le chercher chez lui plus tôt dans la journée. Il  avait fourré quelques affaires rapidement dans une valise: une brosse à dent, un short et une chemise. Cela ne pouvait plus continuer, il avait besoin d’aide. Même si c’était un adulte, lui‑même père de deux enfants, il n’avait plus la force ni les idées assez claires pour s’en sortir seul. Ce soirlà, pour seule explication, mon père nous avait dit que mon oncle était malade et qu’il devait rester avec nous. Pourtant, avec mes yeux d’enfant, je ne remarquais rien d’anormal. Il ne saignait pas, aucune blessure apparente. Il devait aller chez le médecin le lendemain. Peut-être qu’avec des pilules, il arriverait à calmer ses angoisses et ses terreurs, à guérir, à revivre. En attendant son rendez-vous, il ne devait pas rester seul, c’est pourquoi mon père l’avait amené chez nous. Mon père était patient avec son petit frère. Depuis leur tendre enfance, il se sentait responsable de lui, il devait le protéger, l’aimer et le chérir. Est‑ce une promesse qu’il avait faite à mon grand-père, j’en doute. C’était plutôt un lien fraternel unique entre eux deux.

Le soir venu, je lui ai proposé ma modeste chambre. Il s’est couché dans mon petit lit d’enfant, blotti et recroquevillé sous les couvertures, presque enfoui pour se cacher. Moi, je suis allée me coucher dans la pièce d’à côté, avec ma sœur cadette. Durant la nuit, nous l’avons entendu pleurer, hurler et crier comme un loup solitaire dans la forêt. La forêt qu’il aimait tant. Un long cri de douleur dans la noirceur. Il avait peur, peur des autres, de lui-même. Ce n’étaient pas des cauchemars, pour lui c’était son quotidien, sa réalité. J’ai entendu ma mère se lever sur la pointe des pieds, comme elle l’aurait fait pour nous. Il pleurait, trempé par les larmes, la sueur, transi de peur. Ils chuchotaient. Ma mère l’a bordé et est restée à son chevet le temps qu’il somnole et que sa respiration devienne plus régulière. Moi, je ne dormais pas, j’écoutais. J’ai compris qu’il était vraiment malade, un mal qu’on ne voit pas, un mal qui ne s’explique pas, un mal qu’on ne comprend pas. Un mal qui rongeait son âme, son esprit. Il avait mal dans la tête.

Au petit matin, le soleil brillait déjà bien fort, une belle journée d’été s’annonçait. J’avais hâte de mettre mon maillot de bain et de piquer une tête dans la piscine, car l’été c’est fait pour s’amuser. Nous étions tous installés en terrasse pour le déjeuner. Mon oncle est arrivé, l’air livide, les yeux cernés, fatigué de ne pas avoir bien dormi. Malgré la souffrance qui le dévorait, il nous a souri inconsciemment et s’est assis. En sirotant son café, ses gestes étaient tendus, nous le sentions stressé, inconfortable, mal à l’aise. Il ne cessait de scruter l’horizon, à la recherche d’un indice, de quelque chose, de quelqu’un. Il sursautait au moindre bruit, une voiture qui passait, un oiseau dans le ciel. Il a commencé à dire d’une voix tremblante et de plus en plus inquiet : «  Ils me cherchent, ils veulent m’attraper, ils viennent pour me prendre, ne me laissez pas aller, protégez-moi. » Mais qui ? Il n’y avait personne, que nous, encore en pyjama, marqués par les stigmates de la nuit passée. Mon oncle demandait de l’aide. Je ne pouvais pas en vouloir à mon père de passer du temps avec lui, il en avait sûrement plus besoin que moi. Ses démons le hantaient et le traquaient même en plein jour. Je me souviens de la douleur dans son regard.

Après le déjeuner, il est venu avec nous dans la piscine, sans dire un mot, sans toucher l’eau, il a sauté, comme s’il perdait pied dans le vide. Il est resté de longues secondes sous l’eau, des secondes qui me parurent une éternité. Puis il est réapparu, l’eau ruisselant sur son visage, mi‑homme, mi‑enfant, fragilisé par ce qu’il lui arrivait, mais enfin apaisé. C’est la dernière image nette et précise que j’ai de lui. Ensuite, mon père l’a conduit chez ma grand-mère qui habitait à un kilomètre de la maison. Là-bas, une de mes tantes devait le conduire à l’hôpital pour son rendez-vous. Le garderait‑on sous observation ? Resterait-il là-bas le temps de reprendre ses esprits, le temps de mettre des mots sur sa maladie ? On ne saura jamais, car il ne s’est pas rendu à ce rendez-vous.

Alors que tout le monde était à l’extérieur, prêt à monter en voiture, mon oncle s’est éclipsé, on ne sait pour quelle raison, prétextant une excuse. Peut-être qu’il savait déjà ce qu’il devait faire. Peut-être qu’en passant devant le mur, au-dessus du foyer, il a vu les fusils et tout s’est précipité dans sa tête. Des fusils de chasse bien alignés, bien rangés, comme une décoration, comme une invitation, comme une certitude pour lui. Les voix criaient dans sa tête, l’empêchaient de penser, mais lui ordonnaient d’agir. Mon oncle en a pris un, il était tellement habitué de les manier. Il aurait pu le reposer, mais par malheur, il y avait une douille à l’intérieur, une seule ! Les voix étaient sûrement incontrôlables, impénétrables dans sa tête, il a posé le canon sur sa temple et a appuyé sur la gâchette sans réfléchir, comment pouvait-il avec ce brouhaha, c’était le chaos dans son esprit. Malgré toutes les voix qu’il entendait, il ne pouvait pas mettre de mots sur sa douleur. D’un simple geste fatal, les voix ont éclaté en mille morceaux. C’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour les faire taire, pour les chasser à jamais de sa vie. Il était un chasseur aguerri qui ne ratait jamais sa cible. Il n’a plus jamais entendu de voix à partir de ce moment-là. Le silence… long et lugubre. Le silence, parfois cruel, parfois salutaire. Lui, il voulait juste faire cesser tous ces sons dans sa tête. Il ne souffrait plus.

Pour nous, ce fut une longue détonation, qui a résonné en écho dans la forêt. Les oiseaux ont volé, comme libérés de leurs cages invisibles. C’était une évidence. Mon père a toute de suite compris. Après, il y eut les sirènes, le néant, l’absence, la souffrance, une famille déchirée, qui se demandait encore parfois si on aurait pu éviter l’inévitable.

 

Gabie Demers

Le suicide chez nos policiers

Étant de la communauté policière, je suis informé lorsqu’un po

Étant de la communauté policière, je suis informé lorsqu’un policier se suicide. Depuis quelques mois, je remarque qu’il y en a de plus en plus et que les policiers qui passent à l’acte sont de plus en plus jeunes. Je sais que le suicide est préoccupant dans toute la société, mais cet article portera sur le suicide chez les policiers et chez les intervenants d’urgence. C’est mon monde à moi.

J’ai eu le malheur de couvrir plusieurs suicides de policiers et de policières dans ma carrière. Suicide par arme à feu, pendaison ou autre, chacune de ces tragédies me touche particulièrement puisqu’en quelque sorte, nous sommes tous de la même famille. Je perds donc un membre de ma famille chaque fois et je me demande si cette décision extrême a un lien avec le métier choisi et avec la détresse que nous côtoyons quotidiennement.

Être policier aujourd’hui n’a rien à voir avec ce que c’était il y a vingt ou trente ans. Premièrement, chaque policier aujourd’hui sait très bien qu’il est scruté à la loupe à chaque intervention. Des interventions, un policier peut en faire une dizaine et plus par jour. Il sait qu’il sera filmé, critiqué et très souvent insulté lors de ses interventions. L’erreur est humaine, qu’on dit, mais pas chez les policiers. Pour eux, l’erreur est inacceptable. Les médias sont là pour s’assurer qu’une erreur soit connue et critiquée par toute la population. C’est un vieux classique de le répéter, mais c’est quand même vrai : des gens sans expérience policière prendront des mois voire des années à décortiquer et à juger le geste d’un policier alors qu’il avait une fraction de seconde pour prendre sa décision.

Il y a trente ans, nos vieux confrères avaient plus de pouvoir face aux criminels et plus de respect de la part de la population. Les choses ont bien changé et ça peut finir par jouer sur le moral. Nous côtoyons chaque jour la violence, la détresse, la pauvreté et la maladie mentale. Oui, nous savions dans quoi nous nous embarquions en prêtant serment lors de notre embauche, mais ne savions pas que cela pouvait finir par nous atteindre à ce point.

Nous sommes les premiers à intervenir auprès de gens suicidaires et en détresse. Nous devons souvent nous improviser psychologues pour aider et diriger ces gens en détresse et en crise. Nous connaissons les signes précurseurs des gens qui passeront à l’acte. Nous savons où diriger ces gens et savons quel genre d’aide ils doivent aller chercher. Nous savons quoi leur dire pour les ramener vers le positif. La question est donc : pourquoi ces policiers passent à l’acte alors qu’ils savent exactement où et comment aller chercher de l’aide? Pourquoi n’ont-ils pas vu l’entonnoir se refermer et pourquoi ne sont-ils pas allés chercher de l’aide avant?

Vous savez, on s’attend à ce que les policiers soient forts et courageux. On s’attend à ce qu’ils soient en contrôle. On s’attend à ce qu’ils soient en excellente santé mentale. Nous connaissons ces attentes face à nous. La population s’imaginerait mal un policier se mettre à pleurer sur une scène d’accident mortel. Alors on apprend à être forts et à ne pas se laisser atteindre. Du moins, c’est ce qu’on apprend à montrer. On contrôle l’enveloppe et non le contenu.

Un policier qui met un genou par terre et qui demande de l’aide parce qu’il ne va pas, ça ne passe pas inaperçu. Lorsqu’un policier avoue vivre des moments difficiles ou être en dépression, la première chose que son employeur fera, c’est de lui enlever son arme à feu et c’est compréhensible. Par contre, on vient en même temps de lui enlever le droit de travailler sur la route. S’il n’est pas en congé de maladie pour prendre soin de lui, on l’assignera dans un bureau à faire des photocopies ou quelque chose du genre. Tout le monde saura alors qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Et quand on ne va pas, on sait tous qu’on ne veut pas nécessairement l’annoncer publiquement. Voilà probablement des raisons qui empêchent souvent un policier à admettre qu’il a besoin d’aide : l’orgueil et l’image projetée vers les autres. Car ne l’oubliez pas, on doit être forts, c’est ce que les gens attendent de nous.

Un message à mes confrères et consœurs :

– On a tous le droit de moins bien aller, d’avoir des passes difficiles. Nous ne sommes que des humains et nous avons tous des moments où ça va moins bien.

– Aller chercher de l’aide quand ça ne va pas n’est pas un signe de faiblesse. Il n’y a aucune honte à le faire. Je l’ai moi-même fait et je l’admets ici aujourd’hui. Je suis même particulièrement fier de l’avoir fait.

– Nous sommes là pour aider tout le monde tout le temps. Commençons donc par nous aider nous-mêmes. Nous devrions être notre priorité. Nous sommes habitués de protéger les autres avant de nous protéger nous-mêmes, mais il faut parfois savoir se prioriser.

– On a tous un partner ou un buddy dans notre équipe à qui on peut confier ce qui ne va pas et qui peut nous aider. Lancez-vous, parlez-en à quelqu’un!

– Donnons-nous la tape dans le dos qu’on ne reçoit ni de nos patrons ni des citoyens. Soyons là quand ça va moins bien. Notre travail n’est pas ordinaire et ce que nous vivons ne l’est pas non plus.

– On est tous une grande famille et dans chaque famille, il y a des gens qui vont moins bien. N’hésitons pas à aborder le sujet et à demander à quelqu’un ce qui ne va pas. Prenons les devants et offrons-leur notre écoute et notre aide. Chaque parole ou chaque geste peut faire la différence.

 – Le suicide n’est pas la solution. Laissez-vous aider à trouver les solutions qui vous permettront de remonter la pente et d’aller mieux à nouveau. C’est possible et réaliste de s’en sortir. Ne restez pas seuls.

LA VIGILE : Maison d’accueil pour intervenants en situation d’urgence, professionnels de la santé et du milieu juridique, leurs proches ou toute autre personne. 1-888-315-0007

 

Comment ça va, vraiment?

Le 9 septembre, la grande Mascarade à Rideau Hall a regroupé des

Le 9 septembre, la grande Mascarade à Rideau Hall a regroupé des centaines d’intervenants du domaine de la santé mentale et de personnes du public qui ont été invitées à retirer leur masque, leur honte face à la maladie mentale. La liste des organismes présents se trouve sur http://www.gg.ca/document.aspx?id=16950&lan=eng.

10 septembre : 15e journée de prévention du suicide :

Ouf! On en parle, de plus en plus. On ose! On cherche des solutions à cette maladie potentiellement mortelle.

1 Canadien sur 5 souffrira de maladie mentale à un moment de sa vie. On commence à connaître cette statistique. On comprend ce qu’elle veut dire : dans une classe de 30 élèves, 6 seront touchés directement comme enfants, adolescents ou adultes. Dans une équipe de 15 personnes au travail, 3 souffriront, en silence peut-être. Le gestionnaire, l’enseignant, le directeur, l’enfant sage de la classe : personne n’est à l’abri. Vous n’êtes pas à l’abri. Moi non plus.

Ce que la statistique ne dit pas, c’est que pour chaque personne qui souffre de maladie mentale, plusieurs personnes autour d’elle souffrent aussi, se questionnent, se sentent confrontées. Un parent qui perçoit l’anxiété de son enfant à travers ses maux de ventre et ses nausées a de la peine et se sent impuissant. Un frère qui subit les crises violentes de sa sœur a peur, a mal. Un enfant qu’un parent ne peut plus nourrir et cajoler parce que la dépression a attaqué développe à son tour de l’insécurité, de l’incompréhension : « Pourquoi maman ne me raconte plus d’histoires de dodo comme avant? Pourquoi elle reste dans sa chambre? » Donc si on refait le calcul, ce n’est plus 1 personne sur 5 qui est touchée par la maladie mentale, c’est plutôt 5 Canadiens sur 5. Tout. Le. Monde. Vous, moi, le voisin, votre patron, nos enfants. Ça change la perspective, n’est-ce pas?

Personne n’est à l’abri de la maladie mentale, on s’entend là-dessus. Il y a bien sûr des facteurs génétiques, environnementaux, socioéconomiques qui augmentent les risques. Il y a bien sûr des événements de la vie qui peuvent nous faire plonger : les drogues, une perte d’emploi, un deuil… Mais on peut s’outiller pour se construire un abri au cas où l’ouragan passerait.

Un truc : quand vous demandez à quelqu’un « Comment ça va? », demandez-le vraiment. À la caisse d’épicerie, ce n’est peut-être pas le temps d’amorcer une discussion intense sur les questionnements existentiels. Mais ça n’empêche pas de vraiment s’intéresser à la personne, de lui sourire avec compassion, de lui faire un compliment. Le collègue qui s’isole alors qu’il était hop-la-vie ou le jeune qui délaisse ses amis ou perd l’appétit aurait peut-être besoin d’une petite tape sur l’épaule, d’une oreille attentive, d’un coup de pouce pour trouver la bonne source d’aide.

Un autre truc : prenez le temps de vous demander « Comment ça va? ». Une vraie conversation avec vous-même pour savoir si votre sourire en public sonne faux, si vous avez des projets et des amis qui vous donnent le goût de vivre, si vous avez changé dernièrement sans trop vous en rendre compte.

L’autre truc, c’est de parler, d’écrire, d’écouter, de s’informer. Et d’accepter qu’on traverse peut-être un bout difficile et qu’on a besoin d’aide.

Nous, on vous aime! Et on vous aime en vie et en bonne santé mentale!

Pour aider une personne qui pense au suicide : 1-866-APPELLE (277-3553)

Association québécoise pour la prévention du suicide : http://www.aqps.info/

Prévenir le suicide (gouvernement du Québec) : http://sante.gouv.qc.ca/conseils-et-prevention/prevenir-le-suicide/

Document La mortalité par suicide au Québec : http://www.aqps.info/media/documents/Portrait_statistique2016_suicide_Quebec_INSPQ.pdf

Comprendre la santé mentale (gouvernement du Québec) : http://www.sante.gouv.qc.ca/dossiers/dossier-sante-mentale/

Nathalie Courcy

 

J’avais quinze ans

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J’avais quinze ans et je suis partie. J’avais dit oui à ma première relation, à ma première bière, à ma rébellion. J’avais une quête inconnue en moi, celle de trouver qui j’étais, ce que j’étais et surtout, comment aimer l’image que le miroir me renvoyait.

 

Pour les uns, j’étais celle qui s’impliquait dans les sports, en littérature, dans les activités et à la bibliothèque scolaire. Pour les autres, ceux qui étaient majoritaires, j’étais simplement, personne.

 

Heureusement, pour quelques rares, j’étais l’amie, importante et surtout forte à leurs yeux. Cela contrebalançait ces années où j’avais été celle que les plus populaires avaient prise en grippe.

 

Des insultes, des rires et des moqueries. Des injures et des coups.

 

Toi qui me lis, si tu savais comme j’avais mal. En dedans, pleine de douleur prisonnière. Je me sentais parfois brûler comme si j’allais céder à une auto-combustion. Mon masque était parfait, tous n’y voyaient que du feu, personne ne regardait au fond de mes yeux.

 

Le feu qui couvait semblait parfois sur le point de me consumer. Alors je courais. Je frappais de mes poings ce sac suspendu qui recevait ma hargne. Ma colère, ma peur de moi-même, mon enfer.

 

Alors je courais encore.

 

Les années précédentes, lorsque le feu frôlait mes lèvres, je courais vers cette amie qui m’est toujours aussi importante aujourd’hui. Mais au moment où mes quinze ans ont sonné, elle n’était pour un temps pas accessible. Je ne savais plus où courir. Vers qui me tourner. Alors j’ai bravé.

 

Résistant aux règles, je me suis débrouillée pour me perdre. J’ai dormi sous des bancs, dans des lieux que beaucoup ignorent et que moi-même, je préfère oublier. Puisque mon âme avait si mal, je forçais mon corps à endurer plus fort. Je ne comprenais pas toute cette rage, ce vide. J’avais envie de crier autant que de pleurer à la fois. J’aimais et je détestais autant en quelques instants.

 

Je refusais de lier avec quiconque plus qu’un semblant de sentiments. J’avais un toit qui m’attendait et malgré tout, j’y revenais. Je devais avoir envie de ce que je niais. Un certain après-midi, après avoir reposé le téléphone et retiré cette lame rougie de mon bras, je me suis dit, non, je ne peux pas.

 

Je ne peux pas laisser ce mal en moi prendre autant de place. Comment accepter de me blesser moi-même de cette façon? Je suis allée me faire refermer comme si je souhaitais coudre à mon âme une envie de vivre. Je suis revenue et j’ai confronté.

 

Les années ont passé, où la poudre aux yeux je me suis moi-même lancée. Car je continuais de souffrir. Un vide, un mal que je ne comprenais pas. Même aujourd’hui, en totalité, je n’y arrive toujours pas. J’ai eu longtemps cette envie de trépas.

 

Pourquoi je ne l’ai pas fait ultimement, alors que d’autres s’y ressoudent?

Pourquoi n’ont-ils pas réussi à résister à l’envie d’y rester?

 

C’est qu’on se résigne, soit à vivre, soit à mourir. Je sais que c’est un choix. Que la destination, qu’importe de quel côté elle va, est difficile à trancher. Je sais que la douleur réussit parfois à effacer toutes les peurs. Mais à d’autres moments, ce sont les peurs qui nous dirigent.

 

Peur d’échouer

Peur de réussir

Peur de se réveiller

Peur de dormir

 

La peur est parfois vectrice et à d’autres moments, elle rouvre les cicatrices.

 

Alors plus que la peur de la mort, s’installe la peur de vivre.

Je crois, pour ma part, que l’envie de mourir n’a jamais été une solution, je la voyais plutôt comme une issue, la seule qui m’attendait. J’ai consulté, un peu. Très peu.

 

J’ai lu, j’ai écouté. Je me suis vue et enfin acceptée. Mais je sais que pour toujours, je porterai en moi la cicatrice que ses vautours m’ont laissée comme un vice. Je ne flancherai plus, je ne croirai plus en cette issue. Mais je comprends que parfois, certains s’y précipitent. Ceux qui restent en souffrent. L’incompréhension est ce qu’il y a de pire. Le sentiment de culpabilité est profond et destructeur.

 

Égoïstement, je ne suis pas restée pour eux. Humblement, je vous avouerai ce soir que si je ne suis pas passée de l’autre côté du miroir, ça n’a été que de peu. Mais pour le mieux. J’ai choisi la vie, ma vie. Je vous souhaite tout autant de toujours avoir envie de vivre pleinement. Dans le doute, souvenez-vous : il n’y a pas dans notre vie plus important… que nous.

 

 

Simplement, Ghislaine

Le plus fort n’était pas mon père

J’ai quatre ans. Nous sommes en direction de la maison de mon pèr

J’ai quatre ans. Nous sommes en direction de la maison de mon père. Sa main est sur ma cuisse. Geste anodin que je ne supporte toujours pas aujourd’hui. À l’époque, les enfants sont assis du côté passager à l’avant. Parfois, mon père a une bière entre les jambes lorsqu’il conduit. La DPJ n’existe pas. Une fin de semaine sur deux, je deviens le jouet sexuel de mon père. C’est lui qui m’initiera à la masturbation, aux fellations et à divers attouchements. Cela durera quatorze ans.

J’ai compris très tard, trop tard, que ce n’était pas tous les papas qui jouaient de cette façon avec leurs petites filles. Je savais très jeune, trop jeune, que c’était mal. Mais ce n’était que ce que je connaissais. J’ai compris très tard, trop tard ce qu’était un vrai papa, un bon. Vingt ans plus tard, après d’innombrables thérapies, je me sens toujours coupable d’avoir attisé le désir de mon père alors que je n’étais que toute petite.

Tout demeure sous forme de flashback. Ma main minuscule sur son pénis. Ses halètements saccadés. L’odeur de son sperme. Il m’aimait tant, qu’il disait. Sa petite princesse.

La petite princesse s’en est allée.

Jour de Pâques. J’ai dix-huit ans. Lors du brunch de famille annuel. Lui, il est toujours placé à ma gauche. Ça discute des émissions L’amour avec un grand A de Janette Bertrand. Et mon père de dire à la blague : en tout cas moi, j’en fais de l’inceste avec ma fille. Son rire assourdissant par la suite. Et les rires des autres convives. Mon cœur a arrêté. Ce jour-là, j’ai quitté le dîner, traversé la porte et je ne suis plus jamais revenue.

S’ensuivit une période folle. Je prenais déjà plusieurs douches par jour afin d’expier je ne sais quoi, je m’automutilais aux poignets afin de diminuer mon anxiété et gérer mes crises d’angoisse, sans parler de quelques tentatives de suicide, dont la première à onze ans dans ma cour d’école. J’avais tenté de me pendre à la clôture de mon école primaire à la fin des classes. Un surveillant était arrivé. Qu’est-ce que tu fais là?! Je ne fais rien, monsieur. Il était mécontent. La directrice et ma mère le lendemain étaient aussi mécontentes.

J’ai donc continué. À me faire mal. À tenter de me suicider pendant les dix années qui suivirent. En secret. Sans rendre personne mécontent.

J’ai appris à être belle et à me taire. J’ai appris à être un objet sexuel pour assouvir les besoins. Je me suis beaucoup donnée. J’y ai mis beaucoup d’efforts. C’est ce que je connaissais.

Puis j’ai arrêté. Mon corps m’a arrêtée. Je portais mon premier bébé. Je portais la Vie. Une deuxième chance se pointait.

Je suis aujourd’hui dans la quarantaine. Les vingt ans d’abus sont passés. Je ne pardonnerai jamais. Je n’oublierai jamais. J’apprends à vivre avec. Je ne vois plus ce père depuis vingt ans. Il ne serait pas mort. J’ouvrirai une bouteille rendue là et je fêterai son décès. Je ne l’ai pas emmené en cour. Il aurait fait le sixième de son temps. J’ai fait quarante ans. Replonger dans les souvenirs demeure trop douloureux. La mémoire heureusement protège. J’arrive tout de même à être épanouie aujourd’hui. J’ai plein d’enfants formidables, un amoureux extraordinaire, une belle-famille, des amis présents et une carrière florissante.

Mais oui, la tristesse de fin du monde demeurera. Tapie tout au fond de moi.

Tu n’as jamais été le plus fort papa.

Jamais tu ne le seras.

Eva Staire

 

Ma mère est une force de la nature…

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Ma mère est devenue veuve lorsque j’avais un an et demi. Elle se retrouvait avec deux bébés, seule à nous élever. Malgré sa peine incroyablement profonde, elle a réussi à nous déménager près de sa famille et à prendre soin de nous.

 

Je n’ai pas grandi avec un père, mais je n’ai jamais manqué d’amour. Je me suis toujours sentie aimée. Nous n’avions pas de richesses; d’ailleurs de ce côté, ma mère sait faire des miracles. Je ne me suis jamais non plus sentie moins bien nantie que mes amis. Elle a toujours tout fait pour nous. Elle a été mon père et ma mère. C’est une femme qui représente très bien, parfois trop, le don de soi. Elle est d’une générosité incroyable. Elle est la personne qui écoute le mieux sur cette planète. Sans te juger, sans arrêter de t’aimer.

 

Elle a survécu à la mort de son mari et plus tard, à celle de son fils. J’ose à peine imaginer ce que cela peut être pour une mère de perdre son enfant. Lorsque ton enfant choisit de mettre fin à ses jours, alors là, comment passer au travers? La douleur me tenaille juste à y penser. Mais encore là, elle s’est relevée et a continué. On a vécu des deuils très différents. Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs à cette époque. Mais jamais elle ne s’est effondrée.

 

Ma mère, c’est aussi une Superwoman. Elle n’a pas attendu après un homme pour s’établir. Elle va chercher ce dont elle a besoin. Elle est tendrement appelée « la BM » par son gendre. Elle est Madame Bricole, elle répare tout ce qu’elle peut. Elle cuisine le meilleur bœuf aux légumes de la terre. Elle a cousu plus qu’à son tour. Elle entretient son terrain et sa maison elle-même. Il n’y a rien à son épreuve!

 

Ma mère est la meilleure accompagnatrice de l’humain que je connaisse. Si tu ne vas pas, elle est la meilleure à qui parler. Si tu es malade, c’est la meilleure infirmière que je connaisse. Si tu as besoin d’aide, elle est toujours présente. Elle a aussi accompagné dans la mort tellement de gens qu’elle a aimés. Mais malgré sa propre souffrance, elle affiche présente. Elle est l’Amour même.

 

Ma mère est une femme toute petite, toute mince, tellement douce et qui semble toute fragile. Ne vous laissez pas tromper, car en fait ma mère est… une force de la nature!

 

 

Le jour où tu t’es lassé de nager

J’avais dix-neuf ans qua

J’avais dix-neuf ans quand je t’ai rencontré. Tu avais six ans de plus que moi. Tu avais les cheveux longs et des Dr Martens rouges, et tu conduisais un vieux 4X4 brun duquel émanait une odeur de soirées de party entre amis. Je ne peux pas dire qu’il y a eu un coup de foudre, mais rapidement, une complicité s’est installée. On habitait le Plateau Mont-Royal, on courait les festivals de musique, on regardait des films underground. On était libres et heureux. Tu étais mon ami, mon meilleur ami.

On a grandi ensemble, on a fait un bout de chemin. La vie n’était pas toujours rose, la mer n’était pas toujours calme. On a souvent voulu fuir; on a souvent eu des doutes. Je ne compte plus les fois où j’ai fait mes valises dans ma tête et imaginé ce que ce serait de repartir à zéro, de refaire ma vie avec quelqu’un d’autre.

Malgré les épreuves, on a eu trois enfants ensemble, trois magnifiques enfants. J’ai vu ton regard s’illuminer en les voyant grandir. Tu prenais un plaisir fou à leur faire découvrir le monde. Tu étais un papa fier et affectueux. Je me suis souvent dit que peu importe ce qui nous arriverait, je ne regretterais jamais de t’avoir choisi comme père de mes enfants. Tu les aimais d’un amour pur et sincère!

Notre chemin a abouti à un cul-de-sac. Avec du recul, je vois maintenant que ton problème de santé mentale était un facteur important dans notre éloignement. On a choisi de se séparer, de ne plus se contenter. On se souhaitait du bonheur et on voulait plus que tout réussir notre séparation : pour le bien de nos trésors. On a levé nos verres à nos dix ans de vie commune, on s’est serrés fort et on ne s’est souhaité que du beau pour l’avenir.

Et c’est là que la tempête a frappé. Non seulement la mer n’était pas calme, mais on se faisait engouffrer par les vagues. Impuissante, je te regardais te noyer et toi, tu t’accrochais à moi, me tirant vers le fond. Deux ans de tempête, deux ans pendant lesquels je t’ai regardé te débattre dans l’eau, revenir à la surface reprendre ton souffle pour replonger dans les profondeurs. Il y a eu des moments où je me suis demandé si ce n’était pas ce que tu voulais, au fond, te laisser couler. Tout le monde te lançait des bouées, mais tu n’en voulais pas.

En octobre, tu t’es lassé de nager. J’imagine que tu n’en avais plus la force. On était tous à bout de forces! Nos enfants avaient neuf ans, six ans et trois ans. Par une douce journée d’automne, trois enfants ont appris qu’ils n’avaient plus leur papa. Ces trop petites merveilles que tu aimais plus que tout, tu avais choisi de les abandonner. Ces trois petits êtres qui ont fait naître une lueur dans ton regard ont vu la leur s’éteindre en un instant.

Aujourd’hui, je le dis : je t’en veux! Je te déteste pour ce que tu as fait! Je voudrais avoir la chance de te brasser et de te raisonner. Je voudrais te faire prendre conscience de toute la douleur, de toutes les questions, de toute la culpabilité et de toute la tristesse que tu nous as laissées en posant ce geste. Cette douleur que tu n’arrivais plus à supporter, tu nous l’as léguée. Tu m’as laissé un énorme fardeau sur les épaules : être le seul parent de nos enfants. Comprends-tu ce que ça signifie? Comprends-tu la pression qui pèse sur moi? De savoir que peu importe ce que je ferai, peu importe l’amour que je donnerai à nos enfants… jamais, JAMAIS, je ne pourrai leur épargner cette douleur et ce vide qui les suivront toute leur vie. Jamais je ne pourrai répondre à tous leurs questionnements, car jamais je ne pourrai expliquer l’inexplicable.

J’avais trente-deux ans quand tu t’es suicidé. Tu avais six ans de plus que moi. Tu avais les cheveux courts, tu étais père, tu étais amaigri et je ne te reconnaissais plus. La vie continue pour les enfants et moi : on se lève le matin, les enfants vont à l’école, on rit en famille, on fait des activités, on se colle, on s’aime…

La vie continue, mais elle ne sera plus jamais la même : elle sera toujours teintée par ton départ. Ce nuage noir nous suivra toujours, de près ou de loin : il fera à tout jamais partie de qui je suis et de qui les enfants deviendront.